Jazz

Reprend les dialogues sur le jazz qui racontent l’histoire de cette musique sous forme d’une conversation entre deux amis, agrémentés par des exemples sonores.

17ème DIALOGUE

LA NAISSANCE DES BIG BANDS – KANSAS CITY

– CAT : Je te rappelle qu’aux environs de 1920, le jazz devient un langage commun à toute la population noire des Etats-Unis, mais avec des variantes propres à chaque région. Nous avons déjà vu, la différence entre le New-Orleans, le style de Chicago et la forme qu’a pris le jazz à New York.
D’autres villes comme, Pittsburg, ville industrielle typique, dont le ghetto fut un centre de conscience noire, compte de nombreux musiciens de jazz originaux : comme les pianistes Earl HINES et Erroll GARNER, les pianistes et arrangeurs Billy STRAYHORN et Mary Lou WILLIAMS, le trompettiste Roy ELDRIDGE, le chanteur Billy ECKSTINE, le batteur Kenny CLARKE, le contrebassiste Ray BROWN, et bien d’autres. Nous les retrouveront tous à partir de maintenant dans nos prochains dialogues car ils ont joué un rôle primordial dans l’histoire du jazz.

– BIRD : Peux-tu me donner un aperçu des ces talentueux musiciens ?

– Cat : Ok, je vais te faire écouter un génie du piano, Earl HINES dans une de ses compositions les plus célèbres, « Rosetta« 

1. « Rosetta » – Earl HINES, New York City, 21-10-1939
Pers. : Earl HINES (p)
Disque : RCA Victor 741.041 – A2 (3’01)

– BIRD : Evidemment, il n’y a rien à redire.

– CAT : Kansas City est une autre cité qui a donné de nombreux musiciens de génie. Cette ville de 30.000 habitants en 1920 et moins de 100.000 en 1940, joua un rôle important dans l’évolution du jazz. C’est une ville double, à cheval sur deux Etats, le Kansas et le Missouri, au confluent du Missouri et de la Kansas River. Les raisons en sont peut-être que c’est un grand centre de communication, moins marqué par la dépression. La corruption de son administration en a fait une ville ouverte, donnant ainsi plus de possibilité de travail pour les musiciens. N’oublions pas qu’elle fut le 1er centre du ragtime, en 1890.

– BIRD : Je vois que Chicago et New York n’ont pas le monopole de la corruption en ces temps-là.

– CAT : Oh que non ! Ecoute ce témoignage de l’écrivain Ronald L. MORRIS : « Le crime organisé et le jazz se mélangeaient bien à Kansas City : c’était un mariage réussi dans un paradis musical. […] L’intense vie nocturne était sous la coupe d’une bande de Siciliens qui travaillaient avec l’accord de la machine sous contrôle irlandais du bootleger-politicien Tom PENDERGAST et de sa famille » . De son côté, l’historien de jazz Frank DRIGGS remarque : « PENDERGAST favorisa le jeu et la vie nocturne. Pendant les années où il fut au pouvoir, les clubs proliférèrent et tous présentaient de la musique d’une sorte ou d’une autre. Nombreux étaient ceux qui disposaient d’assez de place pour présenter de grands orchestres, et nombreux les patrons qui avaient des relations politiques. Il est significatif que presque toute l’évolution musicale de Kansas City ait eu lieu sous le règne de PENDERGAST » . Pour la petite histoire, sache qu’Harry TRUMAN qui remplaça le président ROOSEVELT, en 1945 à la fin de la guerre, était le conseiller juridique de PENDERGAST, lui permettant de contourner les lois. Comme quoi, la corruption mène aux plus hautes fonctions ! Dans le film romancé « Kansas City » de Robert ALTMAN, ce personnage apparaît sur fond de thriller dans le quartier chaud des boites de nuits.

– BIRD : Cela permet peut-être de comprendre le peu de scrupule qu’il eut à lancer les bombes nucléaires sur le Japon. Toutefois, que serait devenue cette musique sans le soutien des gangsters ? Peut-être pas de Duke ELLINGTON, ni de Count BASIE, ni bien d’autres.

2. « Kansas City Stomp » – Jelly-Roll Morton’s Red Hot Peppers – New York, 11-06-1928
Pers. : Jelly-Roll MORTON (p) – Ward PINKETT (tp) –Geechie FIELDS (tb) – Omer SIMEON (cl) – Lee BLAIR (bj) – Bill BENFORD (bb) – Tommy BENFORD (dm)
Disque : CD Classics 612 – 18 (2 :51)

– CAT : Le morceau que tu viens d’entendre « Kansas City Stomp« , est interprété par Jelly-Roll MORTON et ses « Hot Red Peppers« . L’art de Jelly-Roll eut une grande influence sur le jeu d’un des meilleurs orchestres de la ville, celui du pianiste Bennie MOTEN qui imposera le style de Kansas City, caractérisé par son âme, son atmosphère « blusey » et ses solos énergiques. C’est l’inventeur d’une des premières formes du « swing ». En voici déjà un exemple, car nous reviendrons longuement sur ce « pré-big-band ».

3. « Kansas City Breakdown » – Bennie Moten’s Kansas City Orchestra – Camden, 7-09-1928
Pers. : Ed LEWIS, Booker WASHINGTON (tp) – Thamon HAYES (tb) – Woody WALDER, Harlan LEONARD, Jack WASHINGTON (s) – Bennie MOTEN (p) – Leroy BERRY (bjo) – Vernon Walter PAGE (b) – Willie McWASHINGTON (dm)
Disque : LP33 RCA 741.078 – A-6 (2’54)

– BIRD : Oui, pas mal ! On sent toutefois qu’il s’affirme et commence à se détacher de l’influence de MORTON.

– CAT : MOTEN subira deux autres influences, celle du ragtime de James SCOTT qui sévit en ville et celle de l’orchestre de Fletcher HENDERSON qui s’impose à New York City. Très vite, la notoriété du « Kansas City Orchestra » de Bennie MOTEN dépassera les frontières de la ville et il deviendra l’un des meilleurs « territory bands » du Middle West. Mais avant de le suivre plus avant, parlons des quelques rares orchestres de Blancs qui s’adonne à la musique syncopée. Nous avons d’abord celui de Jimmie JOY, originaire du Texas et qui a beaucoup voyagé, allant de Los Angeles à New York, puis à la Nouvelle-Orléans avant d’échouer à Kansas City. Le morceau que nous allons entendre est caractéristique de la manière chaude et acidulée des groupes blancs sudistes.

4. « Wild Jazz » –JimmyJoy’s Baker Hotel Orchestra – Kansas City, 12 ou 13-05-1925
Pers. : Rex “Curley” PREIS (cnt) – Jack BROWN (tb) – Jimmie MALONEY (“Jimmie Joy”) (cl, ldr) – Gilbert “Gib” O’SHAUGHNESSY (cl, sa) – Collis BRADT (sa, st) – Lynn “Son” HARRELL (p) – Clyde “Fooley” AUSTIN (bj) – Johnny W. COLE (tuba) – Amos AYLA (dm)
Disque : CD FA 5095 CD1-2 (2’50)

– BIRD : Quoique l’on dise, cela ne vaut pas l’orchestre précédent.

– CAT : Un deuxième représentant du jazz blanc de Kansas City est Louis FORBSTEIN et son équipe que nous entendrons dans « That’ all there is« .

5. « That’ All There Is » – Louis Forestein’ Royal Syncopators – Kansas City, 18-05-1925
Pers. : Walter HOLZMAUS (tp) – Maw FARLEY (ts, fl) – Gilbert TORRES (vln) – plus non identifies (tp, tb, 2cl-sa-st, p, bj, tuba, dm)
Disque : CD FA 5095 CD1-5 (2’41)

– BIRD : C’est encore fort sautillant, bien dans l’esprit des ensembles blancs.

– CAT : On trouve aussi des chanteurs de blues dont les deux plus célèbres sont Jimmy RUSHING et Joe TURNER, figures particulièrement hautes en couleurs, emblématiques de l’esprit qui soufflait dans les lieux de perdition de Kansas City. Ecoute le témoignage de Mary Lou WILLIAMS : « Il y avait une boîte du tonnerre dans la 12e rue, où on échouait régulièrement : le Sunset qui appartenait à Piney BROWn, amateur de jazz et mécène. Le pianiste Pete JOHNSON y travaillait avec un bassiste et un « drummer », quelquefois Baby LOVETT de la Nouvelle-Orléans, qui est devenu l’un des meilleurs de Kansas City.
Le barman du Sunset se nommait Joe TURNER et, tout en servant à boire, si l’orchestre lui en donnait l’occasion, il se mettait à chanter le blues là où il se trouvait, accompagné par Pete JOHNSON au piano. Je crois que je n’oublierai jamais l’émotion que suscitait en moi la voix tonnante du grand Joe TURNER, qui faisait chanter tout le monde, chaque nuit, en préparant ses cocktails ».
Ecoutons d’abord, le « blues shouter » Jimmy RUSHING que nous avons déjà rencontré lors de précédentes causeries. Ici il est accompagné par les « Blue Devils » de Walter PAGE ; c’est son premier disque. Le pianiste est le jeune Williams BASIE, futur « Count ». Ensuite, Joe TURNER et ces « Fly Cats« , où l’on retrouve Pete JOHNSON ainsi que le trompettiste « Hot Lips » PAGE qui fait partie également des « Blue Devils« , et le saxophoniste Don BYAS, tous de futures grandes pointures sur la scène du jazz.

6. « Blue Devil Blues » – Walter Page’s Blue Devils – Kansas City, 10-11-1929
Pers. : James SIMPSON, Oran “Hot Lips” PAGE (tp) – Henry “Buster” SMITH (cl, sa) – Ted MANNING (sa, sb) – Reuben RODDY (st) – Charlie WASHINGTON ou William “Count” BASIE (p) – Reuben LYNCH ou Thomas OWENS (bjo) – Walter PAGE (b, ldr) – Alvin BURROUGH (dm) – Jimmy RUSHING (voc)
Disque : CD FA 5095 CD1-20 (2’44)

7. « Piney Brown Blues » – Joe TURNER and his Fly Cats – New York City, 11-11-1940
Pers. : Joe TURNER (voc) – “Hot Lips” PAGE (tp) – Don BYAS (st) – Pete JOHNSON (p) – John COLLINS (g) – Abe BOLAR (b) – A.G. GODLEY (dm)
Disque : CD FA 5095 CD2-13 (2’54)

– BIRD : Ils n’ont rien à envier aux bluesmen que nous avons déjà rencontré à Chicago ou à la Nouvelle-Orléans.

– CAT : Il faut également souligner l’importance des premières firmes d’enregistrement, comme Okeh ou Victor, qui n’hésitaient pas à se déplacer d’une ville à l’autre avec leur matériel lourd et encombrant pour graver tout ce qui leur tombait sous l’aiguille. C’est ainsi qu’ils firent plusieurs fois halte à Kansas City et que l’on possède pas mal de faces mémorables des orchestres noirs de l’endroit. Bennie MOTEN n’échappa pas à la règle et RCA-Victor « Black & White » a ressorti l’intégrale de ses enregistrements en cinq LP33T, dont proviennent la plupart des morceaux que l’on entendra.

– BIRD : Heureusement que bon nombre des matrices de ces différentes sociétés ont été conservées. Le jazz étant une musique d’improvisation, il est impossible de figer sur partition l’inspiration des solistes qui créent au fur à mesure qu’ils jouent.

– CAT : La période de gloire du style de Kansas City se situe entre 1920-1938, donc durant une grande partie de la prohibition (1920-1933). Pendant cette décennie, Kansas City est à la pointe du modernisme en matière de jazz grâce à Bennie MOTEN et les musiciens qui rejoindront progressivement son orchestre. Enfant de Kansas City, il y voit le jour le 13 novembre 1894. Il débute sa carrière musicale en jouant du saxhorn baryton dans un « brass band » d’enfants. Ensuite, il passe au piano sous l’instigation de sa mère, pianiste elle-même. Au début, il a une prédilection pour le ragtime.

8. « Pleasant Moments » – Scott JOPLIN
Pers. : Scott JOPLIN (p)
Disque : LP33 Musidisc 30 JA 5137 – B-2 (2’23)

– BIRD : C’était une musique plaisante.

– CAT : Tu ne pouvais pas mieux dire, c’est le titre du morceau « Pleasant Moments« . En 1918, il dirige un trio et vers 1921, il débute à la tête d’un sextette au « Panama Club » de Kansas City. En 1924, le « talent scout » Ralph PEER de la firme Okeh l’auditionne et en septembre de la même année les deux premières faces sont enregistrées à St-Louis. Il enregistre régulièrement jusqu’en 1932. Chez Okeh de 1923 à 1925, ensuite, il suit PEER chez Victor pour qui il enregistre de 1926 à 1932. Progressivement, il augmente son personnel par absorption des meilleurs musiciens du coin. C’est ainsi que Williams « Count » BASIE le rejoint en 1929, puis ce sont « Hot Lips » PAGE, Ben WEBSTER, Walter PAGE, etc. qui complètent ce premier « big band ».

9. « South » – Bennie Moten’s Kansas City Orchestra – St. Louis, 29-11-1924
Pers. : Lammar WRIGHT St, Harry COOPER (cnt) – Thamon HAYES (tb) – Woody WALDER (cl) – Harlan LEONARD (cl, sa) – Bennie MOTEN (p, ldr) – Sam TALL (bjo) – Willie HALL (dm)
Disque : CD FA 5095 CD1-1 (2’42)

– BIRD : On sent qu’il n’a pas encore acquis toute sa maturité et qu’il joue selon le style syncopé de l’époque.

– CAT : Oui. D’un style frustre, raide, il passe progressivement à la maturité avec des morceaux qui dégagent chaleur et souplesse. Ainsi, « Moten Stomp » de 1927 a encore une allure syncopée ; cela s’améliore avec « Moten Blues » de 1929 ; et on atteint l’apogée avec « Moten Swing » de 1932 dans lequel on sent justement ce swing, tant attendu.

10. « Moten Stomp » – Bennie Moten’s Kansas City Orchestra – Chicago, 12-06-1927
Pers. : Paul WEBSTER, Ed LEWIS (cnt) – Thamon HAYES (tb) – Woodie WALDER (cl, st) – Harlan LEONARD (cl, sa) – Jack WASHINGTON (cl, sa sb) – Bennie MOTEN (p, arr, ldr) – Leroy BERRY (bjo) – Vernon PAGE (tuba) – Willie McWASHINGTON (dm)
Disque : CD FA 5095 CD1-10 (2’55)

11. « Moten Blues » – Bennie Moten’s Kansas City Orchestra – Chicago, 17-07-1929
Pers. : Booker Washington, Ed LEWIS (cnt) – Thamon HAYES (tb) – Woodie WALDER (cl, st) – Harlan LEONARD (cl, sa) – Jack WASHINGTON (cl, sa sb) – Bennie MOTEN (p, arr, ldr) – Leroy BERRY (bjo) – Vernon PAGE (tuba) Ira “Buster” MOTEN (acc) – Willie McWASHINGTON (dm)
Disque : CD FA 5095 CD1-13 (3’02)

12. « Moten Swing » – Bennie Moten’s Kansas City Orchestra – Camden (New Jersey), 13-12-1932
Pers. : Joe KEYES, Dee STEWART, Oran “Hot Lips” PAGE (tp) – Dan MINOR (tb) – Eddie DURHAM (tb, g, arr) – Eddie BAREFIELD (cl, sa) – Jack WASHINGTON (cl, sa, sb) – Ben WEBSTER (st) – William “Count” BASIE (p) – Leroy BERRY (g) – Walter PAGE (b) – Willie McWASHINGTON (dm) – Bennie MOTEN (ldr)
Disque : CD FA 5095 CD2-2 (3’19)

– BIRD : Très belle démonstration. On sent très bien la progression et le dernier morceau est admirablement soutenu par la section rythmique. On trouve déjà la patte du Count et de PAGE à la contrebasse.

– CAT : Nous avons vu que BASIE avait rejoint l’orchestre en 1929. Ecoute l’une de ses premières interventions au sein de cet ensemble. Il s’agit de « Rumba Negro« .

13. « Rumba Negro » – Bennie Moten’s Kansas City Orchestra – Chicago, 23-10-1929
Pers. : Ed LEWIS, Booker WASHINGTON (tp) – Thamon HAYES (tb) – Eddie DURHAM (tb, g, arr) – Woodie WALDER (cl, st) – Harlan LEONARD (cl, ss, sa) – Jack WASHINGTON (cl, sa, sb) – William “Count” BASIE (p) – Ira “Buster” MOTEN (acc) – Leroy BERRY (bjo) – Vernon PAGE (tuba) – Willie McWASHINGTON (dm)
Disque : CD FA 5095 CD1-14 (2’47)

– BIRD : Son intervention est encore fort discrète, mais cela donne un aperçu de ce qu’il sera plus tard.

– CAT : Tu vas pouvoir mieux apprécier son jeu en tant qu’accompagnateur de la chanteuse Hattie NORTH, dans un morceau de 1929.

14. « Lovin’ That Man Blues » – Hattie NORTH – Kansas City, ca. 6-11-1929
Pers. : Hattie NORTH (Edith NORTH-JOHNSON) (voc) – William “Count” BASIE (p)
Disque : CD FA 5095 CD1-17 (2’23)

– BIRD : Le jeune « Count » ne s’y montre pas manchot.

– CAT : Ecoute encore deux morceau du « Kansas City Orchestra » de la période Victor, lors de la séance d’enregistrement des 6 et 7 septembre 1929 : « Slow Motion » et « Hot Water Blues« . On y sent déjà toutes les qualités qui feront la réputation de Bennie MOTEN dans les années suivantes.

15. « Slow Motion » – Bennie Moten’s Kansas City Orchestra – Camden (New Jersey), 6-09-1928
Pers. : Ed LEWIS, Booker WASHINGTON (tp) – Thamon HAYES (tb) – Woody WALDER, Harlan LEONARD, Jack WASHINGTON (s) – Bennie MOTEN (p) – Leroy BERRY (bjo) – Vernon Walter PAGE (b) – Willie McWASHINDTON (dm) – James TAYLOR (voc)
Disque : LP33 RCA 741.078 A-2 (2’37)

16. « Hot Water Blues » Bennie Moten’s Kansas City Orchestra – Camden (New Jersey), 7-09-1928
Pers. : Ed LEWIS, Booker WASHINGTON (tp) – Thamon HAYES (tb) – Woody WALDER, Harlan LEONARD, Jack WASHINGTON (s) – Bennie MOTEN (p) – Leroy BERRY (bjo) – Vernon Walter PAGE (b) – Willie McWASHINDTON (dm) – James TAYLOR (voc)
Disque : LP33 RCA 741.078 A-8 (2’31)

– BIRD : C’est déjà d’une autre trempe que ce qui se jouait avant.

– CAT : La dernière séance d’enregistrement de l’ensemble de MOTEN du 13-12-1932 marque tout à la fois l’apogée et l’agonie du « Kansas City Orchestra« . Epargné jusqu’alors par la récession, l’orchestre est frappé de plein fouet par la crise. Aussi cette séance s’est déroulé dans des conditions catastrophiques comme en témoigne le clarinettiste-saxophoniste Eddie BAREFIELD : « Nous n’avions plus un rond et nous devions aller enregistrer à Camden. […] Et voilà que notre copain Archie s’est amené avec un vieux bus déglingué. Il nous a emmenés là-bas et nous a dégoté un lapin avec quatre miches de pain. Juste de quoi ne pas mourir de faim. Nous avons fait cuire un ragoût sur une table de jeu. Ensuite, nous avons fait les disques. A ce moment-là, c’était Eddie DURHAM qui écrivait presque tous les arrangements de MOTEN. […] Nous avons seulement fait les disques et puis nous sommes rentrés à Kansas City. Nous y avons traîné encore quelque temps sans faire grand chose ». Et pourtant la dizaine de gravures est une série de chef-d’œuvres. Comme quoi, pour avoir de l’inspiration, il ne faut pas toujours des conditions idéales. Ecoutons-les !

17. « The Blue Room » – Bennie Moten’s Kansas City Orchestra – Camden (New Jersey), 13-12-1932
Pers. : Joe KEYES, Dee STEWART, Oran “Hot Lips” PAGE (tp) – Dan MINOR (tb) – Eddie DURHAM (tb, g, arr) – Eddie BAREFIELD (cl, sa) – Jack WASHINGTON (cl, sa, sb) – Ben WEBSTER (st) – William “Count” BASIE (p) – Leroy BERRY (g) – Walter PAGE (b) – Willie McWASHINGTON (dm) – Bennie MOTEN (ldr)
Disque : CD FA 5095 CD2-3 (3’19)

– BIRD : Quelle merveille ! Cà swingue réellement !

– CAT : Avec ce morceau, nous assistons vraiment à la naissance du « swing de Kansas City » duquel s’inspireront tous les big-bands futurs. Tu as sûrement constaté l’introduction de petites phrases rythmiques, répétitives. Ce sont les fameux « riffs » qui au départ devaient soutenir l’effort des solistes. Ils sont indéniablement générateurs de swing.

– BIRD : Enfin nous y voilà ! Du swing, du swing, encore du swing !

– CAT : Pour cette séance nous avons « Hot Lips » PAGE dans le rôle du trompette soliste qui s’inspire souvent de Louis ARMSTRONG. Ben WEBSTER rejoint le banc des saxophones. Ces interventions contribuent à donner à l’ensemble une certaine coloration à la Coleman HAWKINS. Ce qui frappe également c’est la souplesse et l’aisance de la section rythmique, qui doit beaucoup à Walter PAGE (b) épaulé par Leroy BERRY (g) et Willie McWASHINGTON (dm). On sent aussi que le « Count » s’impose déjà en leader de l’ensemble. Ses introductions dans des morceaux comme celui que je te donne à écouter préfigurent sa grande période qui débute en 1936. Ecoute, voici « Lafayette« .

18. « Lafayette » – Bennie Moten’s Kansas City Orchestra – Camden (New Jersey), 13-12-1932
Pers. : Joe KEYES, Dee STEWART, Oran “Hot Lips” PAGE (tp) – Dan MINOR (tb) – Eddie DURHAM (tb, g, arr) – Eddie BAREFIELD (cl, sa) – Jack WASHINGTON (cl, sa, sb) – Ben WEBSTER (st) – William “Count” BASIE (p) – Leroy BERRY (g) – Walter PAGE (b) – Willie McWASHINGTON (dm) – Bennie MOTEN (ldr)
Disque : LP33 RCA FXM1 7062 – B-14 (2’45)

– BIRD : Effectivement, c’est parfait, bien huilé, entraînant. On a envie de bouger.

– CAT : MOTEN meurt le 2 avril 1935 des suites d’une opération chirurgicale banale. Un chirurgien de ses amis imbibé d’alcool, aux mains d’une maladresse proverbiale, voulu absolument le libérer d’encombrantes amygdales, qui pourtant ne le gênaient pas plus que çà. Il n’en sortit pas vivant. Son cousin reprend la direction de l’orchestre de 1935 à 1936, mais ce n’est plus çà !

– BIRD : Je suppose qu’il y avait d’autres ensembles à Kansas City, bien qu’il semble que celui de Bennie MOTEN soit le plus connu ?

– CAT : Bien sûr et nous allons justement en parler. Ecoutons d’abord les « Blue Devils » de Walter PAGE, avant qu’il ne rejoigne MOTEN en 1932. Cet ensemble ne grava qu’un seul disque en 1929, lors du passage des ingénieurs de chez Brunswick/Vocalion dans la ville. Nous avons entendu la première face en accompagnement de Jimmy RUSHING. Voici maintenant « Squabblin’« .

19. « Squabblin’ » -– Walter Page’s Blue Devils – Kansas City, 10-11-1929
Pers. : James SIMPSON, Oran “Hot Lips” PAGE (tp) – Henry “Buster” SMITH (cl, sa) – Ted MANNING (sa, sb) – Reuben RODDY (st) – Charlie WASHINGTON ou William “Count” BASIE (p) – Reuben LYNCH ou Thomas OWENS (bjo) – Walter PAGE (b, ldr) – Alvin BURROUGH (dm) – Jimmy RUSHING (voc)
Disque : CD FA 5095 CD1-21 (3’00)

– BIRD : Très beau solo du clarinettiste Henry SMITH. Morceau bien enlevé, prometteur de ce que sera le style KC.

– CAT : Je vois que tu deviens un vrai connaisseur. Un deuxième orchestre qui eut moins de chance que celui de MOTEN, est celui du saxophoniste et chef d’orchestre George E. LEE (1896-1959). Pourtant actif dans la cité depuis 1920, il n’eut droit qu’à six faces : deux en 1927 et quatre en 1929 lors de la tournée de Brunswick/Vocalion

20. « Ruff Scufflin’ » – George E. LEE and his Orchestra – Kansas City, ca. 5-6-11-1929
Pers. : Sam UTTERBACH, Harold KNOX (tp) – Jimmy JONES (tb) – Herman QALDER (cl, sa) – Clarence TAYLOR (ss, sa, sb) – Albert “Budd” JOHNSON (st) – prob. Julia LEE (p) – Charles RUSSO (bjo) – Clint WEAVER (tuba) – Pete WOODS (dm) – George E. Lee (ldr)
Disque : CD FA 5095 CD1-16 (3’00)

– BIRD : Ce n’est pas mal techniquement et très mélodieux, porté par un rythme léger et efficace.

– CAT : Le pianiste et arrangeur de LEE, Jesse STONE, dirige parfois son propre groupe sous le nom des « Blue Serenaders« . Quatre faces gravées en 1927 à St-Louis dont deux inédites. Ici on l’entend dans un morceau sur tempo vif, « Boot to Boot« .

21. « Boot to Boot » – Jesse STONE and his Blue Serenaders, St-Louis, 27-04-1927
Pers. : Albert HINTON, “Slick” JACKSON (tp) – Druie BESS (tb) – Jack WASHINGTON (sa, sb) – Gleen HUGHES (sa) – Elmer BURCH (st) – Pete HASSEL (tuba) – Max WILKINSON (dm)
Disque : CD FA 5095 CD1-9 (3’04)

– Bird : Ce morceau me met immédiatement en mémoire le fameux « Tiger Rag » immortalisé par Louis ARMSTRONG. On y sent une certaine originalité.

– Cat : Venons-en maintenant à un ensemble qui fit concurrence à MOTEN au niveau du nombre d’enregistrements, celui d’Andy KIRK. Rappelles-toi, nous l’avons vu la dernière fois sur la scène du « Cotton Club » en 1939. Originaire de Newport dans le Kentucky, il réalise une partie de sa carrière de musicien en tant que bassiste chez le saxophoniste John WILLIAMS. La pianiste du groupe est Mary Lou WILLIAMS, une des figures les plus emblématique de la musique de Kansas City. Elle est tout à la fois une pianiste subtile, une compositrice talentueuse et maîtresse dans l’art de l’arrangement. Ecoutons-là en trio dans « Corny Rhythm« .

22. « Corny Rhythm » – Mary Lou WILLIAMS – New York City, 7-03-1936
Pers. : Mary Lou WILLIAMS (p) – Booker COLLINS (b) – Ben THIGPEN (dm)
Disque : CD FA 5095 CD2-4 (2’42)

– BIRD : Effectivement, c’est inspiré avec beaucoup d’âme, techniquement parfait. De la grande classe.

– CAT : Nous la retrouverons plusieurs fois dans le cours de nos entretiens. Revenons à Andy KIRK. Vers le milieu des années 1920, il rejoint les « Dark Clouds Of Joy » du trompettiste légendaire Terrence HOLDER, basé à Dallas. Au début 1929, HOLDER, désavoué par ses musiciens, cède la place à Andy. Après diverses péripéties, les « Clouds Of Joy » prennent leurs quartiers à Kansas City pendant la première moitié des années 1930, sous l’impulsion de George E. LEE. C’est ainsi que l’équipe de Brunswich/Vocalion les enregistre en 1929 à l’occasion de leur grande tournée dans le Middle West. Nous allons découvrir cet ensemble dans « Froggy Bottom » composé et arrangé par Mary Lou. C’est elle qui introduit le morceau par un très impressionnant solo. Elle a ici 19 ans et montre déjà une très grande maturité.

23. « Froggy Bottom » – Andy KIRK and his Twelve Clouds of Joy – Kansas City, ca. 7 et 11-11-1929
Pers. : Gene PRINCE, Harry LAWSON (tp) – Allen DURHAM (tb) – John HARRINGTON (cl, sa) – John WILLIAMS (sa , sb) – Lawrence FREEMAN (st) – Claude WILLIAMS (bjo, g) – Andy KIRK (tuba, bs, ldr) – Edward MCNEIL (dm)
Disque : CD FA 5095 CD1-19 (3’09)

– BIRD : Je comprends ton enthousiasme pour cette artiste.

– CAT : Jack KAPP le « talent scout » de Brunswick/Vocalion est fasciné par notre jeune pianiste, aussi il organise une deuxième séance d’enregistrement, cette fois à Chicago. Cela donne notamment « Mary’s Idea« , toujours de Mary Lou.

24. « Mary’s Idea » – Andy KIRK and his Twelve Clouds of Joy – Chicago, 30-04-1930
Pers. : Gene PRINCE, Harry LAWSON (tp) – Allen DURHAM (tb) – John HARRINGTON (cl, sa) – John WILLIAMS (sa , sb) – Lawrence FREEMAN (st) – Claude WILLIAMS (bjo, g) – Andy KIRK (tuba, bs, ldr) – Edward MCNEIL (dm)
Disque : CD FA 5095 CD2-1 (3’06)

– CAT : En décembre 1930, KIRK et une formation légèrement modifiée sont engagé au « Savoy Ballroom » de New York. Au début de l’année suivante, Blanche CALLOWAY, la sœur aînée de l’autre réquisitionne la bande pour un engagement au « Pearl Theater » de Philadelphie. De cette union momentanée naîtront une série de faces enregistrées à Camden. Voci « I Need Lovin’ » chanté par Blanche CALLOWAY et dans lequel, Mary Lou WILLIAMS se taille un excellent solo.

25. « I Need Lovin’ » – Blanche CALLOWAY and her Joy Boys – Camden, 2-03-1931
Pers. : Harry LAWSON, Clarence SMITH (tp) – Edgar BATTLE (tp, arr) – Floyd BRADY (tb) – John HARRINGTON (cl, sa) – John WILLIAMS (sa) – Lawrence FREEMAN (st) – Mary Lou WILLIAMS (p) – William DIRVIN (bjo) – Andy KIRK (tuba) – Ben THIGPEN (dm) – Blanche CALLOWAY (voc, ldr)
Disque : LP33 – RCA PM 42 392 – A-3 (2’52)

– BIRD : J’ignorais complètement que la soeur de Cab CALLOWAY avait dirigé un grand orchestre. Cela vaut bien d’autres « big bands« .

– CAT : Sollicité par Bennie MOTEN, les « Joyeux Lurons » retourne au bercail au printemps 1931, où ils ont mieux à faire. C’est ici qu’intervient un certain John HAMMOND. Issu d’une des plus riches familles des Etats-Unis, il s’intéresse dès sa prime enfance au blues et au jazz. Sa passion le pousse à écrire de nombreux articles dans des revues américaines, anglaises et même françaises sur cette musique qu’il admire. Il se lance dans la jungle du « show-biz » et organise des spectacles qui mettent en valeur de nombreux musiciens de jazz aussi bien blancs que noirs. Il lance la mode des concerts radiophoniques. Directeur artistique de l’American Recording Corporation (ARC), il est à l’origine de nombreux enregistrements alors que les firmes et les studios sont dans des passes difficiles à la suite de la crise.

– BIRD : C’est une providence pour le monde du jazz !

– CAT : Il avait installé dans sa voiture un poste de radio lui permettant de capter les émissions en ondes courtes. Un soir il entend celle retransmise par W9XBY, en direct du « Reno Club » de Kansas City, qui le fait bondir. L’orchestre présenté est dirigé par un certain BASIE, pianiste, et comportait un saxophoniste ténor au phrasé extrêmement léger, au swing déconcertant du nom de Lester YOUNG. Voici l’orchestre lors d’une retransmission radiophonique.

26. « Theme and Shoe Shine Boy » – Count BASIE and his Orchestra – « Chatterbox Room » William Penn Hotel, 8-02-1937
Pers. : Joe KEYES, Carl “Tatti” SMITH, Buck CLAYTON (tp) – Dan MINOR, George HUNT (tb) – Caughey ROBERTS (sa) – Jack WASHINGTON (sa, sb) – Herschel EVANS, Lester YOUNG (st) – Count BASIE (p, ldr) – Claude WILLIAMS (g) – Walter PAGE (b) – Jo JONES (dm)
Disque : CD FA 5095 CD261 (4’56)

– BIRD : Dommage que l’on n’a plus ce genre d’émission !

– CAT : Au cours de l’été 1936, après avoir mainte fois écrit à BASIE, John HAMMOND décide de descendre à Kansas City. Faute de BASIE, en tournée dans l’Est, il se rabat sur Andy KIRK qui se rapproche, en moins féroce, de celui qu’il cherche à amener à New York.

27. « Little Joe from Chicago » – Andy KIRK and his Twelve Clouds of Joy – New York City, 8-02-1938
Pers. : Harry LAWSON, Clarence TRICE, Earl THOMPSON (tp) – Ted DONNELLY, Henry WELIS (tb) – John HARRIGTON (cl, sa, sb) – John WILLIAMS (sa, sb) – Dick WILSON (st) – Earl MILLER (cl; sa) – Mary Lou WILLIAMS (p, arr) – Ted ROBINSON (g) – Booker COLLINS (b) – Ben THIGPEN (dm) – Andy KIRK (ldr)
Disque : CD FA 5095 CD2-9 (2’47)

– Cat : L’une des dernières grandes figures de Kansas City est le pianiste Jay McSHANN qui a eut le privilège d’avoir dans ses rangs une étoile montante qui va révolutionner le jazz. Il s’agit de Charlie PARKER. Je te le donne à entendre ici dans le fameux « Lady Be Good » des frères GERSHWIN.

28. « Lady Be Good » – Jay McShann Jazz Combo – Wichita (Kansas), 30-11-1940
Pers. : Bernard ANDERSON, Orville MINOR (tp) – Bob GOULD (tb, vl) – Charlie PARKER (sa) – Bob MABANE (st) – Jack MCSHANN (p, ldr) – Gene RAMEY (b) – Gus JOHNSON (dm)
Disque : CD FA 5095 CD2-18 (2’57)

– CAT : Nous allons terminer ce dialogue avec l’orchestre du Count. De toute façon nous lui consacrerons une soirée complète. Nous avons vu qu’il fit partie des « Blue Devils » de Walter PAGE puis du grand orchestre de Bennie MOTEN. Après la mort de celui-ci, il réunit quelques rescapés du groupe et fait appel à d’autres musiciens pour jouer au « Reno Club« . John HAMMOND lui procure ses premiers engagements à Chicago, puis à New York. Nous verrons cela plus tard. Terminons avec le célèbre « One O’Clock Jump« . Au départ ce morceau s’intitulait « Blue Balls« , mais ces bouboules bleuies par la vérole napolitaine effrayèrent le présentateur qui regardant l’horloge du studio s’avisa qu’il était pile une heure du matin, d’où le nom actuel.

29. « One O’Clock Jump » – Count BASIE and his Orchestra – New York City, 21-01-1941
Pers.: Ed LEWIS, Buck CLAYTON, Harry EDISON, Al KILLIAN (tp) – Dicky WELLS, Eli ROBINSON, Robert SCOTT (tb) – Tab SMITH (ss, sa) – Earl WARREN (sa) – Don BYAS, Buddy TATE (st) – Jack WASHINGTON (sb) – Count BASIE (p, ldr) – Freddy GREENE (g) – Walter PAGE (b) – Jo JONES (dm)
Disque : CD FA 5095 CD2-17 (3’02)

– BIRD : Quelle soirée. Que de découvertes. Vivement les suivantes !

– CAT : La fois prochaine, je t’emmène au cinéma. Je te présenterai le film de Robert ALTMAN « Kansas City » qui nous replongera dans cette ambiance de perdition, avec un Harry BELAFONTE prodigieux.

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16ème dialogue

LES NUITS DU COTTON CLUB


– Cat : Aujourd’hui, comme promis, nous passerons toute la soirée au « Cotton Club« .
 
– Bird : Enfin nous pénétrons dans ce haut lieu du jazz.
 
– Cat : Pour nous y rendre prenons la ligne de métro « A Train » comme Duke Ellington le faisait chaque jour pour rejoindre le club de jazz.
 

1. « Take the A Train » – Duke Ellington & his Orchestra – Hollywood, 15-02-1941
Pers. : Wallace Jones, Ray Nance, Rex Steward (tp) – Lawrence Brown, Joe “Tricky Sam” Nanton (tb) – Juan Tizol (vtb) – Otto Hardwicke, Johnny Hodges (sa) – Ben Webster (st) – Harry Carney (sb, sa, cl) – Barney Bigard (cl, st) – Edward “Duke” Ellington (p) – Fred Guy (g) – Jimmy Blanton (b) – William “Sonny” Greer (dm)
Disque : LP33T – RCA FXM1 7134 A-5 (2’54)

 
– Bird : On est bien parti.
 

– Cat :  Lors de sa libération, après huit ans d’incarcération pour le meurtre de son rival Patsy Doyle, le gangster Owney Madden se voit offrir par ses hommes de main, lors d’une somptueuse réception, les clés d’un établissement acquis durant son emprisonnement, le « Cotton Club« . Le but de l’opération est d’établir à Harlem une base solide pour écouler leur bière de contrebande.
 
– Bird : Oui, nous sommes en pleine prohibition[1].
 
– Cat : Situé au 644 Lenox Avenue, l’endroit choisi est un ancien casino de deux étages, bâti en 1918, le “Douglas”. Le rez-de-chaussée comprenant un cinéma et une salle de spectacle fonctionnait fort honorablement. Par contre, la grande salle de bal du premier était restée pratiquement inutilisée jusqu’en 1920. A cette date, le champion de boxe Jack Johnson[2] – célébré plus tard par Miles Davis – expert aussi bien en noble art qu’en réjouissances nocturnes, en avait fait le “Club Deluxe”  pouvant abriter de 400 à 500 personnes. Walter Brooks, homme de paille de Madden (qui se contentera de figurer au sein du conseil d’administration) trouve un arrangement avec le champion élevé à la dignité de directeur, et prend les choses en main. La salle est rénovée, les tables placées en fer à cheval entourent la scène sur deux niveaux qui peuvent recevoir jusqu’à sept cents clients.
 
– Bird : En définitive, c’est grâce au milieu mafieux que le jazz a pu se développer, et a permis à de grands musiciens de se révéler. Curieuse forme de mécénat !
 
– Cat : Afin d’éviter les problèmes, le personnel et même les musiciens viennent tous de Chicago. L’un des premiers orchestres à s’y produire est celui des “Missourians”. En 1925, le violoniste Andrew Preer établi à Saint-Louis, une des capitale du ragtime, reçoit une offre le priant de constituer un orchestre à même de remplir un engagement au « Cotton Club« . L’équipe fait sa première apparition sous le nom de « Cotton Club Orchestra« , ce n’est que plus tard qu’elle prendra le nom définitif de « Missourians« , après trois années de succès tant à New York qu’en tournée à travers le pays. On entend d’abord le ″Cotton Club Orchestra″ dirigé par Preer, puis les ″Missourians″ dans un « stomp » endiablé, « Market Street Stomp« .
 

2. ″Snag ‘Em Blues″ – The Cotton Club Orchestra – New York City, 6-01-1925
Pers. : R.Q. Dickerson, Louis Metcalf (tp) – De Priest Wheeler (tb) – Dave Jones, Eli Logan (sa) – Andrew Brown (cl, st) – Earres Prince (p) – Charles Stamps (bj) – Jimmy Smith (tub) – Leroy Maxey (dm) –Andrew Preer (vl, lead)
Disque : CD FA074 – CD1-2 (3’00)
 
3. « Market Street Stomp » – The Missourians – New York City, 3-06-1929
Pers. : R.Q. Dickerson (tp) – Lamar Wright (tp) – De Priest Wheeler (tb) – William Thornton Blue (cl, sa) – George W. Scott (cl, sa) Andrew Brown (st) – Earres Prince (p) – Charles Stamps ou Morris White (bj) – Jimmy Smith (b) – Leroy Maxey (dm)
Disque : LP33T RCA FPM1 7017 – Serie Black & White Vol. 119 – A-1 (3’23)

 
– Bird : Cela promet, lorsqu’on les entend jouer avec autant d’enthousiasme.
 

– Cat : Comment nous l’avons vu la fois précédente, l’apartheid est de rigueur dans ce genre d’établissement. Je te fais remarquer, que quelques petits arrangements seront acceptés par la suite grâce à l’instigation de Duke Ellington devenu l’enfant chéri de la maison. Le but est d’attirer une population noctambule blanche pour le moins aisée, et pour cela rien n’est trop beau ni trop luxueux.
 
– Bird : Je pense que le Duke devait être un grand bonhomme dans tous les sens du terme.
 
– Cat : Le « Cotton Club » est le premier établissement du genre à créer de véritables décors en miniature pour mettre en valeur des revues spectaculaires renouvelées tous les six mois. On y voit des bas-reliefs et des fresques évoquant la jungle et le « bon vieux Sud ». Les attractions sont assurées uniquement par des Noirs et une troupe de « girls » afro-américaines peu vêtues. Obligatoirement grandes, elles doivent savoir danser et chanter, ne pas excéder les 21 ans, et avoir le teint clair. Cette dernière caractéristique perdra de son importance avec l’engagement de la danseuse Lucille Wilson qui deviendra la quatrième épouse de Louis Armstrong.
 
– Bird : Les patrons n’étaient pas commodes, surtout qu’il n’y avait pas de syndicat pour défendre les employés.
 
– Cat : Attends la suite. Touchant de maigres salaires, elles en perdent une partie par un jeu d’amendes distribuées à tord et à travers. De plus, elles sont entassées dans des loges exiguës et ne reçoivent pas de repas. Lena Horne lèvera l’étendard de la révolte en 1933. Ecoute son témoignage lorsqu’elle fit partie de la troupe simplement vêtue de trois plumes judicieusement placées : « La revue baignait dans une atmosphère primitive sans apprêt  censée débarrasser l’audience civilisée de ses inhibitions. La musique – quelque fois stridente avec une prééminence de cuivres, souvent étrange et sauvage – distillait un rythme soutenu, envoûtant. Les danses, elles, étaient explicitement provocatrices ».
 
– Bird : Encore une fois l’exploitation des plus démunis au profit d’une classe aisée en quête de sensations exotiques. Rien n’a changé depuis.
 
– Cat : Ces “shows” ne se contentent pas d’exhiber simplement des créatures de rêve. Un producteur – concepteur, Lew Leslie, responsable des revues « Blackbirds« , rapidement remplacé par Dan Haley et un compositeur, Jimmy McHugh[3], sont engagés. La parolière Dorothy Fields les rejoindra. A leur palmarès figure entre autres, le fameux « I Can’t Give You Anything But Love« . En 1930, le tandem Harold Arlen/Ted Koehler[4], leur succède, Rube Bloom se substituant au premier en 1939. Plus, bien entendu, costumiers, chorégraphes, éclairagistes… Tous ces noms, tu le retrouves dans tous les grands standards joués par des générations de jazzmen.

 

4. « I Can’t Give You Anything But Love » – Duke Ellington & his Orchestra – New York City, 10-11-1928
Pers. : Freddy Jenkin, Arthur Whetsol (tp) – “Tricky Sam” Nanton (tb) – Johnny Hodges (sa) – Harry Carney (sb, sa) – Barney Bigard (cl, st) – “Duke” Ellington (p) – Fred Guy (bj) – Wellman Braud (b) – “Sonny” Greer (dm) – “Baby” Cox, Irving Mills (voc)
Disque : LP33T – RCA 741028 – A-7 (3’02)

 

– Bird : Malgré les conditions déplorables, je pense que ce fut une période de grande créativité, car, c’est vrai, que beaucoup de morceaux ont vu le jour dans ce genre d’établissement.
 
– Cat : Le travail de l’orchestre-maison est bien défini. Il débute la soirée par un morceau écrit spécialement pour l’occasion, en interprète deux ou trois autres appartenant à son répertoire et ne rejoue pour la danse qu’entre les tableaux des “shows” qu’il accompagne. Le critère de la maison est : “du rythme, du rythme, encore du rythme”. Dans un premier temps, ces revues sont pourvues de titres évocateurs tels “Brown Sugar (Sweet but Unrefined)” ou “Rhythmania” avant d’être baptisées plus simplement “Cotton Club Parade” à partir de 1932.
 

5. ″Feelin’ The Spirit″ – Luis Russell & his Orchestra – New York City, 06-09-1929
Pers. : Henry Allen, Bill Coleman (tp) – J.C. Higginbotham (tb, voc) – Albert Nicholas (cl, sa) – Charlie Holmes (ss, sa) – Teddy Hill (st) – Luis Russell (p, lead) – Will Johnson (g) – Pops Foster (b) – Paul Barbarin (dm)
Disque : CD FA074 – CD1-5 (3’08)

 

– Cat : A la mort dans un accident automobile d’Andy Preer, le leader des « Missourians« , en 1927, l’orchestre est licencié, perdant aux yeux des responsables du « Cotton Club » de son pouvoir d’attraction. Contacté, King Oliver alors à la tête de ses “Dixie Syncopators” refuse. Enthousiasmé par les “Washingtonians” dirigés par un certain Duke Ellington, Jimmy McHugh, soutenu par Jack Johnson, parle d’eux. Avec insistance. Convoqués pour une audition, l’orchestre qui se produit à Philadelphie ne comprend que six musiciens alors qu’il en faut au minimum onze. Le temps de trouver les instrumentistes complémentaires, Ellington et ses hommes arrivent avec trois ou quatre heures de retard. Tout comme le patron Harry Block qui, de ce fait, n’ayant pas entendu les autres concurrents, engage le Duke… sous contrat à Philadelphie.

 

6. ″I’m Gonna Hang Around My Sugar″ – The Washingtonians – New York City, 09-1925
Pers. : Duke Ellington (p, arr, lead) – Pike Davis (tp) – Charlie Irvis (tb) – Otto Hardwick (cl, sa) – Prince Robinson (cl, st) – Henry Edwards (bb) – Fred Guy (bj)
Disque: Classics 539 – 6 (3’02)

 

– Bird : Un événement contingent peut parfois orienté complètement une vie, ainsi, dans ce cas le retard conjoint du Duke et du boss.
 
– Cat : Rien ne résiste aux hommes de Madden. L’orchestre de Duke Ellington est contraint de terminer sa prestation à Philadelphie le 4 décembre 1927, et d’assurer ce jour-là, la première au “Cotton Club”. Ce n’est pas une réussite, exténués par le voyage, les musiciens ne sont pas au mieux de leur forme et déçoivent tout le monde. Heureusement, le critique de “Variety”, Abel Green s’appesantit plus sur les chanteurs et danseurs que sur l’orchestre, écrivant toutefois : “Avec l’orchestre de danse dirigé par Duke Ellington, Harlem a récupéré son bien après que Times Square l’ait accaparé durant plusieurs saisons au Club Kentucky. La musique de jazz d’Ellington est tout simplement formidable.”
 

7. « Jubilee Stomp » – Duke Ellington & his Orchestra – New York City, 19-01-1928
Pers. : Louis Metcalfe, “Bubber” Miley (tp) – Joe “Tricky Sam” Nanton (tb) – Otto Hardwicke (sa, ss, b-s, cl) – Harry Carney (sb, sa, ss, cl) – Rudy Jackson (cl, st) – “Duke” Ellington (p) – Fred Guy (g) – Wellman Braud (b) – “Sonny” Greer (dm)
Disque : LP33 Philips B 07363 L A-2 (2’44)

 

– Cat : Le danseur Earl “Snakehips” Tucker et la chanteuse Edith Wilson revêtue d’un costume suggestif et dont les couplets ne l’étaient pas moins, forment à eux seul un spectacle. De même le batteur d’Ellington, Sonny Greer, envoûte la salle par ses prestations. Ecoute le témoignage de son patron : “Chaque batteur débutant qui avait vu un jour Sonny Greer à son apogée était fasciné par son équipement et les professionnels en parlent encore. Il avait des carillons, des gongs, des timbales, des cymbales par douzaines semblait-il, des toms, des tambours, des grosses caisses, de quoi équiper une section entière de percussionnistes d’un orchestre symphonique. Et ce n’était pas seulement ornemental, il en tirait des effets ahurissants”.
Dans ce qui suit, nous retrouvons le « Duke » et son orchestre, présenté par Irving Mills dans « A Night at the Cotton Club » (1929) qui regroupe trois de ses créations, « Cotton Club Stomp« , « Misty Morning« , « Goin’ to Town« , et « Freeze and Melt« , signé Jimmy McHugh et Dorothy Fields. Dans la deuxième partie un intermède dû à un certain “Harmonica Charlie”. Les bruits d’ambiance et la présentation, tout concourt à une re-création sonore du “Cotton Club”. Dans « Misty Mornin’ » on perçoit le jeu d’accompagnement de Sonny Greer qui utilise allègrement la timbale.

 

8. « A Night At The Cotton Club » – Duke Ellington & his Orchestra – New York City, 12-04-1929
a)  Cotton Club Stomb – b) Misty Mornin’ – c) Goin’ To Town – d) Freeze And Melt
Pers. : Freddy Jenkins, Arthur Whetsol, “Cootie” Williams (tp) – “Tricky Sam” Nanton (tb) – Johnny Hodges (sa, ss) – Harry Carney (sb, sa, cl) – “Barney” Bigard (cl, st) – “Duke” Ellington (p) – Fred Guy (bj) – Wellman Braud (b) – “Sonny” Greer (dm) – Irving Mills (voc)
Disque : 2CD FA074 – CD1-1 (8’20)

 

– Bird : Très bonne reconstitution qui donne bien l’ambiance qui devait régner dans ce club.
 
– Cat : L’orchestre de Duke Ellington n’a pas encore atteint sa maturité, il est encore un peu “vert”. N’empêche qu’il plait au public et qu’il bénéficie du savoir-faire de son manager Irving Mills, compositeur et parolier, entre autre des couplets de « Sophisticated Lady« , « Mood Indigo » et « It Don’t Mean a Thing« . C’est vraisemblablement lui qui insuffle au Duke de jouer des airs évocateurs en correspondance avec le décor : « Jungle nights in Harlem« .

 

9. ″East St. Louis Toodle-Oo″ – The Duke Ellington Orchestra – 22-03-1927.
Pers. : Bubber Miley, Louis Metcalf (tp) – Joe “Tricky Sam” Nanton (tb) – Otto Hardwick (sa, ss, sb) – Harry Carney (sa, sb, cl) – Rudy Jackson (cl, st) – Duke Ellington (p, led) –Fred Guy (bj) – “Bass” Edwards (tub) – Sonny Greer (dm)
Disque : LP33 – Philips B 07363 L A-1 (3’04)

 

– Cat : Petit à petit, Duke Ellington entame une ascension irrésistible, grâce au bouche à oreille et par le biais des retransmissions radiophoniques qu’assure la station locale WHW, reprise plus tard par CBS pour l’ensemble des Etats-Unis.
 
– Bird : Déjà à cette époque, la radio joue un rôle de diffusion important.
 
– Cat : Ecoute ce que Gunther Schuller écrit dans “Early Jazz”, : “Etant donné que son orchestre faisait un succès au cours de son engagement historique au “Cotton Club”, Duke commença à étendre son champ d’action en attirant de nouveaux venus comme Bigard ou Hodges. Rapidement Arthur Wetsol revint (…) et à la fin de 1928, avec l’adjonction de Freddy Jenkins, la section de trompettes passa à quatre instrumentistes. Dorénavant chaque musicien était choisi par Duke en fonction d’une qualité propre ; et ce fut en 1927 et 1928 – l’imagination  enflammée par Miley (Bubber) et Nanton (Tricky Sam) et exaltée par le succès – qu’Ellington commença à prendre conscience des possibilités apportées par la composition et la coloration tonale. Ellington lui-même se posera LA question : “Quelquefois je me demande à quoi ressemblerait ma musique aujourd’hui si je n’avais pas été plongé dans les sonorités et l’ambiance générale créées par tous ces merveilleux artistes pleins de sensibilité et d’âme qu’étaient les chanteurs, les danseurs, les musiciens et les acteurs de Harlem lorsque j’y suis venu la première fois.[1].

 

10. Harlem River Quiver (Brown Berries)″ – Duke Ellington & his Orchestra – New York City, 19-12-1927
Pers. : Bubber Miley, Louis Metcalf (tp)-  Joe “Tricky Sam” Nanton (tb) – Otto Hardwick (sa, ss, sb) – Harry Carney (sa, sb, cl) – Rudy Jackson (cl, st) – Duke Ellington (p, led) –Fred Guy (bj) – William Braud (b) – Sonny Greer (dm)
Disque : CD FA074 – CD1-4 (2’49)

 

– Cat : Adoré par les jazzmen, il devient aux yeux de ses employeurs une valeur commerciale sure. Le 2 mars 1930 le nouveau spectacle “The Blackberries of 1930” porte en sous-titre : “Special Restricted Music by Duke Ellington, lyrics by Irving Mills”. Si la paie n’est pas conséquente, les pourboires constituent un apport non négligeable : après lui avoir demandé d’interpréter durant toute la nuit ″St Louis Blues″ (propice à ses évolutions chorégraphiques en compagnie de sa favorite de l’heure, Kiki Roberts), Jack “Legs” Diamond[5], aussi porté sur la danse que sur l’usage de la mitraillette,  remit, dit-on, au Duke un billet de 1.000 dollars à titre de remerciement. Suivi d’un second “pour s’acheter des cigares”…
 
– Bird : Nous sommes en pleine Dépression[6], si j’ai bonne mémoire. Cela affecte-t-il le ″Cotton Club″ ?
 
– Cat : Non, pas spécialement. En décembre 1932, il prend l’initiative d’organiser une distribution de paniers-repas aux déshérités de Harlem. Il devient le pivot d’un quartier transformé en centre de toutes les distractions. Ecoute ce qu’en dit le Duke : “Le “Cotton Club” était un endroit possédant une certaine classe. Une tenue impeccable était imposée dans la salle pendant que le show se déroulait. Si quelqu’un parlait trop fort alors que Leïtha Hill, par exemple, chantait, le serveur venait et lui touchait l’épaule. Si le contrevenant n’obtempérait pas, le maître d’hôtel arrivait à son tour pour lui faire poliment remarquer son incorrection. Si cela ne suffisait pas, le chef de rang lui signifiait qu’il avait déjà été  rappelé à l’ordre. A la fin si le perturbateur insistait, quelqu’un survenait et le mettait dehors.”[2]
 
– Bird : Derrière la façade brutale de l’homme, il reste toujours une part d’humanité.
 
– Cat : Il n’empêche. Si toutes les attractions étaient toujours assurées exclusivement par des gens de couleur, aucun autre club ne menait semblable politique de ségrégation entre artistes et public. Blanc dans son immense majorité. Cab Calloway relate: “Les dimanches soirs, il était très difficile d’entrer. Une foule de Noirs appartenant à la communauté de Harlem se pressait pour voir arriver les limousines – Cadillac, Rolls-Royce ou Dusenberg d’une dimension ahurissante – et les célébrités qu’elles amenaient. Tout le monde venait, Lady Mounbatten se rendit au “Cotton Club” et le surnomma “The Aristocrat of Harlem” ″[3].

 

11. ″Prohibition Blues″ – The Missourian – New York City, 17-02-1930
Pers. : Roger Q. Dickerson, Lammar Wright (tp) – De Priest Wheeler (tb) – William Thornton Blue (cl, sa) – Andrew Brown (cl, sa sb) – Walter Thomas (cl, sa, st, sb) –Earres Prince (p) – Morris White (bj) – Jimmy Smith (b) – Leroy Maxey (dm) – Lockwood Lewis (lead)
Disque : 2CD FA074 CD1-6 (3’20)

 

– Cat : Tout à une fin. Le 6 février 1931, après avoir accompagné Maurice Chevalier, Duke Ellington part à Hollywood afin de tourner dans un film, “Check and Double Check”.
 
– Bird : Qui va occuper l’estrade désertée ?
 
– Cat : C’est l’incontournable chanteur-danseur-animateur Cab Calloway qui prend la relève. A la demande du directeur du “Savoy”, il avait pris en main l’orchestre des “Missourians” pour lui redonner un peu de tonus. C’est avec cet ensemble, licencié quelques années auparavant, qu’il franchit les portes du “Cotton Club”. Lors de sa première soirée, il accumule gaffe sur gaffe. Heureusement son dynamisme, son charisme et la qualité de sa musique le sauve.

 

12. ″Harlem Camp Meeting – Cab Calloway & his Cotton Club Orchestra – New York City, 2-11-1933.
Pers. : Edwin Swayzee, Lammar Wright, Doc Cheatham (tp) – De Priest Wheeler, Harry White (tb) – Eddie Berrefield (cl, sa, sb) – Andrew Brown (b-cl, sa, b-s) Arville Harris (cl, sa) – Walter Thomas (cl, st, fl) – Bennie Payne (p) – Morris “Fruit” White (bj, g) – Al Morgan (b) – Leroy Maxey (dm) – Cab Calloway (voc, lead) – Harry White (arr)
Disque : 2CD FA074 – CD-16 (3’08)

 

– Cat : Au retour de Duke, Calloway et ses hommes vont s’installer au tout nouveau “Plantation Club” destiné à concurrencer le “Cotton Club”. “Un soir débarqua une bande de types. Toutes les tables et les chaises furent réduites en petit bois, les bouteilles et les verres brisés, même le bar fut arraché du sol et mis sans dessus-dessous. Quand ils eurent fini avec le “Plantation Club”, la rue était encore l’endroit le plus confortable[4]. La libre concurrence n’entrait pas dans les mœurs d’Owen Madden qui, à la fin de 1933, après un bref séjour volontaire à Sing-Sing dû à un problème fiscal, goûtera une retraite paisible dans l’Arkansas.
 
– Bird : C’est un monde sans pitié, pas question de marcher sur les plates-bandes du voisin.
 
– Cat : Le Duke s’absente une fois encore, laissant à nouveau la place à Cab. La revue présentée à l’automne de l’année suivante consacrera définitivement son accession au rang de vedette grâce à la chanson ″Minnie the Moocher″. L’interjection “Hi-De-Hi-De-Hi-De-Ho” lancée à la suite du couplet et reprise en chœur par l’orchestre fit de Cab le “Hi-De-Ho Man”.

 

13. ″Minnie The Moocher″ – Cab Calloway & his Cotton Club Orchestra – New York City, 3-03-1931.
Pers. : Roger Q. Dickerson, Lammar Wright, Wendell Culley (tp) – De Priest Wheeler (tb)  – Andrew Brown (b-cl, sa, b-s) Arville Harris (cl, sa) – Walter Thomas (cl, sa, st, b-s) – Earres Prince (p) – Morris “Fruit” White (bj, g) – Jimmy Smith (b) – Leroy Maxey (dm) – Cab Calloway (voc, lead)
Disque : 2CD FA074 – CD-7 (3’15)

 

– Bird : Evidemment, qui ne connaît pas cette chanson. Elle a fait le tour du monde à son époque. On en retrouve une version dans le film ″The Blues Brother″  de John Landis, sorti en 1980.
 
– Cat : Désormais, au même titre que Duke Ellington, il devient l’un des permanents du “Cotton Club”, avec le “Mills Blue Rhythm Band”, patronné par Irving Mills, comme orchestre de remplacement.

 

14. ″Moanin’″ – Mills Blue Rhythm Band – New York City, 18-06-1931
Pers. : Wardell Jones, Shelton Hemphill; Ed Anderson (tp) – Harry White, Henry Hicks (tb) – Charlie Holmes (cl, sa, sb) – Ted McCord, Castor McCord (cl, st) – Edger Hayes (p) – Benny James (bj) – Hayes Alvis (b) – Willie Lynch (dm) – George Morton (voc)
Disque : 2CD FA 074 – CD1-9 (3’21)

 

– Cat : Amuseur dans son habit à queue de pie blanc, Cab Calloway dépense une incroyable vitalité sur scène. Débitant un flot de paroles absurdes ou de syllabes insensées, sautant, dansant, s’agitant en tous sens il est suffisamment pittoresque pour s’attirer les bonnes grâces d’une clientèle qui, en sa grande majorité, oublie quel fantastique chef d’orchestre il était aussi. Un nombre d’instrumentistes remarquables se sont retrouvés dans ses rangs. De plus, il sut pressentir les talents d’une jeune chanteuse, Lena Horne, qu’il encourage et impose en remplacement d’Aïda Ward malade.

 

15. ″As Long As I Live″ – Lena Horne acc. par The Horace Henderson Orchestra, Hollywood, 21-11-1944.
Pers. : Lena Horne (voc) – Clyde Hurley, Jake Porter, Fred Trainer (tp) – Randy Miller (tb) – Les Robinson, Wayne Songe, Illinois Jacquet, Jack Stacy, Neely Plumb (s) – Nellie Lutcher (p) – Dave Barbour (g) – John Simmons (b) – Sidney Catlett (dm) – prob. Lennie Hayton (arr.)
Disque : 2CD FA074 – CD1-17 (2’51)

 

– Bird : Elle a une voix agréable, sans beaucoup de swing, bien dans le style de l’époque.
 
– Cat : La revue du printemps 1933 voit le retour du Duke. Ethel Waters y fait un triomphe avec ″Stormy Weather″ écrit spécialement, en une demi-heure, par Harold Arlen et Ted Koehler. Du coup Irvin Berlin l’engage pour jouer dans sa prochaine revue.

 

16. ″Stormy Weather″ – Ethel Waters – New York City, 3-05-1933
Pers. : prob. Sterling Bose ou Bunny Berigan (tp) – Tommy Dorsey (tb) – Jimmy Dorsey (cl, sa) – Larry Binyon (cl, st) – Joe Venuti et/ou Harry Hoffman (vl) – Fulton McGrath (p) – Artie Bernstein (b) – Stan King ou Chancey Morehouse (dm)
Disque : 2CD FA074 – CD1-10 (3’11)

 

– Bird : Le style est différent. La voix est plus dramatique, même un gouailleuse. On comprend qu’elle emporta un certain succès avec cette chanson.
 
– Cat : En janvier 1934, l’orchestre de Cab Calloway laisse la place à un ″big-band″ dirigé par un personnage en parfais contraste avec son prédécesseur. Il s’agit de Jimmy Lunceford, au sourire figé, agitant son immense baguette sous le nez de ses musiciens. Ancien enseignant, il impose une discipline de fer et son intransigeance ne laisse rien au hasard. Nous en parlerons plus longuement lorsque nous aborderons la naissance des ″big-bands″
 

17. ″Breakfast Ball″ – Jimmie Lunceford & his Orchestra – New York City, 20-03-1934
Pers.: Eddie Tomkins, Tommy Steveson (tp) – Sy Oliver (tp, arr, voc) – Henry Wells, Russell Bowles (tb) – Willie Smith (cl, sa) – Earl Carruthers (cl, sb) – Joe Thomas (cl, sb) – Eswin Wilcox (p) – Al Norris (g) – Moses Allen (b) – Jimmy Crawford (dm) – Jimmie Lunceford (lead)
Disque : 2CD FA 074 – CD1-16 (3’05)

 

– Bird : On sent cette rigueur dans ce morceau. Tout y est mis bien en place. Cà swingue. On a envie de danser !
 
– Cat : Les choses commencent à se gâter à Harlem. Avec l’apparition de tueurs fous comme Vince Coll dit “Mad Dog”, la guerre des gangs a pris une intensité qui rend les rues de Harlem dangereuses pour les noctambules. De plus, le 19 mars 1935, une émeute raciale d’une rare violence éclate. Prudemment, le 16 février 1936, le “Cotton Club” ferme ses portes… pour les rouvrir à la fin de l’année, avec une formule inchangée, dans un lieu moins exposé :  sur Broadway, à l’intersection de la 7ème Avenue et de la 48ème Rue. A l’origine baptisé le “Palais Royal”, l’endroit avait abrité en 1933 et 1934 le “Connie’s Inn” rebaptisé “Harlem Club” avant de se transformer en une boîte de travestis, l’“Ubangi Club”.
 
– Bird : Durant ces années de Récession, Harlem a vu pas mal de drames, chaque clan voulant empiéter sur le terrain des autres. Ils utilisaient les grands moyens comme cela s’est vu dans d’autres villes comme Chicago. Il ne faisait pas bon vivre à cette époque.
 
– Cat : L’illustre danseur Bill “Bojangles” Robinson[7] est engagé ; Cab Calloway revient pour raconter pratiquement tous les soirs l’histoire de Minnie the Moocher accompagnée d’autres chansons comme Hi-De-Ho Miracle Man.

 

18. ″Doin’ The New Low Down″ – Bill Robinson acc. par Irving Mills & his Hotsy-Totsy Gang – New York City, 3-10-1929
Pers. : Bill Robinson (tap dance) – poss. Manny Klein, Phil Napoleon (tp) – Miff Mole (tb) – Arnold Brilhard (cl, sa) – Larry Binyon (st) – inconnu (p) – inconnu (g) – Joe Tarto (b) – Chauncey Morehouse (dm)
Disque : 2CD FA074 – CD1-8 (3’06)

 

– Bird : C’était la grande mode du ″tap dancing[8], et je pense que ces danseurs de claquettes ont dû ouvrir la voie à des célébrités comme Fred Astaire et Gene Kelly.
 
– Cat : Le spectacle de 1935 réunit, une quantité encore inégalée de vedettes : Duke Ellington, Ivie Anderson, Ethel Waters, les ″Nicholas Brothers″ et Bill Bailey. Le succès rencontré est immense et l’on verra même dans la salle le chef d’orchestre classique Leopold Stokowski. A l’automne, Bill Robinson devrait être de retour mais les tractations avec Darryl Zanuck qui l’emploie à Hollywood sont ardues. ″Bojangles″ a de grandes exigences, réclamant 3.500 dollars par semaine. Tout est accepté mais, au dernier moment, Zanuck le rappelle et, un temps, les ″Nicholas Brothers″ le remplacent.

 

19. ″They Say He Ought To Dance″ – The Nicholas Brothers – New York City, 6-12-1937
Pers. : Harold Nicholas, Fayard Nicholas (voc, tap dance) – acc. par: Bobby Hackett, Ralph Muzillo (tp) – Al Philburn (tb) – Don Watt (cl) – Frank Signorelli (p) – Dave Barbour (g) – Haig Stephens (b) – Stan King (dm)
Disque : 2CD FA074 – CD2-9 (3’10)

 

– Cat : Au printemps 1938, est confié à Duke Ellington la tâche de composer la musique d’un spectacle de deux heures. Il y présente des thèmes comme ″If You Were in my Place″ et ″Braggin’ in Brass″. Tout en accompagnant les imposantes Peter Sisters dans la démonstration d’une nouvelle danse, le “Skrontch”.

 

20. ″Braggin’ In Brass″ – Duke Ellington & his Orchestra – New York City, 3-03-1938
Pers. : Wallace Jones, Cootie Williams, Harold “Shorty” Baker (tp) – Rex Stewart (crt) – Joe Nanton, Lawrence Brown (tb) – Juan Tizol (v-t) – Barney Bigard (cl) – Johnny Hodges (cl, ss, sa) – Harry Carney (cl, sa, sb) – Otto Hardwick (sa, b-s) – Duke Ellington (p) – Fred Guy (g) – Hayes Alvis, Billy Taylor (b) – Sonny Greer (dm)
Disque : Naxos 8.120706 – 4 (2’44)

 

– Bird : C’est vraiment une époque magnifique pour les amateurs de jazz. Quelle créativité !
 
– Cat : Le 29 avril, Duke fête son 39ème anniversaire et, à cette l’occasion, la BBC retransmet le spectacle sur les ondes européennes. L’une des grandes attractions d’alors était “Peg Leg” Bates. Unijambiste depuis l’enfance, il était néanmoins devenu danseur de claquettes. Possédant treize jambes de bois de teintes différentes pour mieux les assortir à son costume, il triomphait sur ″I’m Slappin’ Seventh Avenue with the Sole of my Shoe″ qu’enregistrera Duke. Pourquoi modifier une équipe gagnante ? A l’occasion du nouveau spectacle d’automne, Calloway alterne avec Ellington en compagnie de Sister Rosetta Tharpe et des Dandridge Sisters.

 

21. ″Shout, Sister, Shout″ – Sister Rosetta Tharpe acc. par Lucky Millinder & his Orchestra – New York City, 5-09-1941
Pers. : Sister Rosetta Tharpe (g, voc) – William Scott, Archie Johnson, Nelson Bryant (tp) – George Stevenson, Floyd Brody, Edward Morant (tb) – Ted Barnett, George James (sa) – Stafford Simon (st) – Ernest Purce (sb) – Bill Doggett (p) – Trevor Bacon (g) – Abe Bolar (b) – Panama Francis (dm) – Lucky Millinder (lead)
Disque : 2CD FA074 – CD2-13 (2’43)

 

– Bird : Elle a tout a fait le style d’un évangéliste itinérant comme nous l’avons vu dans le dialogue sur les ″negro-spirituals″.
 
– Cat : Effectivement, plus tard elle abandonnera la chanson profane pour la musique religieuse.
1939 est l’année de l’Exposition Universelle de New York. Le 29 mars à minuit débute “The World’s Fair Edition of the Cotton Club Parade”. Duke Ellington pris par d’autres engagements laisse à nouveau la place à Cab Calloway. La direction décide alors de déroger à ses principes en laissant le club ouvert l’été avec, comme orchestre, l’un des fleurons du jazz de Kansas City, “Andy Kirk and His Twelve Clouds of Joy”.

 

22. ″Big Jim Blues″ – Andy Kirk & his Twelve Clouds of Joy – New York City, 15-11-1939
Pers. : Clarence Trice, Earl Thompson, Harry Lawson (tp) – Ted Donnelly, Henry Wells (tb) – John Harrington (cl, sa, sb) – Earl Miller (sa) – Dick Wilson, Don Byas (st) – Maru Lou Williams (p) – Floyd Smith (el-g) – Booker Collins (b) – Ben Thigpen (dm) – Andy Kirk (lead)
Disque : 2CD FA074 – CD2-14 (2’57)

 

– Cat : Malgré cela,  les affaires deviennent de plus en plus difficiles : le loyer de la salle est exorbitant, les charges salariales ne cessent de croître. Le 14 juillet 1939, la direction du club est accusée de fraude fiscale et se retrouve dans la ligne de mire du fisc. Dans un dernier sursaut, la décision est prise de présenter en alternance deux shows différents. Seul rescapé de la grande époque, Bill Robinson et son alter ego, l’acteur Steppin’ Fetchit qui avait gagné une fortune à Hollywood, en incarnant à l’écran une série caricaturale sur les Noirs. Fini les grands ensembles qui ont fait les beaux jours du club. Louis Armstrong, la star des stars, est sollicité, pour accompagner ces vedettes de la scène. Il dirige son propre orchestre.

 

23. ″Bye and Bye″ – Louis Armstrong & his Orchestra – New York City, 15-12-1939
Pers. : Louis Armstrong (tp, voc) – Shelton Hemphill, Bernard Flood, Henry Allen (tp) – Wilbur de Paris, George Washington, J.C. Higginbotham (tb) – Charlie Holmes, Ruppert Cole (cl, sa) – Joe Garland, Bingie Madison (st) – Luis Russell (p, arr) – Lee Blair (g) – Pops Foster (b) – Sidney Catlett (dm)
Disque : 2CD FA074 – CD2-18 (2’33)

 

– Bird : Il est regrettable que les grands, à part ″Satchmo″ n’aient pu continuer à animer cet établissement mythique du monde du jazz. Mais, il y a une fin à tout.
 
– Cat : On verra tout de même quelques pointures comme la délicieuse chanteuse Maxine Sullivan, partenaire, dans le film “Goin’ Places”, de ″Satchmo″ qu’elle côtoiera de nouveau à Broadway dans une adaptation du “Songe d’une nuit d’été” de Shakespeare, “Swinging the Dream”.
Une autre vocaliste fort talentueuse, Midge Williams, ainsi que la danseuse Princess Vanessa et bien d’autres feront encore les belles nuits du ″Cotton Club″ pendant quelques mois. Le morceau suivant, assez japonisant est dû à la chanteuse Midge Williams. Il a été enregistré au Japon, ce qui explique peut-être le style.

 

24. ″Lazy Bones″ – Midge Williams – Tokyo, 12-1933
Pers. : Midge Williams (voc) – pers. Inconnu : 2tp – 1tb – 1cl-sa – 1sa – 1vl-st – p – g – b – dm-vib
Disque : 2CD FA074 – CD2-15 (3’31).

 

– Bird : Ce n’est vraiment pas emballant, mais il faut plaire à tous les publics.
 
– Cat : Malgré un succès qui ne se dément pas, l’affaire devient de moins en moins rentable. Le goût du public évolue, les revues perdant un peu de leurs attraits. Le 10 juin 1940, décision est prise de laisser à jamais les portes closes. Ainsi disparaît un des hauts lieux du jazz, de la danse et de la variété afro-américaine.
En 1985, le réalisateur Francis Coppola sort le film, “Cotton Club”, à partir d’un scénario inspiré par le livre homonyme de Jim Haskins. La musique est exécutée par le “New York Repertory Company”, et les évocations visuelles de Duke Ellington et de Cab Calloway n’ont rien de ridicule. Les nombreuses séquences de “tap dance” sont autant de réussites. Mais ce n’est qu’une reconstitution. Seule la musique de l’époque est à même de faire revivre, sans faux-semblants, le “Cotton Club
 
– Bird : Ce fut une très agréable soirée, en compagnie d’artistes de renom que malheureusement on ne retrouve plus à notre époque.
 
– Cat : Terminons cet entretien avec le grand Duke Ellington, qui fera l’objet de plusieurs dialogues étant donné l’ampleur de son oeuvre. Duke Ellington est le prototype du composteur afro-américain qui revendique une véritable « musique du Noir américain ». Beaucoup de ses thèmes retracent l’histoire et la vie de ses compatriotes, surtout ceux d’Harlem qu’il traduit en un « style jungle ». Le voici dans l’un de ses plus célèbres thèmes, « The Mooche« .

 

25. « The Mooche » – Duke Ellington & his Orchestra, New York City, 01-10-1928
Pers. : Duke Ellington (p, arr, lead) – Jabbo Smith, Louis Metcalf – Arthur Whetsel (tp) – Joe “Tricky Sam” Nanton (tb) – Rudy Jackson (cl, st) – Johnny Hodges (ss, sa)  – Fred Guy (bj) – Lonnie Johnson (g) – Henry “Bass” Edwards (tub) – Sonny Greer (dm) – Baby Cox (voc)
Disque : LP Philips B 07363 L – A-5(/p>
 
 
BIBLIOGRAPHIE
 
1) Morris R. L.  (2002) – Le Jazz et les Gangsters, Le Passage.
 
2) Livret du coffret « Cotton Club Harlem 1924 – Broadway 1936 »
 
 
 
Discographie
 
1)The Works of Duke – Integrale – Vol. 14 – « Take the ″A″ Train  » – Duke Ellington & his Orchestra
LP33T/30 cm – RCA FXM1 7134 – A-5 (2’54)
 
2) Cotton Club Harlem 1924 – Broadway 1936 – “Snag ‘Em Blues” – The Cotton Club Orchestra
2CD Frémeaux & Associés FA 074 – CD1-2 (3’00)
 
3) The Missourians (1929-1930) – « Market Street Stomp« 
LP33T/30 cm RCA Série Black and White Vol. 119 – A-1 (3’23)
 
4) The Works of Duke – Integrale – Vol. 1– « I Can’t Give You Anything But Love” – Duke Ellington & his Orchestra
LP33T/30 cm – RCA 741 028 – A-7 (3’02)
 
5) Cotton Club Harlem 1924 – Broadway 1936 – ″Feelin’ The Spirit″ – Luis Russell & his Orchestra
2CD Frémeaux & Associés FA 074 – CD1-5  (3’08)
 
6) Duke Ellington and his Orchestra 1924-1927 – ″I’m Gonna Hang Around My Sugar″ – The Washingtonians
CD Classics 539 – 6 (3’02)
 
7) The Duke Ellington Story – Vol. 1- 1927-1939 – « Jubilee Stomp » – Duke Ellington & his Orchestra
LP33T/30 cm – Philips B 07363 L – A-2 (2’44)
 
8) Cotton Club Harlem 1924 – Broadway 1936 – « A Night At The Cotton Club – Part 1 » – Duke Ellington & his Orchestra
2CD Frémeaux & Associés FA 074 – CD1-1 (8’20)
 
9) The Duke Ellington Story – Vol. 1- 1927-1939 – East St. Louis Toodle-Oo″ – The Duke Ellington Orchestra
LP33T/30 cm – Philips B 07363 L – A-1 (3’04)
 
10) Cotton Club Harlem 1924 – Broadway 1936 – ″Harlem River Quiver (Brown Berries)″ – Duke Ellington & his Orchestra
2CD Frémeaux & Associés FA 074 – CD1-4 (2’49)
 
11) Cotton Club Harlem 1924 – Broadway 1936 – ″Prohibition Blues″ – The Missourian
2CD Frémeaux & Associés FA 074 – CD1-6 (3’20)
 
12) Cotton Club Harlem 1924 – Broadway 1936 -″Harlem Camp Meeting – Cab Calloway & his Cotton Club Orchestra
2CD Frémeaux & Associés FA 074 – CD1-16 (3’08)
 
13) Cotton Club Harlem 1924 – Broadway 1936 -″Minnie The Moocher″ – Cab Calloway & his Cotton Club Orchestra
2CD Frémeaux & Associés FA 074 – CD1-7 (3’15)
 
14) Cotton Club Harlem 1924 – Broadway 1936 – ″Moanin’″ – Mills Blue Rhythm Band
2CD Frémeaux & Associés FA 074 – CD1-9 (3’21)
 
15) Cotton Club Harlem 1924 – Broadway 1936 – ″As Long As I Live″ – Lena Horne acc. par The Horace Henderson Orchestra
2CD Frémeaux & Associés FA 074 – CD1-17 (2’51)
 
16) Cotton Club Harlem 1924 – Broadway 1936 -″Stormy Weather″ – Ethel Waters
2CD Frémeaux & Associés FA 074 – CD1-10 (3’11)
 
17) Cotton Club Harlem 1924 – Broadway 1936 -″Breakfast Ball″ – Jimmie Luncefort & his Orchestra
2CD Frémeaux & Associés FA 074 – CD1-18 (3’05)
 
18) Cotton Club Harlem 1924 – Broadway 1936 – ″Doin’ The New Low Down″ – Bill Robinson acc. par Irving Mills & his Hotsy-Totsy Gang
2CD Frémeaux & Associés FA 074 – CD1-8 (3’06)
 
19) Cotton Club Harlem 1924 – Broadway 1936 – ″They Say He Ought To Dance″ – The Nicholas Brothers
2CD Frémeaux & Associés FA 074 – CD2-9 (3’10)
 
20) Duke Ellington – Classic Recordings Vol. 5: 1938 – Braggin’ In Brass″ – Duke Ellington & his Orchestra
Naxos Jazz Legends 8.120706 – 4 (2’44)
 
21) Cotton Club Harlem 1924 – Broadway 1936 -″Shout, Sister, Shout″ – Sister Rosetta Tharpe acc. par Lucky Millinder & his Orchestra
2CD Frémeaux & Associés FA 074 – CD2-13 (2’43)
 
22) Cotton Club Harlem 1924 – Broadway 1936 – ″Big Jim Blues″ – Andy Kirk & his Twelve Clouds of Joy
2CD Frémeaux & Associés FA 074 – CD2-14 (2’57)
 
23) Cotton Club Harlem 1924 – Broadway 1936 – ″Bye and Bye″ – Louis Armstrong & his Orchestra
2CD Frémeaux & Associés FA 074 – CD2-18 (2’33)
 
24) Cotton Club Harlem 1924 – Broadway 1936 – ″Lazy Bones″ – Midge Williams
2CD Frémeaux & Associés FA 074 – CD2-15 (3’31)
 
25) The Duke Ellington Story – Vol. 1- 1927-1939 – « The Mooche » – Duke Ellington & his Orchestra
LP33T/30 cm – Philips B 07363 L – A-5 (3’09)
 
 

NOTES


[1] Duke Ellington : “Music is my Mistress”, Doubleday and Company Inc., NY, 1973.
 
[2] id.
 
[3] Cab Calloway and Bryant Rollins : “Of Minnie the Moocher and Me”, Thomas Cromwell Company, NYC, 1976.
 
[4] Témoignage d’Harold Arlen reproduit in Jervis Anderson “This Was Harlem”, op. cité.
 


[1] La prohibition aux Etats-Unis
En 1919, une loi américaine interdit la consommation de l’alcool et donc sa vente ; cette loi fut appliquée pendant quatorze ans : Nul ne devra fabriquer, vendre, échanger, transporter, importer, exporter, livrer, fournir ou posséder une boisson alcoolisée quelconque sauf dans les cas prévus par la loi. Il sera illégal de faire de la publicité, de fabriquer, vendre ou posséder dans l’intention de le vendre tout ustensile, appareil, machine, préparation… destiné à être utilisé pour la fabrication illégale des boissons alcoolisées. Toute salle ou maison, tout bâtiment, bateau, véhicule, édifice ou endroit où des boissons alcoolisées sont fabriquées, vendues, entreposées, ou échangées, est déclaré contraire à l’intérêt public, et toute personne qui se rendra coupable sera passible d’une amende pouvant excéder mille dollars ou d’une peine de prison ne pouvant excéder un an, ou des deux.
 
Source : http://tnhistoiredocuments.tableau-noir.net/pages/la_prohebition_aux_etats_unis.html

 

[2] Jack Johnson (*31/03/1878, Galveston – …10/06/1946, Texas) : boxeur noir américain, surnommé le ″Géant de Galveston”. Il fut le premier champion du monde poids lourds noir entre 1908 et 1915. Il disputa 123 combats pour 89 victoires (49 par KO), 14 défaites et 12 nuls
Johnson remporta son premier titre le 3 février 1903 en battant « Denver » Ed Martin en 20 reprises pour le Colored Heavyweight Championship. Il défia alors le tenant du titre mondial, James J. Jeffries, mais ce dernier refusa le combat. Les boxeurs noirs pouvaient boxer contre les boxeurs blancs dans les catégories autres que poids lourds, la plus prestigieuse des catégories. Johnson brisa ce tabou en affrontant le 26 décembre 1908 le Canadien Tommy Burns à Sidney. Le combat dura 14 rounds, avant que la police n’intervienne pour l’interrompre. Les arbitres attribuèrent alors le titre à Johnson sur décision. De fait, Johnson avait puni son adversaire et l’avait mis KO technique
En 1909, il bat Victor McLaglen, Frank Moran, Tony Ross, Al Kaufman, et le champion poids moyen Stanley Ketcher.
 
Le combat du siècle
En 1910, l’ancien champion invaincu des poids lourds James J. Jeffries sort de sa retraite et annonce « Je vais combattre dans le seul but de prouver qu’un homme blanc est meilleur qu’un Nègre »[]. Jeffries n’avait pas combattu depuis six ans et dut perdre environ 100 pounds pour faire le poids. Il semblait avoir le support de tous les Blancs américains et de tous les médias, ainsi Jack London écrivit : « Jeffries gagnera sûrement car l’homme blanc a 30 siècles de traditions derrière lui – tous les efforts suprêmes, les inventions et les conquêtes, et, qu’il le sache ou pas, Bunker Hill et Thermopylae et Hastings et Agincourt ».
Le combat eut lieu le 4 juillet 1910 devant 22.000 spectateurs sur un ring monté pour l’occasion à Reno (Nevada). On pouvait entendre dans la salle le morceau « All coons look alike to me« , un des titres phares du genre de musique Coon song caractérisée par sa présentation raciste des Noirs américains. Les promoteurs du combat incitèrent même le public entièrement blanc à chanter « Tuez le nègre ! »,[] avant et pendant le combat. Jeffries alla deux fois au tapis lors des 15 premières reprises de ce combat, ce qui ne lui était jamais été arrivé dans sa carrière. Son encadrement le poussa à l’abandon. Cette victoire de Johnson lui permit d’empocher 60.000 dollars et de faire taire les critiques à propos de son titre face à Burns. Nombre de spécialistes, faisant ouvertement preuve de racisme, n’admettaient pas qu’un boxeur noir fût champion du monde des poids lourds, et considéraient le match Burns-Johnson comme non significatif. Pour eux, Jeffries était le champion invaincu. L’annonce de cette victoire fut marquée par des agressions racistes de Blancs sur des Noirs à travers tous les Etats-Unis[], principalement dans l’Illinois le Missouri, l’Ohio, la Pennsylvanie, le Colorado, le Texas et les villes New York et Washington. Le poète noir William Waring Cuney publia un poème pour marquer ces évènements : My Lord, What a Morning. Certains Etats américains interdirent la diffusion du film du match puis interdirent que les rencontres de Johnson contre des boxeurs blancs soient filmées. En 2005, le film de ce match historique fut placé sur la liste du National Film Registry.
 
Johnson défraya de nouveau la chronique en épousant une femme blanche. Il dut fuir au Canada puis en France afin d’éviter la prison pour une violation de la loi Mann qui interdit le transport de femmes à travers les états en vue de prostitution ou d’actes dits « immoraux », faits qu’il réfute mais qui le condamnent à 1 an de prison.
Johnson perd son titre le 5 avril 1915 face à Jess Willard lors d’un match disputé à La Havane (Cuba) devant 25.000 spectateurs. Prévu en 45 reprises, ce combat est arrêté après 26 reprises à la suite du KO de Johnson.
Johnson revient aux Etats-Unis en 1920 où il purge un an de prison pour avoir épousé une femme blanche. Il divorce en 1924 et meurt dans un accident de la route en 1946. Il fut introduit au Panthéon de la boxe en 1954. Une pièce de théâtre d’Howard Sackler, The Great White Hope (L’Insurgé), raconte sa carrière
(d’ après : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jack_Johnson_(boxeur))
 
En 1970, Miles Davis et quelques musiciens dont Billy Cobham, Herbie Hancock, Wayne Shorter, rendront hommage au boxeur en enregistrant ″Jack Johnson Sessions″, dont les morceaux étaient inédits jusqu’en 2003.

 

[3] Jimmy McHugh (*10/07/1894, Boston, Massachusetts – …23/05/1969, Beverly Hill, Los Angeles) : compositeur américain. Il est l’auteur de nombreux standards joués par de nombreux musiciens de jazz, dont les plus connus sont : ″You’re a Sweetheart″, ″Don’t Blame Me″, ″I Can’t Give Yoy Anything But Love″, ″Exactly Like You″, ″On the Sunny Side of the Street″.

 

[4] Harold Arlen (*15/02/1905, Buffalo, Etat de New York – …23/04/1986, New York) : un des compositeurs américains les plus importants du XXe siècle avec plus de 400 chansons dont certaines ont fait le tour du monde et ont été reprises par de nombreux musiciens de jazz. Over The Rainbow, extraite de la comédie musicale ″Le Magicien d’Oz″, a été votée par la RIAA (Recording Industry Association of America) la 20ème chanson américaine la plus importante. Ses compositions sont devenues des standards de jazz grâce à sa facilité à intégrer des éléments de blues dans le répertoire du Great American Songbooks. Parmi les plus connues, citons : ″Blues in the Night″ (1941), paroles de Johnny Mercer ; ″Come Rain or Come Shine″, paroles J. Mercer ; ″Get Happy″ (1930), paroles Ted Koehler ; ″I Gotta Right to Sing the Blues″, paroles T. Koehler ; ″It’s Only a Paper Moon″, paroles E.Y. Harburg, Billy Rose ; ″Let’ Fall in Love″, paroles T. Koehler ; ″Over the Rainbow″, paroles E.Y. Harburg ; ″Sing My Heart″, paroles T. Koehler ; ″Stormy Weather″ (1933), paroles T. Koehler.

 

[5] Jack  » Legs  » Diamond  (*10-07-1897 – …18-12-1931, New York) : gangster irlando-américain, connu sous le nom de Gentleman Jack, pendant l’époque de la prohibition. Bootlegger et proche associé de Arnold Rothstein, qui faisait dans le jeu, Diamond a survécu à de nombreuses tentatives de meurtres entre 1919 et 1931, lui donnant la réputation de « pigeon d’argile de la pègre » (clay pigeon of the underworld). En 1930, Dutch Schultz fit remarquer à son gang, « N’y a-t-il donc personne ici qui puisse abattre ce type sans qu’il en ressorte ? » (ain’t there nobody that can shoot this guy so he don’t bounce back). Remarquons que Jack Diamond n’était pas lié à Stanley Diamond, membre de la famille Lucchese.
Jack Moran, Diamond rejoint rapidement un gang des rues de New York appelé les Hudson Dusters. Il servit quelques années plus tard dans l’armée des Etats-Unis, mais déserta ; il fut jugé et emprisonné comme déserteur en 1918-1919. À sa sortie de prison, il fut recruté par « Little Augie » Jacob Orgen pour assassiner un ennemi. Diamond devint le garde du corps d’Augie. Il fut touché par balles à deux reprises lorsque Orgen fut tué par Louis Bulchalter, qui essayait de s’approprier certains des rackets
Diamond était connu pour son train de vie extravagant. Individu très énergique, son surnom de « Legs » vient, soit du fait qu’il était bon danseur, soit de sa rapidité à échapper à ses ennemis. Pour un gangster, Diamond était réputé plutôt loyal, mais il ne répugnait pas à doubler quelqu’un quand le besoin s’en faisait sentir. Sa femme Alice Diamond n’a jamais soutenu son style de vie, mais n’essaya pas non plus de l’en dissuader. Diamond était un coureur de jupons, dont la maîtresse la plus connue était la danseuse Marion « Kiki » Roberts. Le public aimait Diamond : c’était l’une des plus grandes célébrités au Nord de New-York.
 
La prohibition
A la fin des années 1920, avec la mise en place de la prohibition, la vente d’alcool devint illégale aux Etats-Unis, ce qui n’empêcha pas des gens comme Diamond de continuer le business. Il voyagea en Europe pour quelques mois, espérant pouvoir acheter de la bière et des narcotiques, mais il rentra bredouille. Après la mort d’Orgen, Diamond essaya de superviser les ventes d’alcool au centre-ville de Manhattan. Il entra en conflit avec Dutch Schultz qui essayait à ce même moment d’agrandir son territoire de Harlem, mais aussi avec d’autres gangs de la ville. On tenta de l’abattre après qu’il eut manqué de faire un paiement, à l’hôtel Monticello. Il est donc allé plus au nord, vers les montagnes Catskill, pour tenter d’échapper à la menace de Schultz et des autres gangs. Ce n’était pas assez : les hommes de Schultz le surprirent à un dîner privé et tirèrent cinq balles, mais il parvint encore une fois à s’échapper.
En 1930, Diamond et deux de ses hommes de main kidnappèrent Grover Parks, un conducteur de camions, et lui demandèrent quel genre d’alcool il transportait. Celui-ci répondant qu’il ne transportait rien, ils le torturèrent et le laissèrent finalement partir. Quelques mois plus tard, Diamond fut inculpé pour kidnappage mais acquitté. Cependant, une enquête fédérale sur des charges similaires tourna différemment et il fut condamné à quatre ans de prison. Il fut acquitté lors d’un procès à Troy (New York). En 1931, des portes-flingues de Schultz ouvrirent le feu à l‘Aratoga Inn, prêt de Cairo (New York); il y survécut, alors que deux spectateurs y laissèrent la vie.
 
La chute
Le 18 décembre 1931, les ennemis de Diamond parvinrent finalement à l’abattre alors qu’il passait par une de ses cachettes sur Dove Street à Albany (New York), après avoir passé la nuit à fêter le résultat de son procès à Troy. Les tireurs l’abattirent de trois balles dans la tête vers 5:30 du matin ; cependant six coups de feu furent entendus, et il est à penser qu’il a donc lutté. S’il n’avait pas été abattu, il aurait été envoyé en prison par la sentence fédérale
Il y a eu de nombreuses spéculations pour savoir qui était responsable du meurtre, incluant Dutch Schultz, les frères Oley et la police d’Albany. D’après l’ouvrage O albany! de William J. Kennedy, sa mort aurait été ordonnée par Dan O’Connell, président local du parti républicain, et il aurait été tué par la police d’Albany. Lors d’une interview par Kennedy en 1974, O’Connell déclara : « Pour que la mafia vienne s’installer, elle doit être protégés, et ils savaient qu’ils ne le seraient jamais dans cette ville. On l’avait établi il y a des années. Legs Diamond… a appelé un jour et a dit qu’il voulait venir dans le business ici. Il comptait vendre des protections aux commerçants. Je lui ai dit qu’il n’allait pas faire de business à Albany et on ne s’attendait pas à le voir en ville le matin suivant. Il n’a jamais rien commencé ici.
D’après la version d’O’Connell, le sergent de police Fitzpatrick aurait abattu Diamond. Etant donné l’influence de O’Connell à Albany, la plupart des gens ont accepté sa version. Elle a été confirmée par plusieurs officiels.

(d’après : http://fr.wikipedia.org/wiki/Legs_Diamond)
 

[6] La Grande Dépression est la période de l’histoire américaine qui suivit le Jeudi noir du 24 octobre 1929, jour où survint le krach boursier (les marchés boursiers new-yorkais s’effondrèrent de manière durable le lundi 28 octobre 1929, le lundi noir). Les événements de cette journée déclenchèrent une crise économique mondiale qui mena à la déflation et à un accroissement significatif du chômage.

 

[7] Robinson William Luther ″Bojangles″ (*25-05-1878, Richmond, Virginie – …25-11-1949, New York) : danseur de claquettes afro-américain. Véritable prodige de la danse, il n’a que 9 ans quand il quitte Richmond pour Washington où il survit comme danseur de rue. Rapidement, son style extraordinaire lui permet de travailler dans des clubs de la ville. C’est à cette époque qu’il acquiert son surnom ″Bojangles″, apparemment lié à son caractère insouciant. En 1905, il rejoint une troupe itinérante qui se produit dans des boîtes de nuit et des cabarets à New York puis à Chicago. La ségrégation étant la norme aux Etats-Unis, cette troupe se produit principalement devant des spectateurs noirs
A l’époque, les claquettes sont un style relativement nouveau. Robinson fait donc partie des précurseurs : il développe les mouvements et les rythmes en utilisant davantage la pointe du pied et des frappes glissées. Il invente la « danse de l’escalier » qui consiste à faire des claquettes sur quelques marches en avant et à reculons. Son talent en fait une star au sein de la communauté noire et une des têtes d’affiche du Hoofer’s Club à Harlem.
En 1928, un producteur de Broadway en quête de nouveauté pour relancer la popularité des spectacles de variétés l’embauche pour une revue appelée Blackbirds of 1928. Les spectateurs (exclusivement blancs) apprécient le spectacle et Robinson, alors âgé de 50 ans, devient une célébrité très prisée.
Qu’il se produise dans un théâtre d’une petite ville ou une grande salle de Broadway, Robinson donne toujours le meilleur de lui-même et cet enthousiasme séduit le public. Acclamé pour son style de danse novateur et complexe, il personnifie l’insouciance et l’élégance en apparaissant souvent sur scène en queue-de-pie avec une canne.
Sa popularité est telle que l’industrie du cinéma s’intéresse à lui. Le producteur Darryl F. Zanuck l’invite à Hollywood où il apparaît dans plusieurs films dont les plus célèbres ″The Littlest Colonel″, ″The Littlest Rebel″ et ″In Old Kentucky″, aux côtés de l’enfant star Shirley Temple. Il est cependant cantonné à des rôles de majordomes et revient donc rapidement à la scène
En 1939, Robinson revient à New York pour interpréter le rôle principal dans ″Hot Mikado″, une version jazz de l’opérette de Arthur Sullivan et William S. Gilbert. Pour fêter ses 61 ans et le succès du spectacle, il danse à reculons (un de ses exercices de prédilection) sur près de 1 500 m le long de Broadway Avenue
Il retourne à Hollywood en 1942 pour le film musical ″Stormy Weather″ avec les chanteurs de jazz Lena Horne, Cab Calloway et Fats Waller.
Il est sans le sou quand il décède en 1949 suite à des problèmes cardiaques. L’animateur de télévision Ed Sullivan prend à sa charge les obsèques par respect pour l’artiste et pour l’homme. Plus de 50 000 personnes sont massées sur le trajet de la procession funéraire de Harlem au cimetière Evergreens de Brooklyn.
 
Anecdotes :
• En 1933, pendant un séjour dans sa ville natale, il remarque deux jeunes enfants qui ont du mal à traverser une route très fréquentée car il n’y a pas de feux de signalisation. Il se rend à la mairie et finance l’achat et l’installation des premiers feux tricolores de la ville. En 1973, une statue à son effigie a été érigée dans un parc situé non loin de cette intersection
• Depuis 1989, les États-Unis célèbrent le ″Tap Dance Day″ (Fête des claquettes) le 25 mai, jour anniversaire de sa naissance. À cette occasion, Broadway est interdite aux automobiles et devient une immense piste de danse où chacun peut venir faire des claquettes
(source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bill_Robinson)

 

[8] Tap dancing : le tap dance ou danse à claquettes est un style de danse né aux Etats-Unis au XIXe siècle. Le nom de claquettes vient du son produit par des fers (morceaux de métal adaptés) fixés sur les chaussures du danseur, ce qui fait de celui-ci, en même temps qu’un danseur, un percussionniste.
Les claquettes ont vu le jour dans le quartier de Five Points à New York dans années 1830 et sont un résultat de la fusion de l’″African Shuffle″ et de pas de danses folkloriques européennes (bourrées et gigues irlandaises, écossaises et anglaises). Les émigrants européens (irlandais notamment) dansaient au  XIXe siècle avec des sabots (″Clogg dance″) et on vit apparaître le ″soft shoe″ une danse en chaussures de ville au milieu du XIXe siècle. Afin de ne pas perdre l’intérêt rythmique porté par les sabots, les chaussures furent adaptées avec des morceaux de bois (″split clogs″) peu à peu remplacés par les claquettes actuelles en fer (milieu des années 1920).
L’origine des claquettes est un mélange des syncopes de la musique et de la danse africaine avec la gigue irlandaise. Des danseurs immigrants de groupes ethniques et culturels différents se rencontraient au cours de compétitions de danse et confrontaient leurs techniques. Avec le temps, les danses s’enrichirent les unes les autres et donnèrent naissance aux claquettes telles que nous les connaissons aujourd’hui (″Tap dance″).
Les claquettes se répandirent aux Etats-Unis à partir des années 1900, où elles constituaient la partie dansée des vaudevilles à Broadway. L’apparition du jazz dans les années 1920 les mit au premier plan, car le rythme de celui-ci s’adaptait naturellement à la danse de claquettes. À partir des années 1930, les claquettes firent leur apparition au cinéma et à la télévision où elles connurent leur apogée dans les années 1950 avec de grands danseurs comme Fred Astaire ou Gene Kelly, bien que le rock les fit passer au second plan dès la fin de la Deuxième Guerre Mondiale.

(source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Claquettes)
 

Le tap dance ou danse à claquettes est indissociable de la comédie musicale, genre majeur du cinéma américain des années trente. Si Fred Astaire impose les figures du ″tap dance comme un des signes les plus visibles de son élégance et de sa virtuosité, il n’en revendique jamais la paternité, rendant justice à plusieurs reprises aux véritables créateurs du style : les danseurs noirs, et notamment Bill ″Bojangles Robinson. (1) En 1936, Astaire, alors incontestable star de la RKO (2) propose, dans ″Sur les ailes de la danse (3) un numéro justement célèbre : ″Bojangles of Harlem. L’année suivante, la chanson ″Slap that Bass de L’entreprenant Monsieur Petrov (4) est, à nouveau, un hommage aux rythmes inventés par les musiciens noirs. Mais ces deux séquences, témoignages effectifs de reconnaissance envers un art qui prend ses racines en Afrique, n’en sont pas moins les signes visibles de l’impossible présence du corps noir dans le cinéma américain.

 
Exclusion

Bojangles of Harlem est l’unique solo de Fred Astaire dans ″Sur les ailes de la danse. Sur une scène de théâtre, douze girls vêtues de blanc, bientôt rejointes par douze autres, habillées de noir cette fois, ouvrent le numéro. Elles se dirigent vers un énorme buste de carton pâte, visage noir avec chapeau melon et noeud papillon, sensé représenter Bill Robinson. A l’intérieur de cette effigie, apparaît Fred Astaire, grimé au cirage pour la seule fois de sa carrière. Après quelques figures avec les danseuses, il entame le moment crucial : seul en scène, il danse avec trois ombres noires géantes projetées sur un écran. D’abord parfaitement synchrones, un véritable échange naît peu à peu entre Astaire et les ombres. Mais, à la fin de ce long numéro, celles-ci, dépassées par la maîtrise du danseur, abandonnent et quittent l’écran, désabusées.
Il n’y a bien entendu aucun danseur noir sur scène. Mais les ombres en sont bien des représentations. Fred Astaire semble, dans les premières figures, être lui-même projeté sur l’écran, avant de devenir spectateur de la projection et d’imiter ces ombres. L’hommage est bien dans ces imitations. Rapidement, le synchronisme parfait prend le pas sur la copie : Astaire est alors l’égal des images de danseurs noirs. Mais ceux-ci sont vite exclus du plan, et leurs gestes de dépit prennent alors un sens symbolique très fort. Après les avoir pris pour modèle, Fred Astaire les a égalés, puis dominés. Cette mise en scène est à nouveau parfaitement au point dans ″Slap that Bass, le solo de ″L’entreprenant Monsieur Petrov, son film suivant.

 
Expulsion

Dans la salle des machines d’un navire, quelques employés noirs hilares entament, au rythme de leurs gestes de travail, la chanson ″Slap that Bass, mélange incertain d’effets ″jungle inventés par Duke Ellington et d’arrangements hollywoodiens. Astaire apparaît en plan insert, assis, tapant du pied, souriant et admiratif Très vite, il prend place au milieu des chanteurs et musiciens, reprenant lui-même le refrain. Il devient donc immédiatement le leader, accompagné par un orchestre de  » jazz « . Un travelling avant l’isole encore un peu des Noirs devenus ses faire-valoir, avant qu’une coupe très sèche ne les fasse définitivement disparaître. Il y a dans cette coupe une volonté de rupture, un très étonnant faux raccord : le second plan (Astaire seul), si l’on s’en tient à l’angle de prise de vue, aurait dû laisser apparaître quelques musiciens. Mais le décor n’est plus qu’une salle des machines vide : les Noirs se sont volatilisés, ont disparu dans la collure, dans l’entre-image.
Le cinéma hollywoodien révèle ici, par cette faute visible de montage – acte cinématographique s’il en est – son idéologie de la forclusion. Fred Astaire continue seul le numéro, remarquablement chorégraphié, notamment dans un échange somptueux avec les machines très stylisées du bateau qui forment alors un formidable décor très art déco. Il danse face à la caméra, pour le public virtuel des salles de cinéma. Expulsés du plan, les ouvriers-musiciens-chanteurs noirs sont devenus, hors champ, les témoins passifs de la performance. Le spectateur du film oublie rapidement leur existence. Seul le dernier plan les fait à nouveau intervenir, mais cette fois pour applaudir le numéro de la star, juchée sur une passerelle, inaccessible dans une improbable profondeur de champ.

(source : http://www.africultures.com/popup_article.asp?no=879&print=1).

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15ème Dialogue

HARLEM RENAISSANCE

– CAT : Lors de notre entretien précédent, nous avons vu le développement de la « Big Apple » et de ses quartiers de Harlem, soumis à la prostitution au gangstérisme et à la vie sociale inégalitaire entre les diverses couches de ce microcosme. Aujourd’hui, je te parlerai de ce fameux mouvement artistique qui secoua Harlem dans les années 1920.

– BIRD : Oui, la « Harlem Renaissance ».

– CAT : Ce mouvement culturel multiforme, c’est-à-dire touchant la littérature, le théâtre, les arts graphiques et la musique débute au lendemain de la Première guerre mondiale et perdure jusqu’au milieu des années trente. Harlem devient le centre de la « culture noire » nord-américaine. Ce mouvement très créatif est aussi porteur d’aspirations et de critiques sociales concernant le peuple afro-américain et l’Amérique dans son ensemble.

– BIRD : Nous avons vu qu’avec l’arrivée de milliers d’émigrants noirs provenant du Sud, Harlem était devenu la plus grande communauté noire des États-Unis.

– Cat : Un auteur afro-américain, James Weldon JOHNSON , décrit le climat de l’époque, de cette façon : « […] la réputation de Harlem pour son parfum d’exotisme et sa sensualité colorée gagna les quatre coins du monde ; Harlem était connu comme le lieu du rire, du chant, de la danse et des passions primitives, et comme le centre de la nouvelle littérature et du nouvel art nègres » . Pour nous mettre dans l’ambiance, je ne résiste pas à te faire entendre un poème de Langston HUGHES , un des auteurs noirs de l’époque qui marqua ce mouvement : « The Weary Blues » récité par le musicien et compositeur actuel Brandford MARSALIS.

1. « The Weary Blues«  poème de Langston HUGHES
Récitant : Brandfort MARSALIS (New Rochelle, NY – 12-08-1999
Disque : CD RHINO CD1-9 (1’29)

The Weary Blues Le Blues du désespoir

Droning a drowsy syncopated tune,                                Fredonnant un air syncopé et nonchalant,
Rocking back and forth to a mellow croon                   Balançant d’avant en arrière avec son chant moelleux,
I heard a Negro play.                                                              J’écoutais un Nègre jouer.
Down on Lenox Avenue the other night                         En descendant la Lenox Avenue l’autre nuit
By the pale dull pallor of an old gas light                       A la lueur pâle et maussade d’une vieille lampe à gaz
He did a lazy sway…                                                                Il se balançait indolent…
He did a lazy sway…                                                                 Il se balançait indolent…

To the tune o’ those Weary Blues.                                       Pour jouer cet air, ce Blues du Désespoir.
With his ebony hands on each ivory key                         Avec ses mains d’ébène sur chaque touche d’ivoire
He made that poor piano moan with melody. Il amenait son pauvre piano à pleurer sa mélodie.
O Blues ! O Blues !

Swaying to and fro on his rickely stool                             Se balançant sur son tabouret bancal
He played that sad raggy tune like a musical fool.      Il jouait cet air triste et rugueux comme un fou,
Sweet Blues !                                                                                  Tendre Blues !

Coming from a black man’s soul.                                          Jailli de l’âme d’un Noir.
O Blues !                                                                                           O Blues !
In a deep song voice with a melancholy tone                D’une voix profonde au timbre mélancolique
I hear that Negro sing, that old piano moan-                 J’écoutais ce Nègre chanter, ce vieux piano pleurer –
« Ain’t got nobody in all this world                                     « J’n’ai personne en ce monde,
Ain’t got nobody ma self                                                          J’n’ai personne à part moi.
I’s gwine to quit ma frownin’                                                 J’veux en finir avec les soucis
And put ma troubles on the shelf. »                                     J’veux mettre mes tracas au rancart. »

Thump, thump, thump, went his foot on the floor.       Tamp, tamp, tamp ; faisait son pied sur le plancher.
He played a few chords then he sang some more-        Il joua quelques accords et continua de chanter –
« I got the Weary Blues                                                              « J’ai le Blues du Désespoir
And I can’t be satisfied.                                                             Rien ne peut me satisfaire.
Got the Weary Blues                                                                    Le Blues du Désespoir
I ain’t happy no mo’                                                                    J’n’aurai plus de joie
And I wish that I had died. »                                                  Et je voudrais être mort. »

And far into the night he crooned that tune.                   Et tard dans la nuit il fredonnait cet air.
The stars went out and so did the moon.                           Les étoiles disparurent et la lune à son tour.
The singer stopped playing and went to bed                   Le chanteur s’arrêta de jouer et rentra dormir
While the Weary Blues echoed through his head.         Tandis que dans sa tête le Blues du Désespoir résonnait.
He slept like a rock or a man that’s dead.                          Il dormit comme un roc ou comme un homme qui serait mort.


Langston HUGHES

– BIRD : Très beau, très émouvant.

– CAT : Le terme « renaissance », utilisé pour désigner ce mouvement, souligne la volonté de renouveler les arts noirs à partir de l’héritage afro-américain, pour retrouver une grandeur mise en veilleuse par des décennies d’oppression et de discrimination raciale.
Dès la fin des années 10, Marcus GARVEY , un Antillais arrivé à Harlem en 1918, lance un mouvement « nationaliste séparatiste ». Il prêche la fierté raciale, la cohésion de la communauté afro-américaine et son opposition à la suprématie et à l’oppression blanche. L’idée finale est la fondation d’un état noir indépendant hors de l’Amérique blanche. C’est le retour aux origines, à l’Afrique. Il sera considéré comme le prophète du mouvement rastafari.

2. « Old Marcus Garvey » – Burning Spear – Live au Zenith (Paris), 21-05-1988
Pers. : Winston RODNEY (voc, perc, lead) – Nelson MILLER (dm) – Devon BRADSHAW (b) – Anthony BRADSHAW (g) – Lenford RICHARDS (g) – Alvin HAUGHTON (perc) – Pamela FLEMMING (tp) – Jennifer HILL (tb) – Linda RICHARDS (tb) – Richard Antony JOHNSON (p, synt)
Disque : CD Melodie 48102-2 CD2-8 (5’57)

– BIRD : Décidément, l’histoire du jazz nous entraîne dans de nombreux domaines connexes : la poésie, puis le reggae. Cela demande à être approfondi.

– CAT : Dès 1912, se crée à New York un groupe d’intellectuels blancs qui se réunit dans le salon d’une certaine Mabel DODGE à Greenwich Village et porte un intérêt pour le New Negro. C’est l’un de ces membres, Carl VAN VECHTEN , romancier et critique d’art, qui établit le lien entre le mouvement artistique de Harlem et ce milieu d’intellectuels. Il en deviendra le mécène. En 1926, il publie Nigger Heaven, un roman dont le succès attire à Harlem des Blancs en quête d’émotions fortes, de sexualité débridée et de rythmes enivrants. Harlem devient ainsi un nouveau centre de la vie culturelle new-yorkaise et le cœur de la résistance noire.

– BIRD : Peut-on relier cet intérêt à celui des Occidentaux qui, au lendemain de la Première guerre mondiale, découvre l’art nègre sous toutes ses formes ?
Rappelons qu’en 1897, l’Exposition universelle de Bruxelles permet d’admirer un ensemble de statuettes et de masques africains. La sculpture africaine est élevée au niveau de l’art par des artistes comme VLAMINCK, PICASSO, MODIGLIANI. Les premiers musées d’art nègre voient le jour, notamment celui du collectionneur Albert C. BARNES à Merion en Pennsylvanie.

– CAT : Tu as tout à fait raison. Le jazz que l’on entend partout à Harlem, est la forme musicale la plus à même de faire découvrir le Noir américain au monde d’après-guerre. Lorsqu’elle atteint l’Europe, elle est prise au sérieux par les compositeurs, critiques musicaux et intellectuels européens. Ainsi Darius MILHAUD, Jean COCTEAU et bien d’autres s’y intéressent.
Voici une composition bien dans l’esprit du retour à l’Afrique, écrit et interprété par Eubie BLAKE, déjà rencontré lors du dialogue sur le ragtime.

3. « Sounds of Africa » – Eubie BLAKE – New York City, 07-1921
Pers. : Eubie BLAKE (p)
Disque : CD RHINO CD1-7 (3’12)

– BIRD : Je pense que l’engouement du public et de l’avant-garde s’explique par le fait que le jazz résume un style de vie : révolte contre les conventions et les servitudes du passé, adhésion à une nouvelle échelle de valeurs.

– CAT : Oui, le Noir américain voit là, la preuve que sa musique, loin d’être considérée comme inférieure, a une valeur universelle.

4. « A Handfull of Riffs” – Lonnie JOHNSON & Blind Willie DUNN – New York City, 8-05-1929
Pers. : Lonnie JOHNSON (g) – “Blind Willie DUNN” (Eddie Lang) (g)
Disque : CD RHINO CD3-5 3’05)

– CAT : Cette époque est marquée par le succès des salles de spectacles et des cabarets de Harlem, dont les plus connus étaient l’Apollo Theatre et le Cotton Club. De plus, durant les années 1920, l’enregistrement des premiers « black records » permet de propager le blues. La radio commence aussi à se structurer et des émissions destinées à la population noire voient le jour.

– BIRD : La combinaison de tous ces courants d’influences diverses, ragtime, jazz naissant, blues, variétés noires, doit donner cette atmosphère particulière de la renaissance harlémite.

– CAT : Durant les années 1920, les deux plus grands artistes de blues et de jazz sont Bessie SMITH et Louis ARMSTRONG. Les figures de proue de 1925 à 1930 sont : Fletcher HENDERSON, Sidney BECHET, ARMSTRONG, Ethel WATERS, Coleman HAWKINS et Duke ELLINGTON. Andy RAZAF, d’origine malgache, et Clarence WILLIAMS sont les meilleurs compositeurs afro-américains de chansons de l’époque. Dans le morceau qui suit, le fameux « St. Louis Blues« , on retrouve nos deux vedettes, Bessie et Louis.

5. « St. Louis Blues » – Bessie SMITH – New York City, 14-01-1925
Pers. : Bessie SMITH (voc) – Louis ARMSTRONG (crt) – Fred LONGSHAW (org)
Disque : CD RHINO CD1-15 (3’13)

– BIRD : Cela atteint déjà la perfection et on reconnaît bien le style de ARMSTRONG.

– CAT : Les petites boîtes fréquentées par les Noirs et les Blancs, ou les Noirs seuls, sont concentrées dans la 133e rue entre Lenox Avenue et la 7e Avenue. Généralement l’orchestre est composé d’un pianiste, d’un guitariste et d’un batteur. Il sévit de 21 h à 8 ou 9 h du matin et joue principalement des blues. C’est dans l’un d’eux, le « Edmond’s Cellar« , qu’Ethel WATERS, trouve son premier engagement.
Par contre, la musique de danse doit être soit d’un « hot » animé soit des slows « gut bucket » . On y rencontre des chanteuses de blues comme Mamie SMITH, Ma RAINEY, Bessie SMITH, déjà citée.
Voici Mamie SMITH dans « Sweet Man O’ Mine« , accompagnée par un petit ensemble dont les membres sont inconnus, puis Ma RAINEY dans « Chain Gang Blues« . Dans ce morceau, j’attire ton attention sur le saxophoniste qui n’est autre que Coleman HAWKINS au sax baryton.

6. « Sweet Man O’ Mine » – Mamie SMITH & her Jazz Band – New York City, 18-08-1921
Pers. : Mamie SMITH (voc) – inconnus (tp, vl, p, dm)
Disque : CD RHINO CD1-8 (3’17)

7. « Chain Gang Blues » – Ma RAINEY – New York City, 12-1925
Pers. : Ma RAINEY (voc) – Joe SMITH (crt) – Charlie GREEN (tb) – Buster BAILEY (cl) – Coleman HAWKINS (sb) – Fletcher HENDERSON (p) – Charlie DIXON (bj)
Disque : CD RHINO CD2-6 (3’08)

– CAT : Dans les clubs plus importants, les ensembles se composent de 4 ou 5 musiciens, d’un animateur, de serveurs, serveuses chantant et dansant. L’orchestre comprend saxophones, clarinettes, basse, piano, batterie, guitare ou banjo. La musique jouée est improvisée, les musiciens ne sachant généralement pas lire une partition. En fin de soirée, une rencontre entre musiciens de jazz blancs et noirs s’organise pour « faire le bœuf ». Les premiers artistes noirs de jazz qui s’y présentent sont Sidney BECHET, Thomas MORRIS, James P. JOHNSON, Louis ARMSTRONG. Voici deux exemples de petits ensembles, d’abord celui de Thomas HARRIS qui joue « Lazy Drag« , puis celui de Sidney BECHET qui interprète « Sweetie Dear« .

8. « Lazy Drag » – Thomas Morris & his Seven Hot Babies – New York City, 13-07-1926
Pers. : Tom MORRIS (tp, lead) – Ward PINKET (tp) – Geechie FIELDS (tb) – Ernest ELLIOTT (cl, sa, sb) – Happy CALDWELL (cl, st) – Marlowe MORRIS (?) (p) – Lee BLAIR (?) (bj) – Bill BENFORD (tub) – Mike JACKSON (voc)
Disque : CD RHINO CD2-10 (3’01)

9. « Sweetie Dear » – Sidney BECHET & his New Orleans Feetwarmers – New York City, 15-09-1932
Pers. : Sidney BECHET (cl, ss) – Tommy LADNIER (tp) – Teddy NIXON (tb) – Henry DUNCAN (p) – Wilson MYERS (b) – Morris MORLAND (dm)
Disque : CD RHINO CD4-4 (2’52)

– BIRD : Avec BECHET on retrouve bien le style de la Nouvelle Orléans et il est impossible de ne pas le reconnaître.

– CAT : Je te propose maintenant de faire la tournée des grands ducs et de nous imprégner de l’atmosphère qui règne dans ces lieux mythiques de Harlem. Plus d’une centaine de clubs ont ouvert leurs portes depuis la fin du conflit mondial et la prohibition.

– BIRD : Allons-y, je te suis.

– CAT : Le premier club d’importance est le Barron’s au coin de la 7e Avenue et de la 134e rue Est, de Barron WILKINS. On y entend « Sam Wooding & his Society Syncopators« . Le « Leroy’s » est un petit club ouvert par le frère de Barron. Non loin de là, s’ouvre, au cœur de Harlem, près de « Jungle Alley » , le « Happy Rhone’s« .

– BIRD : Les endroits où se perdre ne manque pas ! Nous en avons pour toute la nuit !

10. « Moanful Blues » – Original Jazz Hounds (Sam Wooding orchestra) – New York City, 24-02-1922
Pers. : Elmer CHAMBERS (tp) – Robert HORTON (tb) – Rollen SMITH (st, cl) – Charles E. JACKSON (vl) – Sam WOODING (p, lead) – Charlie DIXON (bj, arr) – Joe YOUNG (dm)
Disque : CD FA 181 – CD2-2 (3’04)

– CAT : Un des plus grands propriétaires de Harlem est un certain Ed SMALLS. Il ouvre un caveau, le « Paradise Lounge », sur la 135e rue et la 5e Avenue. Trois ans plus tard, le 26 octobre 1926, un nouveau Paradise voit le jour sur la 7e Avenue, le « Smalls’s Paradise » où se produit le Charlie Johnson’ Paradise Orchestra., avec les trompettistes Jabbo SMITH et Sidney DE PARIS. Ces différents clubs modestes satisfont les patrons locaux et servent de la bonne musique. Le « Smalls’s Paradise » devient très vite « the hottest spot in Harlem« . Ecoutons Jabbo SMITH lors d’une séance avec Duke ELLINGTON dans un mémorable « Black and Tan Fantasy« .

11. « Black and Tan Fantasy » – Duke Ellington and his Orchestra – New York City, 3-11-1927
Pers. : Jabbo SMITH (tp) – Louis METCALFE (tp) – Joe “Tricky Sam” NANTON (tb) – Otto HARDWICK (sa, ss, sb) – Harry CARNEY (sa, sb, cl) – Rudy JACKSON (cl, st) – Duke ELLINGTON (p) – Fred GUY (bj) – “Bass” EDWARDS (tub) – Sonny GREER (dm)
Disque : LP33T – Philips B 07363 L – A-3 (3’24)

– BIRD : Le Duke a un style très particulier dans ce morceau. N’est-ce pas son « style jungle » si caractéristique ?

– CAT : Oui, mais nous en parlerons plus tard. Les trois principales salles de Harlem uniquement réservées au public blanc, forme ce que l’on nomme le « Big Three« . Ce sont le « Small’s Paradise Club« , le « Cotton Club » et le « Connie’s Inn« . Dans ces clubs de luxe, la discrimination raciale est de rigueur : artistes noirs mais public exclusivement blanc. Les deux derniers se font une guerre impitoyable afin de prendre la suprématie sur l’autre. Ces établissements proposent une revue considérée alors comme très exotique avec des artistes noirs. Une des attractions du club consistait à engager des serveurs sachant chanter et danser afin de les faire participer à quelques numéros d’ensembles et au grand final, pour lequel les responsables recherchent une chorégraphie plus élaborée. Les plus grands orchestres de jazz à la mode à l’époque s’y succèdent. Voici celui de Fletcher HENDERSON qui en est un très bel exemple.

12. « Copenhagen » – Fletcher HENDERSON & his Orchestra – New York City, 30-10-1924
Pers. : Fletcher HENDERSON (p, lead) Elmer CHAMBERS (tp) – Howard SCOTT (tp) – Louis ARMSTRONG (tp) – Charlie GREEN (tb) – Buster BAILEY (cl, sa) – Don REDMAN (cl, sa, arr) – Coleman HAWKINS (cl, st) – Charlie DIXON (bj) – Ralph ESCUDERO (tub) – Kaiser MARSHALL (dm)
Disque : CD RHINO CD1-16 (2’55)

– BIRD : Je comprends ces Blancs qui cherchent à s’encanailler dans ces lieux de plaisir. L’ambiance devait y être formidable.

– CAT : Pour le moment, je néglige le « Cotton Club » que nous fréquenterons la fois prochaine. Le grand rival de celui-ci est le « Connie’s Inn », à la hauteur de la 7e Avenue et de la 131e rue. Les frères IMMERMAN Connie et George, en sont les propriétaires. Ils ont racheté l’ancien « Shuffle’s Inn« , club en sous-sol, près du théâtre Lafayette et l’on rebaptisé « Connie’s Inn« . Pas directement liés à la pègre, ils n’en jouissent pas moins de puissantes protections.

– BIRD : Oui, le coin devait être sous la coupe des gangsters qui cherchent à écouler leur alcool de contrebande. Nous sommes à l’époque de la Prohibition.

– CAT : Il est amusant de relever que l’une des revues les plus célèbres de l’époque, « Hot Chocolates« , écrite spécialement pour le « Connie’s Inn » et jouée conjointement à Broadway, vu son succès, comporte des sketches en rapport avec ce monde des truands. Des Noirs décident de truquer un match de boxe et, alors qu’ils en discutent, un homme fait irruption dans la pièce et les menace d’un revolver. Il se présente comme étant un représentant du syndicat du South Side, spécialisé dans les jeux truqués et leur propose 5.000 dollars pour fausser un combat de boxe. ARMSTRONG en est la vedette, tandis que Fats WALLER compose la musique, qu’Andy RAZAF en est le parolier et Leonard HARPER le metteur en scène. Ce show tiendra l’affiche pendant six mois en 1929.

– BIRD : Tous ces personnages que tu cites ont vraiment marqué la musique afro-américaine de leur empreinte.

– CAT : Le « Connie’s Inn » présente des orchestres comme ceux de Wilbur SWEATMAN, Fletcher HENDERSON, Luis RUSSELL. Durant les années 1930, l’un des orchestres phares du « Connie’s Inn » est celui de Don REDMAN, premier véritable arrangeur et créateur de la structure moderne du « big band« . Nous le retrouverons lorsque j’aborderai l’émergence des grands ensembles. Ecoutons l’orchestre des « McKinney Cotton Pickers » sous la baguette de Don REDMAN puis celui de Luis RUSSELL.

13. « Plain Dirt » – McKinney Cotton Pickers – New York City, 5-11-1929
Pers. : Joe SMITH (tp) – Leonard DAVIS (tp) – Sydney DE PARIS (tp) – Claude JONES (tb) – Don REDMAN (sa, voc, arr) – Benny CARTER (sa) – Coleman HAWKINS (cl, st) – Ted McCORD (cl, st) – Thomas “Fats” WALLER (p), probablement Charlie ALEXANDER (2e p, cel) – Dave WILBORN (bj) – Billy TAYLOR (b) – Kaiser MARSHALL (dm).
Disque : LP RCA serie Black & White Vol. 87 – B-14 (2’39)

14. « Panama » – Luis Russell & his Orchestra – New York City, 5-09-1930
Pers. : Luis RUSSELL (p, lead) – Henry ALLEN (tp) – Otis JOHNSON (tp) – J.C. HIGGINBOTHAM (tb) – Albert NICHOLAS (ss, cl, sa) – Charlie HOLMES (ss, sa) – Greely WALTON (st) – Will JOHNSON (bj, g) – Pop FOSTER (b) – Paul BARBARIN (dm) – David BEE (arr)
Disque : CD RHINO CD3-18 (3’19)

– BIRD : On sent un changement dans la structure de ces orchestres et une meilleure mise en place des différentes sections.

– CAT : Le « Small Paradise » est la troisième boîte de nuit chic, cotée pour la qualité de la musique qui s’y joue et où tout le monde vient faire « le bœuf ». Le petit déjeuner, à partir de six heures du matin offre un véritable spectacle. Les garçons y participent en faisant tournoyer leur plateau. Certains jours, la vedette revient à l’orchestre de Claude JOHNSON qui aligne « jusqu’à 25 musiciens appartenant à tous les grands orchestres de la ville, blancs et noirs, tous les grands noms du jazz qui jouaient ensemble », dixit Duke ELLINGTON.

15. « Black Maria » – Bubber Miley & his Mileage Makers – New York City, 17-09-1930
Pers. : Bubber MILEY, inconnu, inconnu (tp) – inconnu (tb) – Hilton JEFFERSON, Buster BAILEY (cl, sa) – Happy CALDWELL (st) – Earl FRAZIER (p, cel) – inconnu (bj, g) – inconnu (sb) – Tommy BENFORD (dm) – George BIAS (voc)
Disque : LP33T – RCA 741.057 Série Black & White Vol. 65 – A-8 (2’56)

– CAT : Autre cabaret prestigieux, créé dans les années 10, le « Lenox Club« . Il est animé par un orchestre d’environ dix musiciens. Le whiskey man est chargé d’approvisionner discrètement les clients en les amenant au sous-sol où est cachée la réserve de whisky. Une fois par semaine se tient le breakfast dance, rendez-vous des musiciens après leur boulot. Une partie du gratin du monde du spectacle d’Harlem y défile : Ethel WATERS, Louis ARMSTRONG, Duke ELLINGTON, Cab CALLOWAY…

16. « Stormy Weather » – Ethel WATERS – New York City, 3-05-1933
Pers. : Ethel WATERS (voc) – probablement Bunny BERIGAN (tp) – Sterling BOSE (tp) – Tommy DORSEY (tb) – Jimmy DORSEY (cl, sa) – Larry BINYON (cl, sa) – Joe VENUTI (vl) – Harry HOFFMANN (vl) – Walter EDELSTEIN (vl) – Lou KOSLOFF (vl) – Fulton McGRATH (p) – Dick McDONOUGH (g) – Artie BERNSTEIN (b) – Stan KING ou Chauncey MOREHOUSE (dm)
Disque : CD RHINO CD4-2 (3’10)

– BIRD : Si j’ai bien saisi la chose, nous n’avons jusqu’à présent, à part les tous premiers, fréquenté des lieux réservés uniquement aux Blancs. Et les Noirs dans tout cela, disposaient-ils, eux aussi, de salles de prestige où de grands ensembles se produisaient ?

– CAT : Nous y arrivons. Commençons par le « Savoy Ballroom« , « le plus beau dancing du monde ». Il ouvre ses portes le 12 mars 1926, et contrairement aux autres salles qui présentent des revues, il privilégie la danse et fait défaut à la règle : Noirs et Blancs peuvent y danser sur la musique des meilleurs orchestres de jazz de l’époque. Toutes les danses modernes y voient le jour : « lindy hop », « black bottom », « shimmy », « truckin’ », « snake hips », « Susie Q ». La piste en parquet fait près de 1.000 m² et deux orchestres s’y alternent en permanence. Voici d’abord celui de Duke ELLINGTON dans un morceau intitulé « That Lindy Hop » qui lance la nouvelle danse de même nom, puis celui de l’irrésistible Cab CALLOWAY.

17. « That Lindy Hop » – Duke Ellington & his Orchestra – New York City, 2-10-1930
Pers. : Freddy JENKINS, Arthur WHETSOL, Charles “Cootie” WILLIAMS (tp) – Joe “Tricky Sam” NANTON (tb) – Juan TIZOL (vtb) – Johnny HODGES (sa, ss, cl) – Harry CARNEY (sb, sa, cl) – Barney BIGARD (cl, st) – Edward “Duke” ELLINGTON (p) – Fred GUY (bj) – Wellman BRAUD (b) – William “Sonny” GREER (dm) – “Dick” ROBERTSON (voc)
Disque : LP33T – RCA 741048 – B-9 (2’53)

18. « Corrine Corrina » – Cab Callowy & his Orchestra – New York City, 18-11-1931
Pers. : Cab CALLOWAY (voc, lead) – Edwin SWAYZEE (tp – Lammar WRIGHT (tp) – Reuben REEVES (tp) – Depriest WHEELER (tb) – Harry WHITE (tb) – Andrew BROWN (cb, st) – Walter THOMAS (sa, st, sb, fl) – Benny PAYNE (p) – Morris WHITE (bj) – Jimmy SMITH (b) – Leroy MAXEY (dm)
Disque : CD RHINO CD4-3 (3’05)

– CAT : Tous y sont passés : King OLIVER, Duke ELLINGTON, Cab CALLOWAY, Louis ARMSTRONG, Jimmie LUNCEFORD, les Savoy Sultans, Benny CARTER, Count BASIE et le fracassant Chick WEBB, longtemps considéré comme le roi du « Savoy« , dont voici l’orchestre dans « Spinnin’ the Webb« .

19. « Spinnin’ the Webb » – Chick Webb & his Orchestra – 3-05-1938
Pers. : Mario BAUZA (tp) – Bobby STARK (tp) – Taft JORDAN (tp) – George MATTHEWS (tp) – Nat STORY (tb) – Sandy WILLIAMS (tb) – Chauncey HAUGHTON (s) – Hilton JEFFERSON (s) – Teddy McRAE (s) – Wayman CARVER (s) – Tommy FULFORD (p) – Bobby JOHNSON (g) – Beverly PEER (b) – Chick WEBB (dm, lead).
Disque : LP33 Brunswick 87 501 LPBM – A-2 (3’06)

– BIRD : A l’entendre on peut comprendre qu’on lui ai attribué ce titre.

– CAT : Un des événements important eut lieu le vendredi 8 mai 1929, date à laquelle la direction du « Savoy » décide d’organiser une bataille d’orchestres à des fins publicitaires. A un prix exorbitant, elle engagea Ike DIXON de Baltimore, « Roy JOHNSON & Hie Happy Pals » de Richmond et les « Missourians« , trois des meilleurs groupements chargés de défendre les couleurs du Sud.
Le Nord, représenté par « Fess WILLIAMS and his Royal Flush Orchestra« , « Charlie JOHNSON ans his Small Paradise Band » et « Duke Ellington’s Cotton Club Orchestra » les attendent de pied ferme, avec les 5.000 spectateurs à 85 cts la place ! Tu t’imagines ! Les formations sudistes remportèrent un immense succès et quand les « Missourians » attaquèrent leur « Tiger Rag« , la soirée s’arrêta. Ils jouèrent et rejouèrent ce morceau sous les acclamations. Quand le côté droit de l’orchestre jouait debout, le gauche restait assis, et ce alternativement de plus en plus vite. Ce gag fit un triomphe et la partie était gagnée. Malheureusement, nous n’avons pas d’enregistrement de l’événement. Toutefois, le Duke et le Count ont voulu recréer cette ambiance en réalisant en studio une rencontre de leur orchestre respectif. Cela donne ce qui suit : « Battle Royal« .

20. « Battle Royal » – Duke Ellington Orchestra– Count Basie Orchestra – 1961
Pers. : Duke Ellington Orchestra : Duke ELLINGTON (p) – Cat ANDERSON, Willie COOK, Fats FORD, Eddie MULLENS (tp) – Ray NANCE (tp, vl) – Louis BLACKBURN, Lawrence BROWN, Juan TIZOL (tb) – Harry CARNEY (sb) – Paul GONSALVES (st) – Jimmy HAMILTON (cl) – Johnny HODGES (sa) – Russell PROCOPE (sa) – Aaron BELL (b) – Sam WOODYARD (dm)
Count Basie Orchestra : Count BASIE (p) – Sonny COHN, Lonnie JOHNSON, Thad JONES, Snooky YOUNG (tp) – Henry COKER, Quentin JACKSON, Benny POWELL (tb) – Charlie FOWLKES (sb) – Budd JOHNSON (st) – Marshal ROYAL (sa) – Frank WESS (fl, st) – Freedie GREEN (g) – Eddie JONES (b) – Sonny PAYNE (dm)
Disque : CD Columbia CK 65571 – 1 (5’32)

– BIRD : Formidable ! Quelle exubérance !

– CAT : Ecoute le témoignage ému de Count BASIE : « On avait un trac terrible parce que le Savoy, c’était vraiment quelque chose. C’était une salle à part. Tous les plus grands orchestres de swing des Etats-Unis rêvaient d’y jouer pour se mesurer à ses danseurs et à son public […] Nous jouions exactement ce que nous voulions. Personne ne venait jamais nous dire ce qu’il fallait jouer, aucun directeur ne venait nous faire remarquer que l’orchestre jouait trop vite ou trop lent ou trop fort. Quand on travaillait au Savoy, on jouait ce qu’on savait jouer, parce qu’on avait été engagé pour ça. Cela faisait une grande différence, et l’on se sentait comme chez soi ». Le voici dans « Smarty« .

21. « Smarty » – Count Basie & his Orchestra – 7-07-1937
Pers. : Edward LEWIS (tp) – Bobby MOORE (tp) – Buck CLAYTON (tp) – George HUNT (tb) – Dan MINOR (tb) – Jack WASHINGTON (s) – Earl WARREN (s) – Hershall EVANS (st) – Lester YOUNG (st) – Count BASIE (p, lead) – Freddy GREEN (g) – Walter PAGE (b) – Jo JONES (dm)
Disque : 45T- Brunswick 10310 EPB – B-1 (2’45)

– BIRD : Quel dynamisme et quelle perfection. Je comprends les clients du « Savoy« . Dommage que ce genre de musique soit passé de mode.

– CAT : Continuons dans la même veine avec Louis ARMSTRONG et son « Savoy Ballroom Five » dans le classique « Mahogany Hall Stomp« .

22. « Mahogany Hall Stomp » – Louis Armstrong & his Savoy Ballroom Five – New York City, 5-03-1929
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp) – J.C. HIGGINBOTHAM (tb) – Albert NICHOLAS (sa) – Charlie HOLMES (sa) – Teddy HILL (st) – Luis RUSSELL (p) – Eddie CONDON (bj) – Lonnie JOHNSON (g) – Pop FOSTER (b) – Paul BARBARIN (dm)
Disque : CD Proper P1472 – CD4-19 (3’15)

– CAT : Le deuxième lieu fréquenté par le public noir est l’ »Apollo« , qui est encore considéré comme le panthéon de la musique afro-américaine. Il est construit en 1924 sur la 125e rue Ouest, alors que Harlem est exclusivement habité par une population blanche. Ce n’est qu’à partir des années 1930 que la salle acquit une grande renommée en programmant des artistes tels que le danseur Bill « Bojangles » ROBINSON, les chanteuses Bessie SMITH ou Billie HOLIDAY, ou les orchestres de Duke ELLINGTON et Charlie BARNET. Point fort de la programmation, la Nuit des Amateurs fit découvrir au public les tout jeunes James BROWN, Ella FITZGERALD ou Sarah VAUGHAN. Ici c’est Ella, accompagnée par l’orchestre de Chick Webb dans « Holiday in Harlem« .

23. « Holiday in Harlem » – Ella and Chick Webb & his Orchestra, 24-03-1937
Pers. : Ella FITZGERALD (voc) – Mario BAUZA, Bobby STARK, Taft JORDAN (tp) – Sandy WILLIAMS, Nat STORY (tb) – Pete CLARK, Chauncey HAUGHTON, Teddy MCRAE, Wayman CARVER (s) – Tommy FULFORD (p) – John TRUEHEART (g) – Beverly PEER (b) – Chick WEBB (dm)
Disque : LP33T Brunswick 87 501 LPBM B-5 (3’10)

– BIRD : Que reste-t-il de toutes ces salles où s’est écrite l’histoire du jazz ?

– CAT : Dans les années 1950, l’Apollo devient un des foyers du Be Bop, puis du Rythm and Blues dans les années 1960, avec des têtes d’affiches telles que le tout jeune Steevie WONDER, Marvin GAYE ou Diana ROSS. L’histoire de l’Apollo aurait pu s’interrompre en 1975, lorsqu’il est relégué au rang de cinéma de quartier, s’il n’avait retrouvé sa vocation d’origine en 1990, programmant à la fois des concerts et un show télévisé intitulé « Nights at the Apollo« .
Terminons cet entretien en prenant un dernier verre au « Count Basie’s Bar » situé au coin de la 132e rue et de la 7e Avenue. Nous sommes le 22 octobre 1956, et c’est le Count lui-même qui est le maître de cérémonie. Ecoutons « Canadian Street » qui clôture la soirée, dans une ambiance plutôt bruyante.

24. « Canadian Street » – A Night at Count Basie’s – Harlem, 22-10-1956
Pers. : Emmett BERRY (tp) – Vic DICKENSON (tb) – Marlowe MORRIS (org) – Bobby HENDERSON (p) – Aaron BELL (b) – Bobby DONALSON (dm)
Disque: LP33T Vanguard AVRS 9004 B-4 (9’02)


DISCOGRAPHIE

1) Rapsodies in Black
Coffret 4CD RHINO

2) Burning Spear – Live in Paris Zenith ’88
2CD Mélodie 48102-2 DK019

3) Early Jazz 1917-1923
2CD Frémeaux & Associés FA 181

4) The Duke Ellington Story Vol. 1 1927-1939
LP33T Philips B 07363 L – A-3 ( )

5) McKinneys Cotton Pickers Vol. 2 (1928-1929)
LP33 RCA 741.088 – Black & White Vol. 87

6) Bubber Miley and his friends 1929-1931
RCA Victor 741.057 Série Black & White Vol. 65

7) Duke ELLINGTON Meets Count BASIE
CD Columbia/Legacy CK 65571

8) Kings of Swing Vol. 10 – Count Basie & his Orchestra
45T – Brunswick 10310 EPB

9) Ella and Chick Webb 1937/1939
LP33 Brunswick 87 501 LPBM

10) Louis ARMSTRONG – King Louis
Coffret 4CD Proper P1472

11) A Night at Count Basie’s
LP33 Vanguard Jazz Showcase Amadeo AVRS 9004

BIBLIOGRAPHIE

1. Collectif (2000) – Rhapsodies in Black – Music and Words from the Harlem Renaissance (livret du coffret de 4 CD RHINO R2 79874
2. BALEN N. (2003) – L’odyssée du Jazz, Liana Levi, Nouvelle édition
3. DAUBRESSE J.-P. (1974) – The Missourians, pochette du disque RCA Série Black & White Vol. 119
4. ICHET I. (1993) – Harlem 1900-1935 – De la métropole noire au ghetto, de la Renaissance culturelle à l’exclusion, Editions Autrement – Série Mémoires n° 25.
5. SOUTHERN E. (1976) – Histoire de la Musique noire américaine, Buchet/Chastel.

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14ème Dialogue

 NEW YORK


– Cat : Mon vieux Bird, nous voici arrivé à la troisième étape importante de notre histoire. Nous abordons aujourd’hui « Big Apple ».

– Bird : Tu veux dire New York ?

– Cat : Oui. Cette ville a joué un rôle prépondérant dans l’évolution du jazz. La « Big City » est considérée comme le centre artistique américain, peut-être, d’après certains, à cause de l’existence de Wall Street. Un fait certain est que la cité est une dévoreuse de talent.

1. « This Town » – Frank Sinatra accompagné par l’orchestre de Billy Strange
Pers : Frank Sinatra (voc) – Billy Strange (leader)
Disque: LP33 CRV 1022 – B1 (3’05)


– Bird : Il n’est donc plus question d’être un musicien « à la noix ».

– Cat : Exactement. En plus d’une connaissance approfondie de la musique, il est nécessaire de posséder un certain sens commercial. Malgré cela, de nombreux musiciens de Chicago, Kansas City, Saint-Louis, Memphis… veulent avoir leur part de la « Big Apple », un surnom de New York cher aux musiciens. Quelques-uns s’y casseront les dents, notamment les Wolverines de Bix Beiderbecke. Mais un esprit de perfectionnement et d’expérimentation apparaît et donnera naissance aux grandes tendances modernes tels que le be-bop, le cool… « La clé du jazz de New York est l’esprit d’expérimentation », comme le dit Barry Ulanov, grand spécialiste de l’histoire du Jazz.

2. « At the Jazz Band Ball » – Bix Beiderbecke and his Gang – New York, 5-10-1927
Pers. : Bix Beiderbecke (crt) – Bill Rank (tb) – Don Murray (cl) – Adrian Rollini (sb) – Frank Signorelli (p) – Chauncey Morehouse (dm)
Disque : Joker “Bixology” – Vol. 5 – B-5 (2:50)

– Bird : Cet engouement pour la « Big Apple » se situe vers 1927 si mes déductions sont exactes. N’existait-il à New York aucune musique afro-américaine avant cette époque ?
– Cat : Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire d’Harlem, il existe une force vive musicale dans le plus pur esprit jazz. En effet le processus de la naissance du folklore musical afro-américain est le même qu’à la New-Orleans et par extension de tous les endroits où l’on rencontre des Noirs.
Aujourd’hui je situerai le cadre historique de ce qui deviendra le « Harlem du jazz ». Il sera difficile d’illustrer cette partie historique par de la musique, car des enregistrements d’origine il n’y en pas. Aussi je te ferai entendre des morceaux plutôt en relation avec le contexte et l’esprit de l’époque.

– Bird : J’en suis conscient et je te fais confiance pour la qualité musicale que tu me présenteras.

– Cat : Mais avant tout, revenons quelque peu en arrière au temps des pionniers, et tu seras étonné de se que je vais t’apprendre. En mai 1624, un navire, le Nieu Nederlandt, affrété par la Compagnie des Indes occidentales accoste l’île de Manhattan. A son bord, tiens toi bien, une trentaine de familles belges, la plupart wallonnes et quelques flamandes ! Huit colons débarquent sur l’île aux Noix, aujourd’hui Governor’s Island, et construisent un fort à la pointe sud de Manhattan, actuel Battery Park. Quatre couples et huit marins gagnent la rivière Delaware et bâtissent le Fort Nassau, à proximité de la ville de Gloucester dans le New Jersey. Deux familles et six hommes remontent la Fresche (Connecticut) et s’installent à l’emplacement de la ville actuelle d’Hartford. Les autres passagers restent à bord et remontent l’Hudson jusqu’à la ville actuelle d’Albany, capitale de l’Etat de New York[1].

– Bird : Tu m’en bouches un coin. Ce n’est pas ce que l’on raconte dans les manuels d’histoire !

– Cat : Pour prouver mes dires, si tu vas à New York, sur le site de Battery Park, un monument commémorant le tricentenaire de la fondation de la ville a été érigé en l’honneur des colons wallons, le 20 mai 1924.

– Bird : Je n’y manquerai pas, si mes pas me mènent dans la « Big City ».

3. « Deep River : Old Negro Melody«  – traditional, arr. Harry T. Burleigh (1916) –The Paragon Ragtime Orchestra[2]
Pers. : Vesselin Gellev (1er vl, lead) – Walter Choi (2ème vl) – William P. Muller (viola, vl) – Peter Prosser (cello) – Deb Spohnheimer (b) – Leslie Cullen (fl, piccolo) – Gilad Harell (cl) – Kyle Resnick (crt) – Kevin Cobb (crt) – Tim Albright (tb) – Kerry Meads (dm, bells) – John Gill (bj) – Vince Giorano (bj) – Tom Roberts (p)
Disque : CD New World Records 80611-2 – 4 (2:21)

– Cat : En 1626, Peter Minuit, gouverneur de la nouvelle colonie, rachète l’île de Manhattan aux Indiens Algonquins, en échange de verroteries et autres colifichets pour l’équivalent de 60 florins (environ 24 $).

– Bird : Comme à l’accoutumée, les hommes ne peuvent s’empêcher d’exploiter les peuples dont ils convoitent les terres !

– Cat : En 1644, soit 18 ans après leur débarquement, les colons de Nieuw-Amsterdam affranchissent les 11 premiers esclaves noirs. Très vite, dans les années suivantes, de nombreux esclaves seront émancipés. La collectivité noire de la ville naissante date de ces années. Les esclaves affranchis se verront attribuer un terrain à proximité des « Tombs » qui forme la partie occidentale du futur « Bowery District » entre Canal Street et Astor Place[3]. De 1640 à 1664, la population de la colonie passe de 400 à 1.500 habitants.

– Bird : Je me rappelle que cette colonie hollandaise des Nouveaux Pays-Bas est passée sous la domination anglaise en 1667, sans coup férir, et qu’à ce moment la ville devint New York.

– Cat : Tes cours d’Histoire ont été bénéfiques ! Malheureusement, la conquête britannique est une période pénible pour les Noirs, qui se traduit par une mise en veilleuse de leurs expressions artistiques. L’année 1712 connaît la première révolte d’esclaves à New York, où « plusieurs esclaves complotèrent de se venger de leurs maîtres pour des traitements durs qu’ils avaient subis de leur part, en vue d’obtenir leur liberté. Liés entre eux par la succion de leur sang et frottés de poudre pour les rendre invincibles, les conspirateurs s’armèrent de pistolets, d’épées, de couteaux, de machettes. Dans la nuit du 6 avril, ils mirent le feu à plusieurs habitations et tuèrent une dizaine de Blancs qui cherchaient à éteindre les incendies. La milice intervint rapidement pour capturer les rebelles, dont certains préférèrent se suicider. Quant aux 25 autres, ils périrent de façon brutale et cruelle, au point de ne laisser aucun survivant« [1].

– Bird : Cette révolte me paraît d’une extrême violence. Elle doit exprimer le poids insupportable de l’esclavage, et par ce fait, vouloir faire subir aux opprimants la violence et le mépris dont eux-mêmes avaient été victimes depuis des générations.

– Cat : En 1741, la découverte d’un nouveau complot entraîne la mort d’une trentaine de Noirs dans la ville. Dès 1799, les colons « américanisés » de New York abolissent l’esclavage. Cela n’empêche pas les « blackbirders » de kidnapper les affranchis pour les revendre dans le Sud. En 1740, la population de la ville compte déjà 21% d’esclaves, dont les affranchis. Seule Charleston, dans le Sud, en dénombre plus que New York dans les colonies britanniques d’Amérique.

4. « Strange Fruit« [4] – Billie Holiday – New York, 20-4-1939
Pers. : Frankie Newton (tp) – Tab Smith (sa) – Stanley Payne (st) – Kenneth Hollon (st) – Sonny White (p) – Jimmy McLin (g) – John Williams (b) – Eddie Dougherty (dm) – Billie Holiday (voc)
Disque : CDLivre – 13 (3 :10)

– Bird : Ce morceau est vraiment très émouvant. C’est la grande Billie Holiday qui le chante, je pense.

– Cat : Exactement. Sais-tu ce que représentent ces « Etranges fruits » ? Horrifié par les lynchages de Noirs dans le Sud, Lewis Allen[5], enseignant juif du Bronx dont c’est le nom de plume, a écrit et mis en musique un poème qui porte ce titre.
L’écoute de Billie Holiday chantant « Strange Fruit » reste un moment inoubliable, sans doute en rien comparable à ce qu’ont vécu les clients du Cafe Society en 1939, mais il suffit d’imaginer la scène…
La salle est plongée dans le noir, le service aux tables et au bar a été interrompu. Billie Holiday est seulement accompagnée d’un piano sur lequel elle s’appuie, un unique et petit spot éclaire son visage. Elle est immobile, comme hébétée… Son visage se crispe et dans un rictus de douleur, sortent de sa bouche les premières syllabes de « Strange Fruit« . Elle chante ensuite de manière très sûre, convaincue et si convaincante. Elle est déterminée et très concentrée. Son élocution et son phrasé donnent aux mots qu’elle « assène » à l’audience une intensité et un impact si forts qu’à la fin de sa prestation, un « silence de mort » se fait dans la salle… Ce silence pesant semble durer une éternité avant qu’un spectateur ne se mette à applaudir nerveusement, imité ensuite par toute la salle. Il était convenu dans l’engagement de Billie que « Strange Fruit » soit chanté lors de son dernier set et pour le clore, car après cette prestation, elle était incapable de poursuivre et se retirait longuement seule dans sa loge pour se remettre de l’intense émotion qui la submergeait alors.

– Bird : J’en suis tout retourné. Pour moi, j’en suis de plus en plus convaincu, le jazz est l’expression musicale d’une population opprimée à qui on ne reconnaît pas ses droits. Ce chant en est le plus bel exemple.

– Cat : Tu as tout à fait raison, et cela se confirmera dans la suite de nos dialogues.
Durant la guerre d’Indépendance qui oppose les colons britanniques à leur métropole, de 1775 à 1783, de nombreux Afro-américains, esclaves ou libres participent au conflit dans les deux camps, loyalistes ou « insurgents ». Certains sont engagés dans les milices américaines malgré l’inquiétude des planteurs du sud qui refusent d’armer les esclaves. Pourtant, on estime que 5.000 Noirs ont combattu aux côtés des insurgents. [En novembre 1775, le gouverneur de Virginie, Lord Dunmore promet l’affranchissement à tous les esclaves qui s’engagent dans l’armée britannique. En 1779, Sir Henry Clinton édicte une loi similaire pour la région de New York. La plupart des esclaves servirent comme plantons, mécaniciens, ouvriers ou éclaireurs. Plus de la moitié meurent dans les épidémies de variole qui frappèrent les armées britanniques. En dépit des promesses de certains gouverneurs anglais, la majorité des esclaves ne sont pas affranchis[]. Du côté des troupes insurgées, on recense de nombreux cas d’affranchissement. La Déclaration d’indépendance des Etats-Unis est décrétée le 4 juillet 1776, mais les Anglais quittent New York seulement en 1783. A ce moment, la ville est concentrée au sud de Manhattan. Elle ne s’étendait pas au-delà de l’actuel Washington Square et de l’Union Square. Le reste de Manhattan et de Brooklyn était occupé par des maisons de campagnes difficiles d’accès en raison de l’état des routes.

– Bird : Donc à cette époque on ne parle pas encore de Harlem qui se trouve tout au nord de la péninsule.

– Cat : Un mouvement de contestation antiesclavagiste prend forme et à la fin du XVIIe siècle, les Etats du Nord de l’Union franchissent le pas et suppriment la servitude involontaire. Ainsi, l’Etat de New York abolit l’esclavage en 1827. Les Etats du Sud, dont l’économie est basée sur la culture du coton ne l’entendent pas de cette oreille. Une première lutte apparaît lors de l’admission du Missouri. Un compromis est trouvé qui consiste à autoriser l’esclavage dans le nouvel Etat et non pas au nord de la latitude de 36°30’. Une série de nouvelles contestations et de luttes, à partir de 1844, débouchera inévitablement sur la Guerre de Sécession (1861-1865)[6].

– Bird : Evidemment les grands propriétaires terriens du Sud avaient tout intérêt à ce que l’esclavage perdure. Cela leur rapportait une main d’œuvre à bon marché et corvéable à merci.

– Cat : Comme durant la guerre d’Indépendance, les Noirs sont enrôlés des deux côtés, avec deux réserves : ils toucheront une solde inférieure à celles des Blancs ; ils seront commandés par des officiers blancs et serviront dans des unités distinctes. Les premières unités noires montent en ligne en 1863. On trouve également des fanfares de musiciens noirs.

5. « Sambo » : A Characteristic Two Step March (1896) (William H. Tyers) – The Paragon Ragtime Orchestra
Pers. : le même que « Deep River »
Disque : CD New World Records 80611-2 – 5 (3:10)

– Bird : On a connu ça durant les deux guerres mondiales. Et c’est seulement maintenant que l’on commence à reconnaître la part importante que ces bataillons de colonisés dans les conflits pour la liberté et la démocratie !

– Cat : Bien avant cette époque, un « maquis » s’organise pour délivrer les Noirs du Sud et les amener à New York, ainsi que ceux des Antilles et d’Amérique latine. Cet afflux de population, sans travail, ni revenus va s’ajouter aux immigrants et Noirs qui occupe déjà des sortes de ghetto le long des quais de l’Hudson et le quartier des « Five Points« . En 1900, 61.000 Noirs se concentrent à New York. Entre 1910 et 1920, la population a presque doublé et elle doublera à nouveau dans les dix années suivantes.

– Bird : Et Harlem dans tout cela ?

– Cat : Au tournant du XIXe siècle, Harlem devient un des quartiers résidentiels les plus recherchés de Manhattan. Auparavant, cette zone non encore englobée dans la ville servait de résidence aux descendants de quelques pionniers irlandais et de lieu d’excursion dominicale aux bourgeois new-yorkais. En 1873, Harlem est englobée dans les limites de l’agglomération et à partir de ce moment, des promoteurs y construisent des maisons de pierre, les « brownsstones« , et des immeubles de haut standing, pour accueillir les familles bourgeoises. Magasins, écoles, églises, théâtres, cafés… rien n’y manquent. En 1881, trois lignes de métro aérien permettent d’atteindre la 128e rue.

– Bird : Mais alors où étaient logés les Noirs ?

– Cat : Les Noirs étaient déjà présents sur les rives de l’Hudson et de Harlem River : descendants d’esclaves locaux, squatters venus au milieu du siècle et surtout domestiques au service des nouveaux résidents. En 1890, ils étaient surtout établis de la 122e à la 126e rue et dans la 134e rue ouest ; « Nigger Row » formait un colonie compacte autour de la 146e rue ouest, et « Darktown » lui faisait pendant dans la 130e rue. En 1902, contrairement à l’opinion courante, les Noirs se trouvaient déjà bien implantés à Harlem[7].

– Bird : Mais comment donc Harlem est-il devenu ce qu’il est, un ghetto afro-américain ?

– Cat : Les choses changèrent entre 1900 et 1910. On combla les derniers marais, le métropolitain est prolongé, de nouveaux lotissements se vendent à prix d’or. Tout le monde veut investir dans ce nouveau quartier résidentiel. Les Juifs du Lower East Side acquièrent des immeubles au sud-est de Harlem formant ce qui deviendra la « Petite Russie », avec ses synagogues, ses boutiques casher et ses écoles hébraïques. De plus, l’immigration incessante qui amenait une population de couleur de plus en plus nombreuse, ainsi que les aménagements urbains aux alentours de la gare de Pennsylvanie poussent les classes moyennes noires de New York vers le nord de Manhattan, provoquant une opposition de la part des résidents blancs qui considèrent l’arrivée de ces « hordes de couleur » comme une catastrophe. Vers 1914, 50.000 Noirs affluent dans le quartier. Progressivement, ils s’emparent du centre de Harlem, grignotent au nord la « Petite Russie », se heurtent aux Portoricains et aux Italiens à l’est. Une spéculation immobilière malheureuse basée sur la crainte des Blancs de voir leur biens se déprécier fait monter les prix sans rapport avec la valeur de la construction, ce qui met nombre de compagnies en faillite. Déjà, de 1907 à 1914, les deux tiers des maisons voisines des enclaves noires changent de main. De nombreux logements restent inoccupés, entraînant une baisse considérable des prix ; les loyers baissent également, donnant ainsi la possibilité aux Noirs de les occuper. Une métropole riche en promesses s’ouvre à eux. Ce sera entre 1900 et 1935 les plus belles années de l’histoire de Harlem que l’on appelle « Harlem Renaissance ».

– Bird : J’espère que tu t’étendras un peu plus longuement sur cette époque qui paraît prometteuse ?

– Cat : Oui, bien sûr, cela fera l’objet de notre prochain dialogue.

6. « New York Boogie » – Roosevelt Sykes
Pers.: Roosevelt Sykes (p, voc)
Disque : CD BFY 47015-4 (3 :40)

– Cat : Malheureusement, à la suite des effets combinés de l’immigration massive et de l’exploitation sans scrupule de propriétaires et d’employeurs blancs, le quartier et les conditions d’existence se dégradent rapidement. Si bien que dans les années 30, le ghetto apparut à tous « comme un coin sordide où avaient été entassés les Noirs… ».
Après ce cours d’Histoire, revenons à la musique. Avant l’arrivée des musiciens de style « New Orleans », les musiciens du Nord jouaient la musique populaire selon les règles de la musique de variété blanche et des fanfares, ou ils devenaient des musiciens « sérieux ». En effet, comme les créoles de la Nouvelle-Orléans, ils avaient pu apprendre à jouer d’un instrument avec des professeurs européens, spécialement les immigrants originaires de la Jamaïque, de Cuba, des îles Vierges ou des Antilles françaises qui sont éduqués et ambitieux et qui acceptent difficilement la discrimination qu’ils rencontrent à New York. Ecoute le témoignage du clarinettiste noir Garvin Bushell de la période « pré-blues » : « Le jeu des musiciens new-yorkais de l’époque était différent de celui de leurs confrères de Chicago, de Saint-Louis, du Texas et de la Nouvelle-Orléans. Le jazz new-yorkais était plus proche du ragtime et comportait moins de blues. Il n’existait pas dans l’Ouest d’exécutant réellement capable de jouer le blues. Plus tard nous nous y sommes mis, en faisant comme les musiciens du Sud que nous avons entendus, mais cela ne nous était pas naturel. Nous ne mettions pas comme eux de ces quarts de tons dans la musique. Dans le Nord, c’est la conception du ragtime que nous avions apprise – une multitude de notes. »

– Bird : Je me souviens que tu m’en avais parlé lorsque tu avais abordé « Le Ragtime ». Effectivement, cette musique s’était exportée vers l’Europe depuis New York avec, si je me rappelle, l’orchestre de James « Reese » Europe.

– Cat : Tu as une bonne mémoire ! Attardons-nous un peu sur ce que ce personnage a apporté au jazz new-yorkais. James Reese Europe est né à Mobile, en Alabama le 22 février 1881. Sa famille gagne Washington DC lorsqu’il a 10 ans et c’est là qu’il commence son éducation musicale en apprenant le piano et le violon. A l’âge de 22 ans, il vient à New York pour perfectionner ses études musicales et gagne sa vie en jouant du piano dans un cabaret. En 1905, il commence à composer pour l’orchestre « The Memphis Students« . Il influence le jeune George Gershwin qui vient l’écouter, depuis l’extérieur, lorsqu’il joue au « Baron Wilkin’s nightclub« .

7. « Hey There ! (Hi There !)«  (one-step, 1915) (James Reese Europe) – – The Paragon Ragtime Orchestra
Pers. : le même que « Deep River »
Disque : CD New World Records 80611-2 – 11 (2:38)

– Bird : Pour pouvoir étudier la musique, sa famille devait appartenir à la classe bourgeoise relativement aisée. Où les Noirs aisés pouvaient-ils suivre des cours musicaux ?

– Cat : A la fin du XIXe siècle, les musiciens noirs en général se voient interdire l’entrée dans les orchestres symphoniques et les troupes d’opéra, mais ils ont un accès libre à certaines écoles et conservatoires de musique. C’est ainsi que certains d’entre eux eurent comme professeur Anton Dvorak alors directeur du Conservatoire de musique de Boston (1892-1895). Il existe déjà à cette époque toute une panoplie de compositeurs et d’interprètes afro-américains classiques dont malheureusement on parle peu.

– Bird : Je trouve cela déplorable, car je suppose qu’ils devaient introduire dans leur musique des ingrédients de leur culture et apporter ainsi une nouveauté et une fraîcheur que l’on ne trouve pas toujours chez les musiciens blancs.

– Cat : Tu as raison et se serait peut-être l’occasion de montrer, lors d’une prochaine conversation, l’influence que les Noirs ont eu sur la musique classique contemporaine. Mais revenons à James Europe. En 1907, il devient le directeur musical du « The Shoo-Fly Regiment« , puis deux ans plus tard celui du « Mr. Lode of Coal« . En 1909, il fonde, avec ses associés, le « Clef Club of New York City, Inc. », une organisation fraternelle et professionnelle ayant pour but de mettre en lumière la valeur, la dignité et le professionnalisme des interprètes afro-américains de Harlem. Ensuite, en 1914, à la suite de dissensions au sein de « Clef Club », il se retire et crée le « Tempo Club », connu également sous le nom de « Europe’s Society Orchestra. ». Les divers ensembles musicaux du « Clef Club » et du « Tempo Club » sont des exemples typiques de l’orchestre noir en vogue à l’époque. Ils ont beaucoup contribué à changer l’attitude raciste de la société blanche à leur encontre.
James Reeve Europe donne des concerts à Carnegie Hall, dont le premier en 1912, bousculant ainsi les règles de ségrégation de la prestigieuse institution. Il y joue notamment « Indian Summer » et « Concert waltz« , morceaux semi classiques légèrement syncopés. Sa popularité est telle qu’il est réinvité en 1913 et 1914. L’un de ses concerts comporte 100 musiciens, dont 10 pianistes et 47 mandolines ! En accompagnant les danseurs Vernon et Irene Castle, il contribue à lancer la Castle Walk et le fox-trot aux Etats-Unis.

8. « Carolina Fox Trot«  (1914) (Will H. Vodery) – The Paragon Ragtime Orchestra
Pers. : le même que « Deep River »
Disque : CD New World Records 80611-2 – 2 (2:42)

– Bird : C’est toute une époque qui est évoquée. C’est assez amusant d’entendre ce qui fit les beaux jours de nos grands-parents. Je trouve que ce « Paragon Ragtime Orchestra » rend bien l’atmosphère de ces années.

– Cat : En 1913, il devient le premier orchestre noir qui enregistre pour la « Victor Talking Machine Company« . Quant à ses prestations en tant que chef d’orchestre militaire et son déplacement en Europe nous en avons parlé lors du dialogue sur le Ragtime. Lors de son retour triomphal, le 17 février 1919, il conduit la parade des troupes sur la 5ème avenue, et quelques semaines plus tard, il enregistre 11 morceaux pour une compagnie d’enregistrement de Brooklyn. Lors de sa dernière tournée à travers les Etats-Unis, le 9 mai 1919, à la fin de la prestation, son batteur, Herbert Wright, à la suite d’une violente dispute lui tranche la jugulaire d’un coup de couteau. Le lendemain, les journaux annoncent que le « Roi du Jazz est mort ». Il est enterré avec les honneurs militaires au cimetière national d’Arlington.
Ecoutons-le encore une fois dans « Castle Walk« .

9. « Castle Walk » – Europe’s Society Orchestra – New York, 10/02/1914)
Pers. : William “Cricken” Smith (crt) – inconnu (tb) – Edgar Campbell (cl) – inconnu (fl) – inconnu (bh) – Tracy Cooper, Georges Smith, Walter Scott (vl) – Charles Ford (cello) – Leonard Smith, Ford T. Dabney (p) – Charles “Buddy” Gilmore (dm) – James Reese Europe (ldr).
Disque : Frémeaux & Associés FA 067 – CD2-13 (3’12)

– Bird : Fin tragique pour ce précurseur qui sut faire reconnaître la valeur de ses congénères.
Si je reviens à sa période européenne, lors de la première guerre mondiale, les Noirs américains ont du être confrontés à d’autres réalités que celles rencontrées aux Etats-Unis.

– Cat : C’est vrai, ce conflit contribua à faire prendre conscience à la communauté noire que le monde était différent de leur environnement. L’Europe était également peuplée de Blancs, mais avec une mentalité différente, plus réceptive. De plus, le fait d’être enrôlé dans des régiments spéciaux et d’avoir le sentiment, malgré leur fierté de participer aux affaires du pays, accentua leur ressentiment à l’encontre des restrictions raciales. Pour la première fois, les Noirs américains prirent conscience de la singularité de leur condition. C’est durant la guerre et après celle-ci qu’eurent lieu de nombreuses émeutes raciales, comme celles de Saint-Louis en 1917.

– Bird : Evidement, la comparaison avec d’autres modes de vie et d’autres types de société doit inévitablement éveiller un sentiment de frustration. Ce fut le même phénomène lors de la seconde guerre mondiale avec les régiments africains et c’est à partir de là qu’un mouvement indépendantiste s’est mis en place dans nos anciennes colonies.

– Cat : Nous avons vu, comme tu l’as rappelé, lors du dialogue sur « Le Ragtime », que James Europe avait contribué à faire connaître ce type de musique sur le vieux continent avec sa fanfare militaire. Sa musique allait s’appeler « Jazz » par la suite. Bien que ce n’en soit pas, il apporte tout de même certaines innovations. Ecoutons-le : « Pour les cuivres, on employait des sourdines et un tournoiement de la langue, tout en soufflant de toutes nos forces. Pour les instruments à vent, on serrait l’embouchure en soufflant très fort. C’est ce qui produit la sonorité particulière que vous connaissez tous. Pour nous, cela n’a rien de discordant… De cette manière, nous accentuons fortement les notes qui ne seraient accentuées normalement. C’est une chose naturelle pour nous ; en fait, c’est un caractère de la musique de la race. Je dois faire une répétition tous les jours, pour empêcher les musiciens d’ajouter la musique plus que je ne le souhaite. A la moindre occasion, ils font tous des variations sur leur partie pour créer des sonorités nouvelles, particulières ».

10. « The Clef Club March » (1910) (James Reese Europe) – The Paragon Ragtime Orchestra
Pers. : le même que « Deep River »
Disque : CD New World Records 80611-2 – 16 (2:47)

– Cat : Revenons à New York. Au début du XXe siècle, Big Apple n’a pas encore subit l’influence de la musique du Sud. Partagée entre sa ville haute et sa ville basse, la cité offre déjà une remarquable variété musicale : des shows les plus sophistiqués de Broadway aux musiques des bouges, les honkytonks. Elle constitue déjà la grande vitrine culturelle de l’Amérique et Harlem deviendra la capitale noire des Etats-Unis, à partir des années 20.

– Bird : Et elle l’est toujours. A l’heure actuelle, l’événement artistique se fait à New York, quoiqu’il en déplaise à Paris.

– Cat :   Comme tu le vois, une certaine partie de la population noire a déjà une activité artistique élaborée. En 1821, s’ouvre le 1er théâtre noir à Broadway, l’African Grove[8], dans Mercer Street, créé par un certain Mr. Brown. Il fermera en 1823, ruiné par des truands blancs. Par contre, les nouveaux arrivés qui se pressent dans le quartier malfamé des « Five Points » fréquentent le Dickens Palace, tenu par Pete Williams, un Noir, dans Cow Bay Alley. Ce bouge est souvent le lieu de bagarres épiques et sanglantes entre Noirs et policiers. Sur l’estrade un orchestre  joue pour faire danser le public et accompagner les taxi-girls qui chantent à l’occasion. On suppose que la musique jouée est inspirée par les mélodies écossaises, irlandaises et, franco-italiennes, interprétées à l’africaine. Voici d’ailleurs un air à caractère pseudo-irlandais, joué par les frères Flanagan qui connurent un certain succès aux Etats-Unis, dans les années 20.

11. « Moving Bogs » – Flanagan Brothers [9]– New York City.
Pers. : Joe Flanagan (accor) – Mike Flanagan (bjo) – Louis Flanagan (g)
Disque : FA 5061 – CD1-7

– Bird : Donc, comme on l’a vu avec James Europe, j’en conclus qu’il existe deux classes sociales dans la population afro-américaine. Une bourgeoisie noire qui essaye de s’intégrer dans la société américaine et celle des moins bien lotis qui s’entasse dans des quartiers plus ou moins mal famés.

– Cat : Oui, effectivement, on peut même remonter aux premiers temps de l’esclavage dans le Sud. Deux sortes d’esclaves, très différents les uns des autres vivaient sur les domaines des riches propriétaires. En effet ces riches avaient l’habitude de recruter leurs domestiques parmi les Noirs. Ceux-ci, de ce fait, se trouvaient en contact avec un mode de vie moins rustre que leurs congénères travaillant dans les champs. Ils étaient intégrés à la vie de famille et traités comme l’on traite un animal domestique. Ils faisaient l’objet d’une jalousie féroce de la part des pauvres hères qui s’esquintaient comme des bêtes de somme dans les cultures. Ce sont les premiers qui lors de l’émancipation donneront naissance à la bourgeoisie afro-américaine. Voulant à tout prix s’intégrer dans la nation américaine, ils rejetteront les formes de musique propres à leur peuple comme le blues et se tourneront plutôt vers une musique plus policée. Rappelle-toi ce que nous avons dit lors du dialogue sur le Ragtime, musique écrite.

– Bird : Ce que tu dis, on le ressent à la vision des vieux films qui relatent toute cette période comme « Autant en emporte le vent« [10], dans lesquels on trouve toujours la brave nounou noire au cœur tendre.

– Cat : Vers 1910, on rencontre de nombreux musiciens aussi bien dans Downtown que dans Uptown, le bas et le haut de Manhattan. Ceux de Uptown (Harlem), sans organisation, fréquentent les petits clubs ou les hôtels de deuxième catégorie. Il faut être un habitué pour savoir où les rencontrer, généralement dans l’arrière boutique du barbier ou chez le barman du coin. Ceux de Downtown ont plus de chance d’être connus. Meilleurs techniciens, ils jouent dans les théâtres de Broadway ou dans les cabarets pour un public blanc bien pensant qui aime s’encanailler au contact de cette musique syncopée. De plus, dans la 28e rue, surnommée Tin Pan Alley, une véritable industrie de la chanson de variétés se développe. On y rencontre les auteurs-compositeurs blancs comme les frères Gershwin, Cole Porter, Jerome Kern et bien d’autres. Voici d’ailleurs George Gershwin au piano.

12. « Tip-Toes Medley (Someone To Watch Over Me / Clap Yo’ Hands) » – George Gershwin – 1926
Pers. : George Gershwin (p)
Disque : CD FA 152 – CD1-7 (5:51)

– Cat : Le premier orchestre de style « Dixieland » qui arrive à New York est l’ »Original Dixieland Jass Band« , qui, si tu t’en souviens, avait enregistré le premier disque de « jazz » en 1916. Il se produit, dès 1917, à Broadway, au restaurant « Reisenweber« . Il est mentionné dans le New York Herald du 14 janvier 1917 avec pour la première fois le mot « jazz » en place de « jass« . Il aura une grande influence sur la scène locale et on verra apparaître de nombreux « jazz-bands » aussi bien blancs que noirs. Voici cet orchestre dans l’introduction intitulée « Broadway Rose »  de la revue « Dolly I love you« .

13. « Broadway Rose« The Original Dixieland Jass Band– New York City, 1920
Pers. : Dominique J. La Rocca (crt) – Edwin Edward ­(tb) – Lawrence « Larry » Shield (cl) – Henry Ragas (p) – Tony Sbarbaro (dm)
Disque: RCA ND 90026 CD1–15 (3’10)

– Cat : A Harlem, le surpeuplement entraîne inévitablement la promiscuité et son lot de maladie comme la tuberculose. Il favorise l’installation des gangs et les rackets. Il s’en suit de nombreuses bagarres, une hausse de la criminalité. Dans la classe sociale la plus pauvre, les locataires d’un appartement organisent des soirées, « rent party » dans le but de récolter l’argent du loyer. Quelques bouteilles de gin, quelques plateaux de pieds de porc grillés et un bon pianiste, il n’en faut pas plus pour créer l’ambiance. Chaque invité participe à raison d’une vingtaine de cents. Un nouveau style pianistique s’instaure à cette occasion, dont nous avons déjà parlé lors du dialogue sur le Ragtime. Rappelle-toi l’école de Harlem avec son « stride piano » lancé par James P. Johnson. Le voici dans « The Harlem Strut« .

14. « The Harlem Strut » – James P. Johnson – New York City, c. août 1921
Pers. : James P. Johnson (p)
Disque : CD RHINO CD1-3 (2:32)

– Bird : Effectivement, je m’en souviens très bien et  j’apprécie son jeu de la main gauche..

– Cat : La musique jouée dans Uptown se fait connaître du grand public de la ville basse par l’intermédiaire des Bert Williams, Florence Mills, puis Ethel Waters[11] et surtout de l’orchestre de Fletcher Henderson. Pour illustrer ceci, deux morceaux, l’un par Bert Williams, l’autre par Ethel Waters accompagnée par Fletcher Henderson.

15. « Brother Low Down » – Bert Williams – Lieu d’enregistrement inconnu, 21-10-1921
Pers. : Bert Williams (voc) – Inconnus (tp, tb, s, vl, p)
Disque : CD RHINO CD1-4

16. « There’ll Be Some Changes Made« – Ethel Waters & Her Jazz Masters – New York City, août 1921
Pers. : Ethel Waters (voc) – Garvin Bushell (?) (cl) – Charlie Jackson (vl) – Fletcher Henderson (p) Inconnu (tp, tb, tuba)
Disque : CD RHINO CD1-6

– Bird : Ce Fletcher Henderson n’est-il pas un chef d’orchestre qui a influencé la plupart des « big band » de l’ère « swing« .

– Cat : Oui, bien sûr, mais tu vas trop vite. Nous en parlerons plus longuement lorsque nous aborderons les grands orchestres. Mais je ne résiste pas à la tentation de t’en donner déjà un petit aperçu.

17. « Teapot Dome Blues » – Fletcher Henderson & His Club Alabam Orchestra – New York, 15-04-1924
Pers. : Elmer Chambers (tp) – Howard Scott (tp) – Joe Smith (tp) – Teddy Nixon (tb) – Don Redman (sa, cl) – Coleman Hawkins (st) – Fletcher Henderson (p) – Charlie Dixon (bj) – Bob Escuderon (tub) – Kaiser Marshall (dm)
Disque : C4L CL 1682 – A-2

– Bird : Cela promet d’être emballant !

– Cat : A partir de 1926, un grand mouvement musical, sous l’influence des musiciens de jazz venant de Chicago, voit le jour à Harlem. Les Noirs du Nord subissent en général l’influence de leurs tonalités « hot » et « blue ». C’est aussi grâce au disque que ce type de musique se répand dans un vaste public blanc et noir. La Renaissance d’Harlem est lancé et ce sera le sujet de notre prochaine conversation.

– Bird : Que vas-tu encore me faire découvrir à cette occasion ?

– Cat : Terminons en citant le clarinettiste blanc Mezz Mezzrow dont nous avions fait la connaissance à propos des Chicagoans : « La merveilleuse musique des Noirs était tout bonnement le reflet de leur nature, de leur point de vue neuf et candide, de leur philosophie de l’existence. On commence à s’interroger sur leur technique, mais dès qu’on se met à analyser la chose, on finit par éprouver le besoin de connaître leur vie, leur esprit et leurs sentiments ». Cela rejoint ce que tu disais après l’écoute de Billie Holiday. Et pour terminer, encore une grande chanteuse de « blues » new-yorkaise, Rosetta Howard.

18. « If You’re A Viper » – Rosetta Howard & The Harlem Hamfats – 5-10-1937
Pers. : Rosetta Howard (voc) – Herbert “Kid” Marand (tp) – Odell Rand (cl) – Horace Malcolm (p) – Joe McCoy, Charles McCoy (g, mand) – Jack Lindsay (b) – Fred Flynn (dm)
Disque : Bru. 100354 45RPM – B-1 ()

 

Discographie
 
1) Frank Sinatra
Reprise CRV 1022 – 30cm, 33T.

2) Bixology – The Bix Beidebecke records story in chronological order – Vol. 5
Joker / SM 3561 – 30cm, 33T.

3) Black Manhattan – Clef Club
New World Records 80611-2 – CD

4) Billie Holiday
CDLIVRE

5) Roosevelt Sykes
Blues Factory BFY 47015 – CD

6) From Cake-Walk to Ragtime 1898-1916
Frémeaux & Associés FA 067 – 2CD

7)      ?
Frémeaux & Associés FA 5061 – CD

8) George Gershwin – A Century of Glory
CD FA 152 – 2CD

9) Jazz Tribune N° 70 – The complete Original Dixieland Jazz Band
RCA ND 90026 2CD

10) Rhapsodies in Black – Music and Words from the Harlem Renaissance
CD RHINO  4CD

11)  A Study in Frustration – The Fletcher Henderson Story
Columbia C4L 19 – 30cm, 33T. (coffret de 4 disques)

12)  This is the blues, Vol. 4 – Rosetta Howard & the Harlem Hamfats
Brunswick 10 354 – 45RPM

Bibliographie

  1. Bergerot Franck, Merlin Arnaud (1991) – L’épopée du Jazz – Du Blues au Bop, Découvertes Gallimard/Arts 114.
  1. Collectif (1993) – Harlem 1900-1935 – De la métropole noire au ghetto, de la Renaissance culturelle à l’exclusion, Editions Autrement, Paris.
  1. Heuvelmans Bernard (1951) – De la Bamboula au Be-Bop, Editions de la Main Jetée, Paris.
  1. Jones LeRoi (1968) – Le people du blues, Gallimard, coll. « Folio » 3003.
  1. Kaspi André (1997) – La guerre de Sécession – Les Etats désunis, Gallimard, coll. « Découvertes Gallimard – Histoire ».
  1. Lacour-Gayet Robert (1957) – La vie quotidienne aux Etats-Unis à la veille de la Guerre de Sécession 1830-1860, Hachette.
  1. Mortier Raoul (sous la direction) (1937) – Dictionnaire Encyclopédique Quillet, Librairie Aristide Quillet, Paris.
  1. Newton Francis (1966) – Une sociologie du jazz, Flammarion, Paris.
  1. Southern Eileen (1976) : Histoire de la Musique noire américaine, Buchet/Chastel, Paris.
  1. Ulanov Barry (1955) – Histoire du Jazz, Buchet/Chastel – Corréa, Paris.

NOTES

 


[1] Fohlen (Claude), professeur émérite Université Paris Sorbonne – Histoire de l’esclavage aux Etats-Unis, Perrin, Paris, 1998, 346 p.

[1] Ces premiers pas dans la colonisation de ce territoire ne constituent en fait que la suite d’un processus entamé un siècle plus tôt.

En effet, c’est en 1524 que l’expédition française dirigée par le Florentin Giovanni Da Verrazzano découvre pour la première fois la baie de New York. Le roi François 1er étant alors en guerre avec l’Espagne, l’information est envoyée aux archives. Pendant plusieurs dizaines d’années, ce sont surtout les Espagnols qui vont manifester de l’intérêt pour le Nouveau Monde et en exploiter les richesses.


Willem Usselinx

En 1555, l’abdication de Charles Quint en faveur de son fils Philippe II va précipiter les Pays-Bas dans le chaos. Le duc d’Albe, envoyé par le roi d’Espagne, y impose une répression impitoyable contre les protestants, en révolte contre les abus de l’Eglise catholique.
Les excès de l’Inquisition mèneront à une émigration massive de Wallons et de Flamands vers le Nord des Pays-Bas, la Suède, l’Angleterre et l’Allemagne, à la révolte des « Gueux », ainsi qu’à la sécession des Provinces du Nord des Pays-Bas, qui prendront le nom de Provinces-Unies. Les Provinces du Sud continueront à subir le joug espagnol et les affres de la guerre.
Pour éviter toute confusion, il faut savoir qu’à l’époque, les Pays-Bas couvraient une bonne partie du Nord de la France et de la Lorraine, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas actuels. Ses habitants étaient appelés les Belges, et les cartes de l’époque représentaient le pays sous la forme d’un lion : le « Leo Belgicus « .
C’est en cette époque troublée que naît un jeune Anversois dénommé Willem Usselinx. Sa famille le destinant au négoce des épices, elle l’envoie faire sa formation en Espagne, au Portugal et aux Açores. A son retour des Açores en 1591, Usselinx décide de quitter Anvers pour la Hollande. Ayant constaté à quel point l’Espagne tirait sa richesse de ses colonies américaines, il n’aura de cesse de convaincre les Hollandais de fonder également des colonies dans le Nouveau Monde, dans le but d’y combattre les Espagnols.
Près de trente années d’obstination et d’efforts seront nécessaires de la part de Willem Usselinx pour qu’en 1621, la Compagnie des Indes occidentales voie enfin le jour. C’est elle qui affrètera le Nieu Nederlandt

Henri Hudson
En 1609, un marin anglais nommé Henri Hudson découvre, par approximativement quarante et un degrés de latitude nord et septante-quatre degrés de longitude ouest, une grande baie dans laquelle se jette un long fleuve surgi des montagnes.
Hudson avait été chargé par les Flamands Emmanuel Van Meteren, Judocus Hondius et Petrus Plancius de découvrir, pour le compte de la Compagnie des Indes orientales, un nouveau passage vers la Tartarie et la Chine.
Alors qu’il explorait les côtes d’Amérique à bord de son navire, le hasard lui fit trouver, 85 ans après Verrazzano, le fleuve qui allait porter son nom, ainsi que le territoire qui devait devenir la future New York.

Jessé de Forest
Jessé de Forest faisait partie de ces Wallons ayant fui les persécutions religieuses. Né à Avesnes en Hainaut en 1576, il quitte sa terre natale en 1615 et part s’installer à Leyde en Hollande. Il va y remuer ciel et terre pour obtenir le droit d’émigrer avec les siens et d’autres familles wallonnes vers le Nouveau Monde. Il y côtoiera aussi des Puritains anglais, futurs passagers du Mayflower.
Le 5 février 1621, Jessé de Forest adresse une pétition, rédigée en français, à Sir Dudley Carleton, ambassadeur de Sa Majesté le roi d’Angleterre à La Haye. Jessé y demande, au nom d’une cinquantaine de familles wallonnes et françaises, l’autorisation de s’établir en Virginie, sollicitant pour ces dernières un territoire de huit milles anglais à la ronde. Connu sous le nom de Round Robin, ce document est aujourd’hui conservé au British Public Record Office.
Le 11 août 1621, la Virginia Company répond par un accord de principe, assorti de certaines restrictions, dont la plus grave interdit aux familles wallonnes de se rassembler en une seule colonie autonome. Jessé de Forest décline l’offre.
La naissance de la Compagnie des Indes occidentales fait alors germer un plan des plus astucieux dans l’esprit du Wallon.
Proposant ses services et ceux de ses compatriotes à la Compagnie hollandaise, Jessé lui apprend aussi qu’un groupe de familles, pratiquant tous les métiers, a l’occasion d’émigrer sous peu pour le compte des Anglais. Arguant que ces colons préféreraient partir pour la Compagnie des Indes occidentales, il souhaite une réponse rapide, précisant en outre que l’offre est à prendre ou à laisser.
Les États de Hollande, conscients de l’importance d’une telle ouverture pour d’éventuelles futures entreprises de colonisation, consultent le jour même les Bewindhebbers (directeurs) de la Compagnie, alors réunis à La Haye.
Le 27 août 1622, après les années d’efforts fournis par Willem Usselinx et Jessé de Forest, ce dernier obtient enfin l’autorisation officielle d’émigrer avec les familles candidates aux Indes occidentales.
Parti en reconnaissance sur les côtes de Guyane en 1623, Jessé de Forest meurt au bord de l’Oyapok (aujourd’hui frontière entre le Brésil et la Guyane française), le 22 octobre 1624.
Sa fille Rachel et ses fils Isaac et Henri iront rejoindre la Nouvelle-Belgique dix ans plus tard.

Nouvelle-Belgique
A partir de 1615, les territoires compris entre la Virginie et la Nouvelle-Angleterre vont porter indifféremment le nom de Nouvelle-Belgique (Novum Belgium, Novo Belgio, Nova Belgica, Novi Belgii) ou de Nouveaux-Pays-Bas.
Le terme Belgique fait référence aux anciens Pays-Bas, qui couvraient alors une partie du Nord de la France et de la Lorraine, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas actuels. Ses habitants s’appelaient les Belges.
De nombreuses cartes du XVIe siècle montrent d’ailleurs ce territoire portant le nom de Belgique. Le nom tombera ensuite en désuétude au profit des Pays-Bas, et ne fera sa réapparition qu’en 1789 à l’occasion de la première révolution belge.
Plusieurs sceaux de l’époque rappellent en outre que les territoires entourant la future New York portaient le nom de Nouvelle-Belgique. Un premier sceau datant de 1623, porte l’emblème d’un castor – avant l’arrivée des colons en 1624, c’étaient surtout les trappeurs qui exploitaient la contrée -, et porte la mention  » Sigillum Novi Belgii « . Le sceau de la Nouvelle-Amsterdam, datant de 1654, porte quant à lui la  mention  » Sigillum Amstellodamensis in Novo Belgio « .

Pierre Minuit
En 1626, Pierre Minuit, gouverneur de la Nouvelle-Belgique, se rend célèbre en achetant l’île de Manhattan aux Indiens Manhattes, en échange de verroteries et autres colifichets, pour l’équivalent de 60 florins (24 dollars).
Pierre Minuit est un Wallon, né à Wesel (Rhénanie). Ses parents, originaires de Tournai en Hainaut, s’y étaient installés en 1581 pour fuir les persécutions religieuses. Il deviendra lui-même diacre de l’Eglise wallonne.
Soucieux de défendre les intérêts des colons, il se distinguera aussi par le respect de ceux des Indiens, partant du principe qu’il y a plus à retirer du mélange et de l’intégration harmonieuse de deux cultures – même opposées en apparence – que dans le rejet pur et simple de la plus faible ou soi-disant moins  » civilisée « .
La tolérance n’est d’ailleurs pas le point fort de la Compagnie des Indes occidentales. Organisation féodale, celle-ci impose à tous les colons désireux d’émigrer en Nouvelle-Belgique une série  de règles strictes : outre l’exercice de la religion réformée, les colons doivent faire usage exclusif du bas-allemand – langue à l’origine du flamand et du néerlandais actuels -, dans tous les actes publics rendus à la colonie.
De nombreux patronymes sont  » néerlandisés « , comme Rapalje pour Rapaille ou Minnewit pour Minuit. D’autres colons sont tout simplement désignés par le nom de la ville hollandaise qu’ils viennent de quitter. L’historien américain Charles W. Baird, dans son livre « History of the Huguenot Emigration to America », a qualifié ce genre d’abus de Batavian disguise (camouflage à la Batave).
Il est également défendu aux colons de tisser de la laine ou de la toile, ainsi que de fabriquer du drap ou tout autre tissu, sous peine d’être bannis ou punis comme parjures. Le but caché est ici de garantir un monopole aux importations en provenance de Hollande.
L’attitude bienveillante et protectrice de Pierre Minuit à l’égard des colons, ainsi que la convoitise d’un directeur de la Compagnie hollandaise voulant imposer son neveu en tant que gouverneur, font qu’il est rappelé en 1632.
Les traces des Wallons et des Flamands à New York sont nombreuses et souvent ignorées : la baie de Gowanus par exemple, à l’ouest de Brooklyn tire son nom d’Owanus, traduction latine de Ohain, village du Brabant wallon. La baie de Wallabout, au nord de Brooklyn est une déformation du néerlandais Waal bocht (baie wallonne).
Le nom de Hoboken, quartier bien connu à l’ouest de Manhattan, provient d’une commune de l’agglomération d’Anvers en Flandre. Communipaw, à Jersey City, est la contraction de Community of Pauw. Michel De Pauw, originaire de Gand en Flandre, avait aussi acheté Staten Island aux Indiens en 1630.
Quant à Peter Stuyvesant, à qui certains veulent absolument attribuer la paternité de la fondation de New York, il n’est arrivé qu’en 1647, soit vingt-trois ans après le débarquement des premiers colons.

Reconnaissance américaine
En plus du monument commémoratif, une pièce de monnaie en argent, de 50 cents, est également mise en circulation à la même époque. Le gouvernement des Etats-Unis rend encore hommage aux premiers colons en procédant à l’émission de timbres-poste de 1, 2 et 5 cents.

Oubli belge
On peut se demander pourquoi les circonstances réelles entourant la naissance de New York sont, aujourd’hui encore, pratiquement ignorées dans la Belgique actuelle.
Les manuels scolaires et livres d’histoire sont muets à ce sujet. Récemment, Génies en herbe, un jeu organisé par la RTBF (Radio Télévision belge francophone) et mettant en compétition différentes écoles, demanda aux candidats qui était le fondateur de New York. La prétendue bonne réponse était Peter Stuyvesant… Une réponse qui en dit long sur l’oubli dans lequel sont tombés les ancêtres des participants… et des organisateurs !
Cet oubli peut s’expliquer de différentes façons. En voici une qui paraît plausible : les fondateurs de New York étant des Wallons et des Flamands protestants, la Belgique étant catholique et l’enseignement ayant très longtemps été influencé par l’Eglise, on peut supposer que celle-ci ait volontairement occulté cette période de notre histoire.
Après trois cent septante-cinq ans, les colons wallons et flamands protestants ne semblent donc toujours pas bénéficier du pardon de l’Eglise catholique.
Les rancunes sont quelquefois tenaces…


Bibliographie

• Description de la Nouvelle Belgique (par Johannes De Laet – 1640)
• Les Belges et la fondation de New York (par Antoine De Smet – conservateur adjoint à la Bibliothèque royale de Belgique)
• Les Wallons, fondateurs de New York (par Robert Goffin, Institut Jules Destrée)
• Historique de la colonisation de New York par les Belges (par G. Gomme)
• The Belgians, first settlers in New York (by Henri G. Bayer)
• History of the Huguenot immigration to America (par Charles W. Baird)
• History of the United States of America (par George Bancroft)
• History of the city of New York (par Martha Lamb)
• Narratives of New Netherland  (par Franklin Jameson)
• History of the State of New York (par Dr. John Romeyn Brodhead)
• Memorial History of the City of New York (par le Général James Grant Wilson)
• La part des Belges dans la fondation de l’Etat de New York (par le Baron de Borchgrave)
• Willem Usselinx (par Michel Huisman, professeur à l’Université libre de Bruxelles)
• Belgian Americans (by Jane Stewart Cook)

BatteryParkInscription

http://users.skynet.be/newyorkfoundation/FR/les_origines_de_new_york.html

Presented to the city of New York by the Conseil provincial du Hainaut in memory of the walloon settlers who came over to America in the Nieu Nederland under the inspiration of Jesse de Forest of Avesnes then conty of Hainaut one of the XVII provinces.


[2] The Paragon Ragtime Orchestra : Cet orchestre a été fondé en 1985. Il s’est spécialisé dans la retranscription de l’authentique musique américaine du début du XXe siècle, musique de théâtre, de cinéma muet, de danse. Son chef, Rick Benjamin en eut l’idée lorsqu’il découvrit des centaines de partitions du début des années 1900 du tromboniste compositeur de l’orchestre de Sousa, chez la firme d’enregistrement Victor.

[3] Plan de Manhattan
Manhattan


[4] Paroles de « Strange Fruit » :

Southern trees bear a strange fruit.                                                    Les arbres du Sud portent un étrange fruit.
Blood on the leaves and blood at the root.                                      Du sang sur les feuilles, du sang aux racines.
Black body swinging in the southern breeze.                                 Un corps noir se balançant dans la brise su Sud.
Strange fruit hanging from the poplar trees.                                  Etrange fruit pendant aux peupliers.

Pastoral scene of the gallant South.                                                     Scène pastorale du “vaillant Sud”.
The bulging eyes and the twisted mouth.                                          Les yeux exorbités et la bouche tordue.
Scent of magnolia sweet and fresh.                                                      Parfum de magnolia doux et frais.
And the sudden smell of burning flesh !                                              Puis la soudaine odeur de chair brûlée !

Here is a fruit for the crows to pluck.                                                  Fruit déchiqueté par les corbeaux.
For the rain to gather, for the wind to suck.                                    Abreuvé par la pluie, asséché par le vent.
For the sun to rot, for a tree to drop.                                                   Mûri par le soleil, perdu par les arbres.
Here is a strange and bitter crop.                                                          Etrange et amère récolte.

Lewis Allen

[5] Les paroles de « Strange Fruit » ont pour origine un poème écrit il y a plus de 60 ans par un enseignant juif du Bronx, Abel Meeropol, plus connu sous son nom de plume, Lewis Allen, , et peut-être plus célèbre pour avoir adopté les 2 fils des époux Rosenberg exécutés en 1953 pour intelligence avec l’ennemi.
Ce texte chanté par Billie Holiday à partir de 1939 au Cafe Society, le 1er cabaret « intégré » (*) de New York, avait le don de pétrifier l’assistance chaque fois qu’elle le chantait et n’a jamais perdu de son impact au fil des ans.
(*) de l’anglais « integrate », désignait les endroits acceptant les noirs, par opposition à « segregate », ne les acceptant pas.

« Strange Fruit » n’est pas seulement le premier « protest song » américain, il est aussi le plus puissant et le plus durable.
Aujourd’hui encore, beaucoup pensent que Billie Holiday a écrit ce texte, un mythe conforté par elle-même et le film « Lady Sings the Blues » dans lequel elle se met à écrire ces lignes après avoir assisté à un lynchage.
En fait, Meeropol publia ce poème en 1937 et le mit en musique lui-même avant qu’il ne parvienne à Billie Holiday qui en remania la musique avant de l’interpréter.
Billie qui ne s’était jamais frottée à quoi que ce soit de politique auparavant, avait 23 ans quand elle chanta pour la 1ère fois « Strange Fruit » et en fit rapidement sa « propriété » tant elle y ajoutait de puissance et d’impact par sa personnalité, sa diction parfaite et sa manière de ponctuer chaque phrase donnant au texte une intensité dramatique exceptionnelle.

Contrairement à nombre de chants protestataires tombés dans l’oubli, voire devenus obsolètes, « Strange Fruit » survit grâce à ses incroyables possibilités métaphoriques. L’étrange fruit dont parle Meeropol ne pend plus aux peupliers du Sud et les lynchages n’ont plus cours sur le sol des Etats-Unis depuis qu’il a écrit ce poème… Cependant les visions de James Byrd Jr, traîné derrière une camionnette à Jasper au Texas, d’Amadou Diallo, de Patrick Dorismond, d’Abner Louima, et tant d’autres Noirs tués ou mutilés par des Blancs, victimes d’actes racistes de toute nature, minorités opprimées, sont toujours bien présentes et nous rappellent combien « Strange Fruit » n’est pas un chant d’hier, mais malheureusement d’aujourd’hui, de demain, de toujours…


(d’après : http://www.lady-day.org/aboutsrangefruit.html)

[6] Guerre de Sécession (1861-1865) : En dépit du compromis, nouvelles contestations et nouvelles luttes, à partir de 1844, à l’occasion de l’admission de nouveaux Etats. Exaspération de l’antagonisme entre Nord et Sud ; formation, dans le Sud, d’un parti résolument sécessionniste, décidé à sacrifier, au besoin l’Union à la cause esclavagiste.
L’élection présidentielle de 1860 se fait sur la question de l’esclavage : le candidat des républicains ; Lincoln, se présente, non comme abolitionniste (il reconnaît à chaque Etat le droit de régler pour son compte, la question de l’esclavage) mais comme résolument antiesclavagiste (il déclare que, la liberté étant une condition naturelle, personne n’a le droit d’établir l’esclavage dans un territoire de l’Union). Son élection est considérée par les Etats du Sud comme une provocation et les détermine à se séparer de l’Union (1861).
Rompant avec ceux du Nord, les Etats du Sud se constituent en une confédération à part sous le nom d’Etats confédérés d’Amérique, se donnent un président, Jefferson Davis, et une capitale, Richmond (la capitale de la Virginie). Leur sécession entraîne une guerre de quatre ans (1861-1865), où se joue le sort de l’Union.
Les Sudistes ou confédérés sont mieux préparés et mieux commandés : d’où leurs succès du début (1861-1862). Les Nordistes ou fédéraux ont la supériorité du nombre et des ressources : leur avantages s’accusent à mesure que la guerre se prolonge. Deux théâtres principaux d’opérations : à l’ouest, occupation par les Nordistes de la ligne du Mississippi, d’où ils opèrent un grand mouvement d’enveloppement des Confédérés par le sud ; – au Nord, luttes prolongées, sanglantes et longtemps incertaines dans l’espace (120 km) compris entre Washington, la capitale des Fédéraux, et Richmond, la capitale des Confédérés. C’est là que se livre la dernière et décisive bataille entre le général sudiste Lee et le général nordiste Grant : elle se termine, après dix jours de combats meurtriers, par la capitulation de Lee (avril 1865). Cinq jours plus tard, Lincoln, qui commence une seconde présidence, est assassiné par un esclavagiste fanatique.
Conséquences de la victoire du Nord sur le Sud : l’Union est sauvée ; – l’esclavage est abolit (dès 1863), tous les esclaves des Etats rebelles sont déclarés libres ; – en 1865, un amendement à la constitution sanctionne l’abolition complète de l’esclavage dans toute l’étendue des Etats-Unis. (Dictionnaire Encyclopédique Quillet.


[7] Plan de Harlem
Harlem

[8] African Grove permet à la 1ère troupe afro-américain (African Company) de présenter des pièces de Shakespeare et la 1ère pièce écrite par un auteur noir américain, « King Shiotaway », basée sur l’insurrection des Karibs noirs dans l’île Saint-Vincent. Les Karibs noirs sont des descendants d’esclaves venant d’Afrique qui ont échoué sur l’île à la suite de naufrage de leurs navires.

[9] Flanagan Brothers : les frères Joe, Mike et Louis Flanagan étaient les héritiers d’une famille irlandaise de Waterford à la riche tradition musicale. Après leur immigration en Amérique à un très jeune âge, ils s’imposeront dans les années 20 à la tête d’un grand orchestre extrêmement populaire de New York à Miami. Ils enregistreront 160 titres entre 1921 et 1933, autant de morceaux de jazz que de pièces irlandaises auxquelles ils impriment un swing et un mouvement jazzy qui font leur succès. A la fin des années 30, la mort brutale de Joe et de Louis met un terme à l’aventure des Flanagan Brothers. Mike se retirera à Albany, refusant les offres répétées de « comme back ». (D’après le livret du double CD Frémeaux & Associés FA 5061).

[10] « Autant en emporte le vent » : film de 1939 réalisé par Victor Fleming, George Cukor et Sam Wood et dont les principaux acteurs sont Clark Gable, Vivien Leigh, Olivia De Havilland, Leslie Howard et Hattie McDaniel.
En bref : Scarlett O’Hara, jeune femme fière de la haute bourgeoisie sudiste, s’intéresse au fiancé de sa cousine. Le jour où la Guerre de Sécession éclate, elle retient toute l’attention de Rhett Butler, un jeune homme cynique…

[11] Ethel Waters est une remarquable artiste. Après quelques petits emplois, elle devient chanteuse de cabaret et monte sur les planches des théâtres Lincoln (Baltimore) et Lafayette (Harlem). Dans les années 1920, elle enregistre des chansons pour la Black Swan Records et la Columbia Records. Elle chante notamment à plusieurs reprises aux côtés de Fletcher Henderson, comme dans le morceau que l’on vient d’entendre. En adaptant les paroles et les spectacles des artistes noirs, elle contribue à populariser l’urban blues auprès du public blanc, cela dans un contexte délicat (le marché sudiste boycotte systématiquement les oeuvres artistiques de la population noire). Deux de ses chansons sont restées célèbres : Dinah (1925) et Stormy Weather (1933). Elle chante dans de nombreuses productions présentées à Broadway (Blackbirds, 1930 ; At Home Abroad, 1936).
Ethel Waters est la première superstar afro-américaine du cinéma. Elle y fait ses premiers pas grâce à une prestation chantée dans On with the show (Alan Crosland, 1929). Entre 1929 et 1959, elle tourne dans une dizaine de films. Nominée aux Oscars pour sa prestation dans Pinky (Elia Kazan, 1949), film sur la discrimination raciale, Ethel Waters affirme ses talents d’actrice dramatique dans Cabin in the sky (Vincente Minnelli, 1942). The Member of the wedding (Fred Zinnemann, 1953) lui permet d’être à nouveau dans la course aux Oscars. En 1959, elle tourne son dernier film, The Sound and the fury (Martin Ritt, 1958). Elle a publié deux autobiographies, His Eyes on the Sparrow (1951) et To Me it’s Wonderful (1972). Elle consacre ses dernières années à des tournées religieuses en compagnie de l’évangéliste Billy Graham.

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13ème DIALOGUE

LES CHICAGOANS

–  BIRD : Je me suis grisé de musique en écoutant tous tes disques où l’on entendait Bix. Il est regrettable qu’il n’ait pas enregistré plus de morceaux dans l’esprit authentiquement « jazz« , car c’est une personnalité attachante.

 –  CAT : On retrouve son influence dans le jeu des trompettistes de la génération des suiveurs, comme nous l’avons vu la fois précédente.

–  BIRD : La « seconde line » de Chicago en somme.

 1. « Somebody stole my GaI » – Bix Beiderbecke and his Gang – 17/4/1928
Pers. : Bix Beiderbecke (crt) – Bill Rank (tb) – Izzy Friedman (cI) – Min Leibrook (bs) – Tom Satterfield (p) – Harold MacDonald (dm).
Disque : Joker / SM 3566 – A3 (2’55)

 –  CAT : Pendant que dans le « South Side » retentit la musique des Oliver, Armstrong, Noone et autres, et que les premiers orchestres blancs de « Dixieland » se font une place au soleil de Chicago, une véritable petite révolution se prépare dans le quartier Ouest. Une bande de jeunes étudiants, de la bonne bourgeoisie, suivent à leur manière le mouvement de révolte contre le monde bien pensant et conformiste de leur milieu social, révolte amorcée par deux journalistes, Mencken et Nathan, de l’ « American Mercury« [1]. Leur seul moyen de protestation est leur musique rythmée.

Connu sous le nom de « Austin Hight School Band« , ce groupement comprenait en 1922, Jimmy Lannigan au tuba, Jimmy Mc Partland au cornet et son frère Dick au banjo, Bud Freeman au saxophone, tandis que le talentueux Frank Teschemacher abandonnera le violon pour la clarinette.

2. « Blue Grass Blues » – Chicago Blues Dance Orchestra – Chicago, 30-05-1923 (Columbia A 3923, mx 81043-2)
Pers. : Murphy Steinberg (crt) – Jesse Barnee (tb) – Phil Wing (cl, sa) – Art Kassel (cl, sa) – Charlie Bezimek (st) – Otto Barberino (vl) – Elmer Schoebel (p) – Lou Black (bjo) – Steve Brown (bb- – Frank Snyder (dm)
Disque : Ti CBC 1- 021 – CD-5 (3’03)

– BIRD : C’est cet orchestre que l’on vient d’entendre ?

– CAT : Non, il n’existe pas d’enregistrement de cette petite formation. C’est cependant un orchestre qui sévissait à Chicago dans les salles de danse, et qui était dirigé par un ancien des « New Orleans Rhythm Kings« , Elmer Schoebel[2]. Ce pianiste se fera connaître surtout en tant que compositeur et arrangeur. Il est l’auteur de nombreux standards comme « Buggle Call Rag« , Nobody’s Sweetheart« , « Farewell Blues » et bien d’autres.
Revenons à nos étudiants. Jimmy Mc Partland, le leader du groupe raconte : « Paul Mares et les « Rhythm Kings » ont été nos tous premiers inspirateurs. Mais nous écoutions tout ce que nous pouvions. Nous descendions parfois dans un restaurant chinois, le « Faisan d’Or« , où passait un orchestre dirigé par Al Haid. Il jouait assez bien une mouture semi commerciale de jazz. Nous descendions donc manger un « chop suey » et écouter l’orchestre. Ce n’était pas aussi bon que les « New Orleans Rhythm Kings », mais nous l’écoutions tout de même. »
 

3. « Clarinet marmelade » – New Orleans Rhythm Kings – Richmond (Indiana), 17/7/1923 (Gennett 5220, mx 11540)
Pers.: Paul Mares (crt) – Leon Roppolo (cI) George Brunies (tb) – Jack Pettis (c, mel.s) – Glenn Scoville (as,ts) – Don Murray (ts) – Jelly Roll Morton (p) – Bob Gillette (bjo) – Chink Martin (tuba) ­Ben Pollack (dm).
Disque : Classics 1129 – 20 (2’35)

– BIRD : J’espère que ce n’est pas la seule influence qu’ils ont subie, car de la musique semi-commerciale…

– CAT : Il me semble que tu fais ta petite crise de puriste. Au cours de leurs pérégrinations dans les cabarets du « South Side« , ils découvrent les grands du jazz. C’est pendant celles-ci qu’ils tombèrent sur d’autres jeunes sevrés de musique comme eux – le clarinettiste Mezz Mezzrow, le tromboniste Floyd O’Briend, Muggsy Spanier dont le jeu de trompette se rapproche très fort du jeu des Noirs, Eddie Condon, le banjoïste à l’esprit commercial, le batteur Gene Krupa, le pianiste Joe Sullivan, et quelques autres encore.

4. « Why Couldn’t It Be Poor Little Me » – Stomp Six – Chicago, prob. 11-1924 (Autograph 626)
Pers. : Muggsy Spanier (crt) – Guy Carey (tb) – Volly de Faut (cl) – Mel Stitzel (p) – Marvin Saxhe (bjo) – Joe Gish (tuba)
Disque : Riv. RLP 12-115 – A1 (2’36)

– BIRD : C’est très bien tout cela, mais qu’est-il sorti de cette réunion de musiciens ? Est-ce une imitation plus ou moins réussie de la musique noire, ou bien un style nouveau ?

– CAT : Etant en contact avec les différentes tendances de l’époque « Dixieland« , « New Orleans évolué » et musiciens d’avant-garde tels que Bix Beiderbecke et Louis Armstrong, ces jeunes finissent par tirer de cet amalgame leur propre langage musical qui deviendra le « style Chicago« . Certains critiques ont déprécié cette école et ne veulent pas la reconnaître comme faisant partie du « phénomène jazz ».

5. « Milenberg Joys » – Husk O’Hare & his Footwarmers – Chicago, 19-1-1928 (non édité précédemment, mx C1422)
Pers. : prob. Mac Ferguson (crt) – Norman Jacques (cl, s) – Caesar Petrillo (tb) – Joe ou Walter Rudolph (p) – Louis Black (bjo) – Doc Slater (tuba) – Bill Marcipan (dm) – Turk Savage (voc)
Disque : MCA-1350 – A1 (3’00)

– BIRD : Si le jeu de ces Blancs n’est pas dans la ligne du traditionalisme, l’esprit qui les anime est lui le même que celui des musiciens noirs de jazz. Je pense que le véritable départ du jazz blanc est donné et que l’universalité de ce phénomène musical est amorcée.

– CAT : Eh bien mon vieux, tu m’épates tu finiras ta carrière comme critique artistique. Au point de vue musical, cette école peut se placer entre le jazz ancien – « New Orleans » – et le jazz classique ­- « Swing« . Ce qui différencie ce style du « New Orleans évolué« , c’est une forme d’improvisation appelée « succession hot des solos » et encadrée par une improvisation collective qui débute et termine les exécutions. De plus, les ensembles polyphoniques – jeu à plusieurs voix – sont formés de lignes mélodiques indépendantes qui s’entrecroisent sans être dans le rapport appel-répons, comme dans le « blues« . Enfin, toute une série d’effets instrumentaux qui quoique étant empruntés au « New Orleans« , caractérisent, le jeu des Chicagoans.

– BIRD : Les Chicagoans ? Est-ce un nouvel orchestre ?

– CAT : C’est une expression introduite par le critique français Hugues Panassié pour désigner les musiciens qui jouent dans le « style Chicago » et qui sera utilisé comme nom de divers ensembles.

6. « The New Twister » – The Original Wolverines – Chicago, 12-10-1927
Pers. : Jimmy McParland (crt) – Mike Durso (tb) – Maurie Bercov (cl, sa) – Dick Voynow (p) – inconnu (g) – Basil DuPre (b) – Vic Moore (dm)
Disque : HPL-28 – B2 (2’54)

– CAT : Mais revenons aux effets instrumentaux. Tu as d’abord le « flare-up » ou « rappel« . A la fin d’un chorus, l’orchestre tient un accord pendant que le « drummer » exécute un court « break » terminé par un coup de cymbale. C’est une manière de ramener les musiciens à la mélodie. Dans le style « New Orleans« , le rappel est lancé par le trompettiste.
Vient ensuite l' »explosion« . A la fin des huit premières mesures d’un thème de 32 mesures par exemple, et sur le quatrième temps, le « drummer » donne un grand coup de cymbale et de grosse caisse, pour permettre aux musiciens de reprendre haleine avant l’improvisation collective. A la Nouvelle-Orléans, l’explosion était un coup de cymbale et de caisse claire qui venait ponctuer un solo en cours d’improvisation.
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7. « China Boy » – Charles Pierce & his Orchestra – Chicago, 2-1928 (mx 20400-3)
Pers. : Muggsy Spanier (crt) – Dick Fiege (crt) – Frank Teschemacher  (cl, sa) – Charles Pierce (sa) – Ralp Rudder (st) – – Dan Lipscomb (p) – Stuart Branch (bjo) – Johnny Mueller (b) ­– Paul Kettley (dm).
Disque : IRD C2 – CD-3 (2’28)

– CAT : Le « shuffle rhythm » autre caractéristique importante est un tempo doublé. Certains thèmes de 32 mesures se composent de deux phrases de 8 mesures chacune, l’une, la principale étant jouée trois fois, l’autre une seule fois, suivant le canevas AABA. La phrase B est appelée le « pont » (« bridge« ). C’est ce pont qui est joué dans un style plus saccadé et plus uniforme, sans accentuation marquée.
Enfin on retrouve le « break » ou « pause » qui consiste en l’arrêt momentané de l’orchestre pour permettre à un soliste de jouer quelques mesures, seul.
La plupart des « Chicagoans » jouent « on the beat » c’est-à-dire « sur le temps« , ce qui confère au « swing » une allure plus sautillante. De plus, le répertoire a aussi évolué, on rencontre une majorité de « songs« , de ballades à la mode.

– BIRD : Peux-tu me donner quelques exemples sonores de ce que tu viens de dire ?

– CAT : J’allais te le proposer. L’ensemble des « McKenzie and Condon’s Chicagoans » a laissé quelques enregistrements intéressants, lors d’une séance pour la firme Okeh, le 8 décembre 1927. On y trouve Jimmy McPartland au cornet, Frank Teschemacher à la clarinette, Bud Freeman au ténor, Joe Sullivan au piano. La section rythmique est composée d’Eddie Condon au banjo, de Jim Lannigan à la contrebasse et au tuba et Gene Kupra à la batterie. Ecoutons « Sugar« .

8. « Sugar » – Mc Kenzie and Condon’s Chicagoans – Chicago, 8/12/1927 (Okeh 41011, mx W.82030-A
Pers. : Jimmy Mc Partland (crt) – Frank Teschmacher (cI) – Bud Freeman (ts) – Joe Sullivan (p) – Eddie Condon (bjo) – Jim Lannigan (b) – Gene Krupa (dm)
Disque : CBS – S67273 – A7 (3’07)

– BIRD : J’en conclus que l’on forme un ensemble le temps d’une ou quelques séances d’enregistrement avec souvent les mêmes musiciens.

– CAT : Effectivement, la mode des orchestres de studio est lancée et c’est grâce à elle que l’on aura quelques perles appréciées par les fans de jazz. De plus, l’enregistrement électrique remplace progressivement le système acoustique. On commence à se servir de microphone et les ingénieurs du son sont munis d’écouteurs leur permettant, depuis leur cabine, de rectifier les passages jugés insuffisamment bons, c’est pourquoi l’on trouve parfois des secondes prises (« alternated take« ). Cela permit également d’enregistrer une batterie au complet, car d’ordinaire la grosse caisse faisait sauter l’aiguille du sillon qui labourait la cire.

– BIRD : Le fait de créer des ensembles de studio temporaires ne va-t-il pas provoquer un divorce entre le musicien et son public ?

– CAT : Tu as raison, c’est probablement à partir de 1927 que l’on commence à s’apercevoir que la vieille musique de bon genre perd de son attrait et qu’elle s’adresse plutôt à un public d’initiés. Il faut être une personnalité de music-hall comme Louis Armstrong ou Fats Waller ou recourir à des astuces comme Cab Calloway pour fidéliser son auditoire. N’empêche, le jazz a encore de beaux jours devant lui surtout avec la période « swing« . Nous verrons cela plus tard.
Voici encore trois autres morceaux caractéristiques du style « Chicago » : « There’1l be some changes made« , « 1 found a new baby« .
 

9. « There’1l be some changes made » – Chicago Rhythm Kings – Chicago, 4/4/1928. (UHCA 61, mx C.1885-A)
Pers. : Muggsy Spanier (crt) – Franck Teschemacher (cI) – Mezz Mezzrow (ts) – Joe Sullivan (p) – Eddie Condon (bjo, voc) – Jim Lannigan (tuba) – Gene Krupa (dm) – Red Mc Kenzie (voc) – Elinor Charier (voc)
Disque : CD IRD C2 – 11 (2’52)

10. « 1 found a new baby » – Chicago Rhythm Kings – Chicago, 4/4/1928. (Brunswick 4001, mx C.1886-A)
Pers. : même que précédent
Disque : CD IRD C2 – 12 (3’09)

– BIRD : Quel est l’ensemble qui a réalisé ses enregistrements ?

– CAT : C’est un petit orchestre de studio, le « Chicago Rhythm Kings« . En 1928 il se composait de Muggsy Spanier au cornet, Frank Teschemacher à la clarinette, Mezz Mezzrow au sax-alto, et de la même section rythmique que dans l’ensemble précédent, à savoir, Joe Sullivan au piano, Eddie Condon au banjo, Jim Lannigan au tuba et Gene Krupa à la batterie. Red McKenzie était l’homme d’affaire et le chanteur du groupe qui obtint les contrats pour Brunswick. Ces morceaux furent enregistrés lors d’une première séance, le 4 avril 1928.
Une deuxième séance eut lieu le lendemain pour Paramount sous le nom de « The Jungle Kings« . Elle nous vaudra les deux faces suivantes : « Friar’s Point Shuffle » et « Darktown Strutter’s« .

11. « Friars Point Shuffle » – Jungle Kings – Chicago, 5/4/1928 (Paramount 12654-B, mx 20563)
Pers. : Muggsy Spanier (crt) – Franck Teschemacher (cl) – Mezz Mezzrow (st) – Joe Sullivan (p) – Eddie Condon (bjo) – Jim Lannigan (tuba) – George Wettling (dm) – Red Mc Kenzie (voc).
Disque : Riv. RLP 12 – 115 – A5 (2’57)

– CAT : Une troisième séance, le 28 avril, permettra d’enregistrer une nouvelle face, « Baby won’t you please come home« , des « Chicago Rhythm Kings » et une autre, « Jazz me Blues« , cette fois sous le nom de « Frank Techemacher’s Chicagoans« . Ce disque pour Paramount ne sortira qu’en 1938, lorsque Hugues Panassié viendra aux U.S.A. et convaincra Milton Gabler, de la Commodore Music Shop à New York de la sortir sous l’étiquette United Hot Clubs of America (UHCA). Pour ce morceau, en plus de la section rythmique, on trouve Teschemacher à la clarinette, Rod Cless à l’alto et Mezz Mezzrow au ténor.

12. « Baby won’t you please come home » – Chicago Rhythm Kings – Chicago, 28/4/1928 (Brunswick 80064A, mx C.1804)
Pers. : Muggsy Spanier (crt- – Frank Teschemacher (tb) – Mezz Mezzrow (st) – Joe Sullivan (p) – Eddie Condon (bjo) – Jim Lannigan (tuba) – Gene Krupa (dm) – Red McKenzie (voc)
Disque : CD IRD C2 – 14 (2’41)

13. « Jazz me Blues » – Frank Teschemacher’s Chicagoans – Chicago, 28-4-1928 (UHCA 61, mx C.1906-A)
Pers. : Franck Teschemacher (cl) – George “Rod” Cless (as) – Mezz Mezzrow (ts) – Joe Sullivan (p) – Eddie Condon (bjo) – – Jim Lannigan (tuba) – Gene Krupa (dm)
Disque : IRD C2 – CD13 (2’42)

– BIRD : Ils leurs manquent cette chaleur, cette sincérité que l’on trouve dans toute interprétation de la musique noire. De plus leurs « collectives » sont presque toujours incertaines, il semble qu’il n’y ait pas d’esprit d’équipe.

– CAT : Ne soyons pas injuste, car parmi le groupe des « Chicagoans« , il y a quelques musiciens qui sont parvenus à assimiler le langage musical noir, notamment: le trompette Muggsy Spanier, le trombone Floyd O’Brien, le batteur George Wettling et surtout le clarinettiste Mezz Mezzrow qui abandonne le milieu social blanc pour aller vivre au coeur d’Harlem.

14. « The Eel » – Eddie Condon & his Orchestra – New York, 21-10-1933 (non édité précédemment, mx B.14193-B)
Pers. : Max Kaminsky (tp) – Floyd O’Brien (tb) – Pee Wee Russell (cl) – Bud Freeman (st) – Alex Hill (p) – Eddie Condon (g) – Artie Bernstein (b) – Sid Catlett (dm)
Disque : CBS S67273 – ­B2 (3’05)

– CAT : Dans le témoignage suivant, Bud Freeman montre l’état d’esprit des musiciens blancs qui est la cause du peu d’enregistrements valables de l’école Chicago.

« Teschemacher est un grand créateur qui n’a pas laissé de grands enregistrements parce qu’il est mort avant d’atteindre toute sa maturité. Avant de trouver la mort dans un accident d’automobile, il s’était formidablement amélioré, mais c’était un type débordant d’activité et il préféra travailler avec n’importe qui, plutôt que de rester sans travail. Le résultat, c’est qu’il a joué avec des orchestres épouvantables.

Quant à Benny Goodman, à cette époque, il ne savait pas ce qu’il voulait. Il a cru qu’il n’y aurait jamais d’argent à gagner avec le jazz, jusqu’au jour où John Hammond[3] est venu lui prouver le contraire. »

– BIRD : Benny Goodman ? Il a également fait partie des Chicagoans ?

– CAT : Oui, mais comme sa carrière de musicien de jazz prendra son essor véritable à New York il ne nous intéresse pas encore. Mais toutefois, si tu veux, écoute ceci qui date de 1928
 

15. « Jungle Blues » – Bennie Goodman’s Boys – New York, 4-6-1928 (mx E-27638)
Pers. : Jimmy McParland (crt) – Glenn Miller (tb) – Benny Goodman (cl, sa) – Fud Livingston (cl, sa) – Vic Briedis (p) – Dick Morgan (g) – Harry Goodman (tuba) – Ben Pollack (dm)
Disque : IRD C2 – CD-15 (3’13)

– BIRD : On sent encore quelques hésitations dans son jeu.

– CAT : Voici encore un témoignage de Mezz Mezzrow, juif d’origine russe, qui s’est littéralement immergé dans la mentalité noire. Il n’est pas tendre pour ses compagnons blancs. Le passage que je vais te lire est un peu long mais il donne bien la différence entre le style « New Orleans » et le style « Chicago« .

« Le style Chicago est un style naïf. C’est le jeu des jeunes types de valeur, en train tout simplement d’apprendre l’A.B.C. d’une musique dont la source est la Nouvelle-Orléans – mais personne ne s’aviserait de prétendre qu’une copie vaut l’original. L’original est simple, pas naïf. Il vibre d’une profonde connaissance de la musique. Ses racines sont en pleine terre, puisent à la source même, on sent chez les musiciens une nécessité instinctive de s’écouter mutuellement, d’emboîter leurs parties comme il faut. C’est toujours la forme d’art la plus simple, et la plus authentique qui est la plus belle et c’est pourquoi le style Nouvelle-Orléans est si merveilleux. Mais dans leur candeur naïve, les Chicagoans cherchèrent à dépasser leurs aînés, à montrer leur précocité ; ce faisant, ils perdirent la simplicité, la « rectitude » du modèle. A vouloir épater, ils tombèrent parfois dans l’excentricité, la surcharge, l’apprêt, encombrant leur jeu d’inutiles fioritures. Lorsqu’ils utilisaient des effets Nouvelle-Orléans, ils les employaient souvent d’une manière mécanique, sans se donner la peine de les amener, pour qu’ils deviennent une nécessité absolue dans la continuité logique du morceau, mais les distribuant à tire-larigo en les appuyant beaucoup trop. Ils acquirent ainsi beaucoup de brio, d’éclat, mais la rectitude de la musique n’y était pas toujours. Le style Nouvelle-Orléans, au contraire, ne s’écarte pour ainsi dire pas des fondations ; il s’appuie sur un rythme solide, sur le jeu plein de chaleur des instruments à vent, sur de riches effets sonores, ce qui ajoutait de la puissance au lieu d’accords compliqués ou de trames excentriques ».

– BIRD : Effectivement, il n’est pas très indulgent. C’est un fervent défenseur du style « New Orleans« , au point de rejeter toute évolution dans ce genre de musique.

– CAT : Tu as très bien résumé l’affaire. En fait, Mezzrow n’a jamais été un musicien génial, mais c’est l’un des rares Blancs à avoir compris la mentalité afro-américaine. Curieusement, les musiciens blancs dont le jeu est très proche de celui des Noirs américains sont généralement Juifs ou Italiens. Cela remonte déjà à la Nouvelle-Orléans des débuts où ces communautés étaient tenues à l’écart de l’aristocratie bien pensante et, par conséquence, se rapprochaient des gens de couleur. Dans le morceau suivant, enregistré à New York en 1933, Mezzrow a su s’entourer de quelques grands musiciens noirs : Benny Carter, Teddy Wilson, Pop Foster.

16. « Dissonance« – Mezz Mezzrow & his Orchestra – New York, 6-11-1933
Pers. : Max Kaminsky (tp) – Freddy Goodman (tp – Ben Gusick (tp) – Floyd O’Briend (tb) – Mezz Mezzrow (cl, st, arr) – Benny Carter (tp, sa) – Johnny Russell (st) – Teddy Wilson (p) – Jack Sunshine (g) – Pops Foster (b) – Jack Maisel (dm)
Disque : CBS S67273 – B7 (2’52)

– CAT : Les Chicagoans ont suivi le mouvement de migration vers « Tin’Pan AIley » comme les « jazzmen » noirs et leur groupe va s’ajouter aux quelques musiciens blancs qui jouaient à New York, mais ceci est une autre histoire. En fait, l’une des causes du déclin de la « Cité des Vents » fut la grande dépression de 1929, mais également les campagnes contre le crime organisé et les règlement de comptes entre bandes rivales. Toute cette société clandestine faisait vivre le commerce du divertissement. Le travail vint à manquer, les musiciens n’étaient plus aussi facilement engagés et New York, la « Grosse Pomme » (« Big Apple« ), semblait un miroir aux alouettes pour tous ces artistes.

17. « Rockin’chair » – Hoagy Carmichael and his orchestra – New York, 21/5/1930
Pers. : Bix Beiderbecke, Bubber Miley (crt) – Tommy Dorsey (tb) – Benny Goodman (cI) – Jimmy Dorsey (as) ­– Arnold Brilhart (sa) – Bud Freeman (ts) – Irving Brodsky (p,voc) – Eddie Lang (g) – Harry Goodman (tuba) – Gene Krupa (dm) – Hoagy Carmichael (org, voc)
Disque : Joker / SM 3570 – A1 (3’24)


Discographie

1)Bixokogy – The Bix Beiderbecke records story in chronological order – Vol. 10
Joker / SM 3566 – 30cm, 33T.

2)Early Chicago Jazz, Vol. 1
Timeless Records CBC 1-673 – CD

3) The Chronological – New Orleans Rhythm Kings 1922-1923
Classics 1129 – CD

4) Chicago Jazz Style 1924-1935 Vol. 2 Windy City Stomp
IRD Records C2 – CD

5) The Chicagoans – The Austin high Gang – 1928-1930 Jazz Heritage Serie
MCA Records – 1350 – 30cm, 33T.

6) Hot Trumpets 1924-1937
Historical Records HLP-28 – 30cm, 33T.

7) Eddie Condon’s World of Jazz
CBS S67273 – 30cm, 33T.

8) The Riverside History of Classic jazz Vol. 7 and 8: Chicago style/Harlem
Riverside Jazz Archives Series RVL 12-115 – 30cm, 33T.

9) Bixokogy – The Bix Beiderbecke records story in chronological order – Vol. 14
Joker / SM 3570 – 30cm, 33T.

Bibliographie

  1. Bergerot F. (2001) – Le Jazz dans tous ses états, Larousse / VUEF.
  1. Bergerot F. Merlin A. (1991) – L’épopée du Jazz Vol. 1 : du Blues au Bop, Découvertes Gallimard.
  1. Mezzrow M., Wolf B. (1957) – La Rage de Vivre,  Buchet/Chastel, Corréa, Paris.
  1. Newton F. (1966) – Une sociologie du jazz, Flammarion, « Nouvelle Bibliothèque Scientifique ».
  1. Shapiro N., Hentoff N. (1956) – Ecoutez-moi çà ! – L’Histoire du jazz racontée par ceux qui l’on faite, Buchet/Chastel, Corréa, Paris.

NOTES


[1] Mencken Henry Louis  (1880-1956)

L’écrivain germano-américain Henry Louis Mencken vécut toute son existence à Baltimore, où il se tailla rapidement une réputation d’humoriste iconoclaste grâce à ses articles des Sunpapers entre 1906 et 1948. Il dirigea également deux mensuels : The Smart Set (1914-1923, avec George Jean Nathan) et The American Mercury (1924-1933), qui contribuèrent à créer aux États-Unis une atmosphère littéraire et culturelle originale. Ennemi du provincialisme et admirateur des écrivains européens modernes, dont Nietzsche, Shaw et Conrad, Mencken s’est efforcé de lutter contre les stéréotypes sentimentaux en encourageant la jeune littérature réaliste et naturaliste et en se faisant le champion de l’écrivain naturaliste Theodore Dreiser (*17-8-1871, Terre Haute, Indiana – …28-12-1945, Hollywood, Californie) et du romancier et dramaturge Sinclair Lewis (*7-2-1885 – …10-1-1951). Sa critique impressionniste, disséminée dans d’innombrables articles et essais intensément personnels et provocateurs, repose moins sur une théorie que sur un goût limité, mais sûr. Ce goût exprime une individualité tranchée, un désir de briller à tout prix, de choquer les médiocres et les bien-pensants, et d’imposer par le rire un agnosticisme scientiste hérité du biologiste (le bouledogue de Darwin) et philosophe Thomas Henry Huxley (4-5-1825, Ealing, Grande-Bretagne – …29-6-1895, Londres), aux dépens de la religion traditionnelle et des banalités réconfortantes. Les bouffonneries et les sarcasmes de Mencken s’en prennent au moralisme puritain, aux conventions puériles et au charlatanisme de toute nature. Les six volumes de Prejudices (1919-1927) rassemblent ses essais de journaliste et proposent à une Amérique encore provinciale des modèles étrangers, en même temps qu’ils l’encouragent à s’explorer elle-même et à critiquer sa propre insuffisance culturelle. Les cibles favorites de Mencken sont ce qu’il nomme l’Americano, ou Boobus Americanus, autrement dit le citoyen crédule, patriote, sectaire, prétentieux, gauche et borné ; et encore le clergé hypocrite, le nivellement démocratique, la médiocrité provinciale. D’une caricature féroce des États-Unis, l’écrivain excepte une prétendue « minorité civilisée », tolérante et cultivée. Par germanophilie et anglophobie, il s’est élevé contre Woodrow Wilson (*1856 – …1924), le 28ème président des Etats-Unis (1913 – 1921) et Franklin Delano Roosevelt (*1882 – …1945), le 32ème président (4 mandats en 1933, 1937, 1941 et 1945), et a été le champion véhément du conservatisme isolationniste. Son dynamisme, sa personnalité tranchée, la verve de son style lui ont assuré un public important entre 1920 et 1930, décennie à laquelle on l’associe souvent. Ses Mémoires (The Days of H.L. Mencken, 3 vol., 1940-1943) évoquent avec nostalgie le Baltimore de la fin du XIXe siècle et sa vie de reporter jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale. C’est le journalisme qui fait la force et la faiblesse de Mencken : il dispose d’une copieuse information, il est ouvert à une grande variété de sujets ; mais il émet aussi des jugements trop rapides, se livre à des paradoxes et à des boutades faciles. C’est un homme de fragments brillants et le porte-parole d’une droite éclairée plus éprise de tradition que d’argent. Il restera surtout l’auteur de la première grande étude sur ce qu’il nommait, par anglophobie, la « langue américaine ». The American Language (quatre éditions de 1919 à 1936, avec deux suppléments en 1945 et 1948) est l’oeuvre monumentale d’un philologue amateur, mais inspiré et infatigable, remarquablement renseigné sur la langue populaire de son pays. Il y soutient la thèse que l’américain est plus expressif et créateur que l’anglais britannique, et qu’il finira par le supplanter. Cette somme polémique et brillamment écrite est le chef-d’oeuvre de Mencken et son principal titre à la renommée posthume.

Source : http://www.logoslibrary.eu/owa-wt/new_wordtheque.w6_home_author.home?code_author=14914&lang=EN

[2] Elmer Schoebel, pianiste, compositeur et arrangeur américain (East St Louis, Illinois, 8-9-1896 – Floride, 14-12-1970)Ayant étudié le piano et la guitare, il joue à 14 ans dans un cinéma pour accompagner  les films muets. Ensuite il part en tournée avec des spectacles de vaudeville. Après la première guerre mondiale, il s’installe à Chicago, joue en 1920 avec le « 20th Century Jazz Band« , en 1922 et 1923 avec le « Friars Sociéty Orchestra », rebaptisé « New Orleans Rhyhm Kings » avec lequel il enregistre une série de disques qui font date dans l’histoire du jazz. Il joue dans d’autres orchestres de Chicago comme le « Chicago Blues Dance Orchestra« , « The Midway Dance Orchestra« . Après un passage dans la formation d’Isham Jones (1925) à New York, il revient à Chicago où il dirige son propre ensemble. A partir de 1930, il se consacre çà des travaux d’écriture pour le compte d’éditions musicales (Melrose Publishing House, Warner Brothers) et aussi pour quelques orchestres. A la fin des années 40, il reprend le piano et joue avec Conrad Janis (1950-1953) puis s’installe en Californie jusqu’à la fin des années 60.

[3] John H. Hammond (*15-12-1910 – …10-7-1987), producteur de musique, musicien et critique musical, des années 1930 aux années 1980. En tant que découvreur de nombreux talents, il est l’une des personnalités les plus importante de la musique populaire des Etats-Unis du XXe siècle.

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12ème dialogue

LE STYLE DIXIELAND


– CAT : Aujourd’hui, nous allons aborder un style, un peu en marge du véritable courant du jazz pour certains critiques, le « Dixieland ».

– BIRD : D’où vient ce nom ?

– CAT : Le Dixieland est la région la plus pauvre des Etats-Unis. Ce terme désigne, en langage poétique, les Etats du Sud qui comprennent l’Alabama, le Mississippi et la Louisiane. Dès le début de l’existence du folklore noir, les Blancs ont voulu le parodier. Ainsi, les chanteurs de rue des Etats du Sud, au XIXe siècle, étaient caricaturés à travers tous les Etats-Unis par des troupes de « minstrels » – ménestrels. Ces Blancs se passaient la figure au bouchon et les lèvres à la peinture blanche; coiffés d’un chapeau de paille et habillés d’une salopette rayée, ils interprétaient des airs folkloriques en s’accompagnant bien souvent au banjo. Al Johnson est le plus célèbre de leurs descendants.

 1. « New Orleans Blues » – Johnny DeDroit[1] and his New Orleans Jazz Orchestra – New Orleans, 1923
Pers : Johnny DeDroit (crt) – Russ Papalia (tb) – Henry Raymond (cl) – Rudolph Levy (sa) – Frank Guny (p) – George Potter (bjo) – Paul DeDroit (dm)
Disque : Flw F-RBF203 – CD2-1 (3’15)


– BIRD : Il y a bien longtemps, du temps de ma jeunesse, j’ai vu le film « Le Roman d’Al Johnson« [2]. A cette époque, je le considérais comme un chanteur de jazz, mais maintenant je me rends compte que ce titre ne lui convient pas du tout.

2. « Swanee » de la revue Capitol « Demi Tasse » – Al Johnson, Hollywood, fin 1945.
Pers. : Al Johnson (voc) accompagné par un orchestre de studio
Disque : FA 152 CD1 – 1 (1’54)


– CAT : Très vite, à la Nouvelle-Orléans, on voit éclore une série de petits orchestres blancs dans le style des « streets bands » noirs. Généralement, ces premiers musiciens blancs sont originaires de couches de populations guère supérieures à celles des Noirs, comme les immigrants italiens ou irlandais. C’est ainsi que l’on rencontre des La Rocca, Manone, Roppolo, Sbarbaro et bien d’autres.


– BIRD : Si mon analyse est pertinente, je pense qu’au départ le jazz est une musique de pauvres gens, et des plus misérables et discrédités d’entre eux.

– CAT: C’est bien çà ! Le plus ancien orchestre blanc de la Nouvelle-Orléans est le « Relience Brass Band » de « Papa » Jack Laine (1873-1966). Cet irlandais d’origine était au moins autant un homme d’affaire qu’un musicien : à une certaine époque il fait tourner pas moins de trois orchestres différents sous son nom ! En 1895, Jack crée le « Ragtime Band« , premier ensemble blanc qui imite les orchestres de danses noires de Storyville. Un nouveau style, situé aux frontières du jazz se développe, c’est le « Dixieland »  Il tire son origine du « ragtime » et s’inspire du style instrumental des Noirs, tant dans les improvisations que dans le jeu collectif, cependant la tonalité est pure, on n’y trouve pas les « blue notes« . Sa formation et celles des autres leaders blancs jouent une musique plus facilement assimilable que celle des Noirs, interprétée avec une technique plus sûre, mais aussi moins brûlante et moins virile. Car ce que Buddy Bolden ou Manuel Perez perdent en précision, ils le récupèrent en relief et en expressivité. Là où ils se montrent authentiquement lyriques, les Blancs ne sont souvent que mélodieux. Laine rallie sous sa bannière quelques-unes des personnalités les plus cotées de l’époque, dont le fameux clarinettiste Lorenzo « Papa » Tio, qui enseigna son art à des sommités noires comme Georges Baquet ou Sidney Bechet.

3. « Bouncing around » – Piron’s New Orleans Orchestra[3] – New York, 12-1923
Pers. : Armand J. Piron (vl) – Lorenzo Tio Jr. (cl) – Peter Bocage (crt) – Louis Warneke (sa) – Steve Lewis (p) – Charlie Bocage (bjo) – Henry Bocage (tuba) – John Lindsay (tb) – Louis Cottrell Sr. (dm)
Disque : Flw F-RBF203 – CD1-3 (2’42)


– BIRD : Donc c’est une erreur de la part des puristes de rejeter ce genre de musique ?

– CAT : Quoi qu’il en soit, on peut affirmer que c’est effectivement une erreur de présenter ces premiers jazzmen blancs comme des plagiaires des jazzmen noirs. En fait, les uns et les autres ont commencé par évoluer parallèlement, avant que la manière plus expressive de ces derniers ne prenne décisivement le pas sur la conception des premiers.

– BIRD : Appelons cela une musique euro-africaine.

– CAT : Le terme n’est pas mal choisi. Les musiciens blancs de la Nouvelle-Orléans ont également suivi le mouvement de migration vers le Nord. C’est ainsi que l’orchestre du trombone Tom Brown joue déjà depuis 1915 au « Lamb’s Café » de Chicago, sous le nom de « Tom Brown’s Dixieland Band » et plus tard sous celui de « Brown’s Dixieland Jass Band« . Je pense que c’est la première fois qu’on utilisait le mot « jass« , qui donnera « jazz » par déformation.

4. « Bull frog Blues » – The Six Brown brothers – Camden (New-Jersey), 19/6/1916.
Pers. : Tom Brown (ss,as,ldr) – Guy Shrigley (as,ts) – James « Slap Rags » White (c-ms) – Sonny Clap (ts) – Marry Cook (bs) – Harry Funk (b)
Disque : RCA 74321264122 BM 752 – CD2-9 (2’36)


– BIRD : Mais alors d’où vient ce terme « Jazz » ?

– CAT : L’étymologie du mot « jazz » est encore incertaine. De multiples interprétations fort différentes ont été données. Parmi de nombreuses hypothèses, certains le font dériver d’un terme créole français de la Nouvelle-Orléans formé sur le verbe « jaser » ; d’autres le font remonter à l’expression « Jazz-Belles », déformation satirique par les Noirs de « Jezebel », utilisé par les colons cajuns pour désigner les prostituées de la Nouvelle-Orléans. Mais je pense que le terme s’est propagé après son utilisation comme slogan publicitaire par Brown. Comme les musiciens de son ensemble n’étaient pas syndiqués lors de leur arrivée à Chicago, les professionnels de l’endroit, afin de les boycotter, répétaient partout qu’ils jouaient de la « jazz-music » : le verbe « jass » ou « jazz » était utilisé pour désigner dans les bouges les rapports sexuels. De toute manière, l’expression semble faire référence à la fois à la parole, à la danse et au sexe.

– BIRD : L’origine du terme n’enlève rien à la valeur de la musique qu’il désigne.

– CAT : Le style « Dixieland » a subi un développement parallèle au jazz. L' »Original Dixieland Jazz Band« , qui joua à Chicago de 1916 à 1925 et surtout le célèbre « New Orleans Rhythm Kings » que l’on entendait au « Friar’s Inn » de Chicago entre 1921 et 1924, ont contribué à faire progresser ce style. Le 26 février 1917, Chicago donna à l’ »Original Dixieland Jazz Band » la chance d’enregistrer le premier disque de jazz. Les deux titres gravés ce jour-là, « Livery Stable Blues«  et « Dixieland Jazz Band One Step« , ne présentèrent pas seulement un intérêt historique. Ce fut un réel succès commercial : le disque se vendit à plus d’un million d’exemplaires. On s’aperçut que le jazz pouvait se vendre et qu’il aurait au moins autant d’argent à y gagner qu’à multiplier les prestations scéniques dans tout le territoire.

5. « Livery Stable Blues » – The Original Dixieland Jass Band– Chicago, 26/2/1917
Pers. : Dominique J. La Rocca (crt) – Edwin Edward ­(tb) – Lawrence « Larry » Shield (cl) – Henry Ragas (p) – Tony Sbarbaro (dm)
Disque: RCA ND 90026 CD1–1 (3’05)

6. « Dixie Jass Band One-Step » – The original Dixieland Jass Band – Chicago, 26/2/1917
Pers.: même personnel que le précédent
Disque : RCA ND 90026 CD1-2 (2’35)


– BIRD : Y aurait-il eu discrimination pour que ce soit un orchestre blanc qui fut enregistré ?

– CAT : Aucun complot contre la musique noire n’était ourdi dans cette initiative. Il avait été proposé à Freddie Keppard, trompettiste noir légendaire de la Nouvelle-Orléans, de graver quelques-uns de ses plus grands succès en 1916 déjà, mais il refusa tout net, jugeant qu’il mettrait en péril sa souveraineté en mettant à la disposition de ses rivaux une occasion d’analyser sa manière de jouer et de « lui piquer ses trucs ».

– BIRD : Je pense tout de même qu’une des principales motivations des producteurs blancs était le profit.

– CAT :  Oui bien sûr. Le « N.O.R.K. » formé de musiciens de la Nouvelle-Orléans se composait de Leo Roppolo à la clarinette, Paul Mares à la trompette, Georges Brunies au trombone, Ben Pollack à la batterie et Elmer Schoebel au piano. Cet ensemble jouait dans un style calqué sur le « New Orleans » évolué, c’est-à-dire qu’au lieu de syncopes on rencontre déjà l' »off-beat« .

7. « Marguerite » – The New Orleans Rhythm Kings – Richmond (Indiana), 17/7/1923.
Pers. : Paul Mares (crt) – Leon Roppolo (cl) ­George Brunies (tb) – Jack Pettis (c-ms) – Glen Scoville (as, ts) – Don Murray (ts) – Kyle Pierce (p) – Lew Black (bjo) – Chink Martin (tuba) – Ben Pollack (dm).
Disque : Classics 1129 – CD-18 (3’08)


– BIRD : Un petit rappel de ces deux termes « syncope » et « off-beat » ne serait pas inutile !

– CAT : La « syncope » d’abord. C’est un déplacement de l’accent rythmique, en d’autres mots, un son qui commence sur un temps faible et se prolonge sur le temps suivant. L' »off-beat » ou « after-beat« , est l’analogue du contretemps. C’est l’accentuation légère des valeurs de notes placées sur les temps faibles, lorsque les temps forts sont occupés par des silences. Es-tu satisfait ? Où en étions-nous ? Ah oui. On commence à rencontrer une assimilation plus fidèle des procédés des Noirs, tels que moyens d’expressions harmoniques et ligne mélodique basée sur la construction de celles du style « New Orleans« . Le « Dixieland » se construit également sur une improvisation collective polyphonique. Le trompettiste ou cornettiste énonce un thème et conduit l’ensemble des musiciens, le clarinettiste brode en contrepoint, tandis que le tromboniste établit des lignes de basses puissantes et amples. Le jeu des musiciens est simple et bien posé à l’intérieur d’une mesure à deux temps, le fameux « two beats« .Voici le « Sweet Lovin’ Man » joué par le « N.O.R.K. » en 1923.

8. « Sweet Lovin’ Man » – New Orleans Rhythm Kings – Richmond, 12/3/1923.
Pers. : Paul Mares (crt) – George Brunies (tb) – Leon Roppolo (cl) – Jack Pettis (s) – Mel Stitzel (p) – Ben Pollack (dm).
Disque : Classics 1129 – CD–9 (2’35)


– CAT: Il est parfois difficile de faire la distinction et seule une oreille exercée pourra départager les ensembles. Un autre « band » qui a eu de l’importance était l’orchestre des « Wolverines » dans lequel on trouvait le cornettiste « Bix » Beiderbecke[4]. Cette figure romantique du jazz vaut la peine qu’on s’y attarde quelque peu. Leon Bismarck « Bix » Beiderbecke, né à Davenport le 10 mars 1903, est un des rares musiciens blancs qui a eu une influence sur le jeu de musiciens noirs, ce n’est qu’après sa mort, survenue à l’âge de 28 ans qu’il sortit de l’ombre. Le roman de Dorothy Baker intitulé « Young Man with a Horn » en fit une figure légendaire[5].

– BIRD : Un film de même nom a été tiré de ce roman. Et si mes souvenirs sont exacts, l’interprète principal était Kirk Douglas[6].

9. « Royal Garden Blues » – The Wolverines – Richmond 20/6/1924.
Pers. : Bix Beiderbecke (crt) – George Brunies (tb, kazoo) – Jimmy Hartwell (cl, sa) – George Johnson (ts) – Dick Voynow (p) Bob Gillette (bj) – Min Leibrook (tuba) – Vic Moore (dm).
Disque : Riv. RLP 12-115 – A2 (3’00)


– CAT : Issu d’une famille d’origine allemande, Bix reçoit une formation musicale classique et apprend le piano. Après un séjour à la « High School » de Davenport, il est envoyé à la « Lake Forest Academy« , une école militaire dans les environs de Chicago. Mais c’est en autodidacte qu’il apprend le cornet. La plupart de son temps il le consacre à l’écoute des musiciens de jazz et à jouer dans les orchestres locaux. En 1923, il est la vedette du petit groupement blanc les « Wolverines« , c’est avec cet ensemble qu’il réalise ses premiers enregistrements.

10. « Tigger Rag » – The Wolverine Orchestra – Richmond, 20-6-1924
Pers. : même personnel que le précédent
Disque : Classic Jazz Masters FP5 Mono 5501 – B2  (2’34)


– CAT : De nombreuses incursions regrettables dans des orchestres commerciaux, comme ceux de Jean Goldkette[7] et Paul Whiteman annihilent son talent.

11. « Slow River » – Jean Goldkette and his Orchestra – Camden, 6/05/1927
Pers. : Bix Beiderbecke (crt) – Fred « Fuzzy » Farrar (tp) – Ray Lodwig (tp) – Lloyd Turner (tb) – Bill Rank (tb) – Don Murray (cl, sb) – Doc Ryker (sa) – Frankie Trumbauer (c-ms) – Itzy Riskin (p) – Howdy Quicksell (bjo) – Steve Brown (sb) – Chauncey Morehouse (dm) – Eddie Sheasby (ldr, arr)
Disque : Joker / SM 3560 – A5 (2’58)


– BIRD : Cela se sent. Dommage que Bix n’intervienne que très brièvement dans ce morceau.

– CAT : Beiderbecke fait partie de ces musiciens blancs qui contribuèrent à la transformation du style « Dixieland » en « swing« . Il a été fortement influencé par Louis Armstrong qui se trouvait à cette époque déjà au seuil du « swing« .

« Les « breaks » de Bix n’étaient pas aussi sauvages que ceux d’Armstrong, mais ils étaient « hot« , et Bix choisissait chaque note avec un grand souci de musicalité. Il me démontrait – c’est le compositeur Hoagy Carmichael qui parle – que le jazz peut être musical et beau, tout en étant « hot » et que « tempo » ne signifie pas « vélocité« . Sa musique me touchait d’une autre manière. »


– BIRD : Qui est ce Carmichael et que veut-il dire par musique « hot » ?

– CAT : Carmichael est le compositeur de thèmes tel que « Stardust » et « Georgia on my mind« . On appelle « hot« , dans un morceau de jazz, le caractère d’un passage exécuté par un ou plusieurs musiciens qui abandonnent le thème mélodique pour jouer une broderie imaginée qui se développe dans le cadre de l’air et s’incorpore à lui. Cette définition est donnée par Robert Goffin dans son livre « Frontières du Jazz« .

12. « The love nest » – Frank Trumbauer and his Orchestra – New York, 5/10/1928.
Pers. : Bix Beiderbecke, Charlie Margulis (crt) – Bill Rank (tb) – Izzy Friedman (cl) – Frankie Trumbauer (c-ms) – Rube Crozier (sa, sb) – Min Leibrook (bs) – Lennie Hayton (p) – inconnu (g) – George Marsh (dm) – Martin Hurt (voc)
Disque : Joker / SM 3568 – B4 (2’53)


– CAT: Le jeu de Bix était émouvant et lyrique ; ses notes sortaient pleines, amples et riches. Il transforme le « staccato » du style « Dixieland » en un « legato ». Je prévois ta question et y répond de suite. En bref le « staccato » signifie jouer détaché par opposition à jouer lié c’est-à-dire « legato ».
Certaines des oeuvres de Bix au piano sont de petits chefs-d’oeuvre de sensibilité et de musicalité; ainsi son « ln a Mist » composé sous l’influence des musiciens classiques modernes.

13. « In a mist« . solo de piano – New York, 8-9-1927
Pers. : Bix Beiderbecke
Disque : Joker / SM 3561 – A1 (2’44)


– BIRD : On sent qu’il connaît la musique classique. Son jeu rappelle Ravel ou Debussy.

– CAT : Il possédait une invention mélodique inépuisable et donnait une place privilégiée aux qualités harmoniques, surtout, il avait une prédilection pour la couleur sonore impressionniste. Voici d’ailleurs le témoignage d’un de ses amis, le clarinettiste Pee Wee Russell :

« Bix avait une oreille prodigieuse. Il aimait des petites choses, telles que certaines oeuvres de Mac Dewell et de Debussy, des choses très légères. Et aussi de Delius. Puis il a fait un bond jusqu’aux trucs de Stravinsky. Il y avait certaines choses qui l’intéressaient dans la musique classique moderne, par exemple les tons entiers, et il disait : Pourquoi ne pas en faire autant en jazz ? Pourquoi pas ? La musique ne doit pas être une chose qu’on met entre parenthèses. »

14. « Deep down south » – Bix Beiderbecke and his Orchestra – New York, 8/9/1930
Pers. : Bix Beiderbecke (crt) – Ray Ludwig (tp) ­Tommy Dorsey ou Boyer Cullen (tb) – Benny Goodman, Jimmy Dorsey (cl, as) – Pee Wee Russel ? (cl, sa) – Bud Freeman (st) – Min Leibrook (bs) –  Joe Venuti (vIn) – Irving Brodsky (p), – Eddie Lang (g) – Gene Krupa (dm) Weston Vaughn (voc).
Disque : RCA 731.131 – B7 (2’57)


– CAT : Malheureusement, aigri par le commercialisme à 100% de l’orchestre de Whiteman, Bix s’était mis à boire plus que de coutume et il menait une vie désordonnée. Il se laisse aller à composer de longues heures au piano, en s’inspirant des ses compositeurs préférés. Il meurt d’une pneumonie le 7 août 1931, après avoir essayé une cure de désintoxication. Son influence a été frappante dans les milieux de la future école de Chicago, car il donne aux musiciens blancs la possibilité de créer un langage qui leur sera propre et non plus une simple imitation de l’art musical noir.

15. « l’ll be a friend with pleasure” –  Bix Beiderbecke and his Orchestra – New York, 8/9/1930.
Pers. : même personnel que le précédent sauf Venuti et Lang
Disque : Joker / SM 3570 – B2 (2’59)


– CAT : Dans le passage que je vais lire, je passe la parole à son ami Jimmy McPartland qui l’a remplacé lorsque Bix quitta les Wolverines.

« Bix a largement contribué à la grandeur du jazz. Il a aidé à le civiliser. Il l’a rendu plus musical, car il avait une technique éprouvée et une admirable sonorité. Tel était aussi son sens de l’harmonie, aussi bien au cornet qu’au piano. Il est le premier musicien de jazz que j’aie entendu utiliser le ton entier et la gamme chromatique. Je crois que presque tous les musiciens de jazz, même ceux qui ne jouent pas d’un instrument à vent, ont été d’une façon ou d’une autre influencés par Bix ».


– BIRD : Peux-tu me définir ce qu’est une gamme chromatique ?

– CAT : Dans la gamme de do normale, par exemple, qui va du do (la tonique) au do à l’octave, les intervalles entre les notes sont d’un ton sauf entre mi et fa et entre si et do à l’octave où il ne sont que ½ ton. C’est ce que l’on appelle la gamme diatonique. Partout où les notes sont séparées d’un ton, il y a moyen de placer entre elles encore une note : do#, ré#, fa#, sol#, et la#. De ce fait toutes les notes entre les deux do sont distantes d’un ½ ton, ce qui correspond à la gamme chromatique. Lorsqu’une note est haussée, on parle de dièse, dans le cas inverse, c’est-à-dire lorsqu’elle est diminuée nous avons affaire à un bémol.

– BIRD : Très bien, me voilà un peu plus savant !

– CAT : Ce sont ses enregistrements avec Frankie Trumbauer, de 1926, qui définissent le mieux son apport : un jeu doux pour la sonorité, vibrant par la flamme, une inspiration et un rythme jamais en défaut. Grâce à ses qualités, Bix appartient à cette catégorie de jazzmen blancs qui ont su faire évoluer le folklore noir pour le rendre compréhensible au grand public américain et européen.

16. « Louisiana » – Bix and his Gang – New York, 21-9-1928
Pers. : Bix Beiderbecke (crt) – Bill Rank (cl) – Min Leibrook (sb) – Roy Bargie (p) – Lennie Hayton (timpani-armonium) – George Marsh (dm)
Disque : Joker / SM 3568 – B2 (2’45)


– BIRD : Il est dommage que de tels talents en arrivent à se détruire et gaspillent ainsi leur génie.

– CAT : C’est vrai, le monde du jazz a eu son contingent de musiciens maudits selon la tradition romantique, acharnés à se détruire, et qui ont disparu tragiquement, soit sous l’effet de l’alcool ou de la drogue, soit à la suite d’une vie trop trépidante qui les a conduit à la maladie et à la mort prématurée. Nous en rencontrerons d’autres.
Bix Beiderbecke est l’instigateur des trompettistes blancs des années ’30 comme Jimmy McPartland, Bobby Hackett, Bunny Berigan, Wild Bill Davison, Max Kaminsky, Ruby Braff et le trompettiste noir Rex Steward. De plus, sa manière raffinée, expurgée de la rusticité du blues originel, peut également être considérée comme annonciatrice du style cool de la West Coast. Voici un morceau où l’on entend Bobby Hacket, « Struttin’ With Some Barbecue« .

17. « Struttin’ With Some Barbecue » –  Bobby Hackett and his Jazz Band – août 1948
Pers. : Bobby Hackett  (tp) – Charles Queener (p) – Danni Perri (g) – Bob Casey (b) – Cliff Leeman (dm)
Disque : Philips 429 465 BE – A1


– BIRD : On sent que ce trompettiste a une grande sûreté et que son jeu dégage une sorte de puissance sereine, tout en douceur.

– CAT : Le style « Dixieland » connaîtra une renaissance à partir de 1940 sous le nom de « New Orleans Revival » et suscitera un grand nombre de vocations, notamment en Europe. Nous y reviendrons. Terminons cet entretien avec l’ensemble de Frank Trumbauer qui nous interprète « Three blind mice » et dans lequel Bix nous donne une dernière preuve de son génie.

18. « Three blind mice » – Frank Trumbauer Orchestra – 28/09/1927
Pers. : Bix Beiderbecke (crt) – Bill Rank (tb) – Don Murray (cl) – Frankie Trumbauer (C-m s) – Dock Ryker (sa) – Adrian Rollini (sb) – Izzy Riskin (p) – Eddie Lang (g) – Chauncey Morehouse (dm)
Disque : Fontana 467 005 TE – A2


Discographie

1) New Orleans Jazz The ‘20’s
Folkways F-RBF203 – 2CD

2) George Gershwin – A century of glory
Frémeaux & Associés FA 152 2CD.

3) The complete Original Dixieland Jazz Band (1917-1936) – Jazz Tribune N° 70
RCA ND 90026 – 2CD

4) New Orleans Rhythn Kings 1922-1923
Classics 1129 – CD.

5) The Riverside History of classic Jazz Vol 7 and 8: Chicago Style / Harlem
Riverside Jazz Archives series RLP 12-115 – 30cm, 33T.

6) The legendary Bix Beiderbecke (1924-1925)
Classic Jazz Masters FP5 – Mono 5501 – 30cm, 33T.

7) The King Jazz Story, Collector’s Edition – Bixology – Vol. 4
JOKER/SM 3560 – 30cm, 33T.

8) The King Jazz Story, Collector’s Edition – Bixology – Vol. 5
JOKER/SM 3561 – 30cm, 33T.

9) The King Jazz Story, Collector’s Edition – Bixology – Vol. 12
JOKER/SM 3568 – 30cm, 33T.

10)The King Jazz Story, Collector’s Edition – Bixology – Vol. 14
JOKER/SM 3570 – 30cm, 33T.

11)The Bix Beiderbecke Legend – Vol. 3 – Série Black & White Vol. 50
RCA Victor 731.131 – 30cm, 33T.

12) »The Hackett Horn »
Philips 429 465 BE – 45RPM

13)The legendary Bix Beiderbecke Vol. 4 – Frank Trumbaner orchestra
Fontana 467 005 TE – 17cm, 45T.

Bibliographie

  1. Berendt J.E. (1963) – « Le jazz des origines à nos jours » Petite Bibliothèque Payot, Paris.
  1. Carles P., Clergeat A., Comolli J.-L. (1988) – Dictionnaire du Jazz, Editions Robert Laffont, coll. « Bouquins », Paris.
  1. Goffin R. – « Aux frontières du jazz » – Ed. du Sagittaire, S. Kra, Paris
  1. Jonchkeere D.Musique : art ou science ou petit voyage dans l’oreille musicale, in L’Artichaut… n° 24/2, décembre 2006.
  1. Hansen J., Dautremer A.M et M.  (s.d.) – Cours complet d’éducation musicale et de chant choral en quatre livres – Livre II, Alphonse Leduc, Paris
  1. Longstreet S., Dauer A.M. (1958) – « Encyclopédie du Jazz » adaptation française Bureau J. – Ed. Aimery Somogy, Paris.
  1. Newton F. (1966) – Une sociologie du jazz, Flammarion, éditeur – Nouvelle Bibliothèque Scientifique.
  1. Shapiro N, Hentoff N. (1956) – « Ecoutez-moi ça ! » – Recueil de textes – Ed. Corréa, Buchet/Chastel, Paris.
  1. Ulanov B (1955) – « Histoire du Jazz » – Ed. Corréa, Buchet/Chastel, Paris.

NOTES


[1]   Johnny DeDroit dirigea, à la Nouvelle-Orléans, des orchestres de théâtre jusqu’à l’apparition, à la fin des années 1920, du système sonore Vitaphone (voir la note 2). Ces orchestres jouaient des airs populaires et des sélections douces spécialement conçues pour accompagner les spectacles. Souvent, des musiciens de jazz participaient à ces ensembles.

[2]   Le film « Jazz Singer », en français, « Le Chanteur de Jazz », est le premier film sonore, sorti le 23 octobre 1927 et produit par les frères Warner (Warner Bros). Les interprètes principaux sont Al Johnson, un ancien chanteur de Synagogue, artiste de cirque, de music-hall, impresario, devenu entrepreneur de spectacles, et Myriam Loy. Ce film, dont tous les Etats-Unis se font l’écho, raconte un peu la vie d’Al Johnson, né à Saint-Pétersbourg le 28 mai 1883. Ses premiers mots dans le film sont : « Hello, Mam ! ». Pour réaliser ce film, la Warner Bros met au point un système qu’elle a racheté à la société Vitaphone. Dans ce film pratiquement muet, Al Johnson s’adresse au public « Attendez ! Attendez ! vous n’avez encore rien entendu ». Le système des frères WARNER consistait à passer en synchronisme un disque sur un gramophone pendant que le film défilait à l’écran. Mais les aiguilles de l’appareil ayant tendance à sauter, la synchronisation du son et des images était souvent mauvaise. On entendait les mots avant ou après leur lecture sur les lèvres de l’acteur. Cependant, sonore, parlant et musical, ce film, réalisé par Alan Crosland, auteur d’un Don Juan également sonore mais non chantant, prouve que le cinéma muet appartient au passé.

[3]    Piron’s New Orleans Orchestra. Cet orchestre connut une certaine vogue à la Nouvelle-Orléans durant les années 1920. Il fut organisé par Armand Piron et Peter Bocage à la fin de 1918, lorsque Bocage quitta son job sur le SS Capitol qui remontait le Mississippi. Ils montèrent cet ensemble pour le restaurant Tranchina du lac Ponchartrain. Il fut l’orchestre attitré du lieu jusqu’en 1928. Cet excellent orchestre est représentatif du style créole de la Nouvelle-Orléans. Il fait un bref séjour au Cotton Club de New York et enregistre à plusieurs reprises entre novembre 1923 et février 1924, pour la firme Victor.

[4]   Léon Bix Beiderbecke est né au 1934 Grand Avenue, Davenport, Iowa, le 10 mars 1903. Il est le troisième enfant d’une famille d’immigrants allemands installée dans la région depuis deux générations et propriétaire de la « East Davenport Lumber and Coal Company« . – Son père s’appelait Bismark, son grand-père, Carl. Son père qu’on avait surnommé « Bix » avait déjà surnommé son premier fils (Charles) « Bix ». Dans la famille, les deux étaient connus sous les noms de « Big Bix » et « Little Bix ». Quand Léon vint au monde, « Big Bix » insista, pour des raisons qui sont demeurées obscures, pour que ce deuxième fils porte officiellement le nom de « Bix ». C’est sous ce nom – et non surnom – que ce futur cornettiste, pianiste, compositeur  allait passer à la postérité. Sa mère joue en amateur du piano et de l’orgue ; un de ses grands-pères dirige l’orchestre philharmonique de Davenport. À trois ans, il joue au piano le thème de la deuxième Rhapsodie hongroise de Liszt. À sept ans, « Little Bickie » fait la manchette du Davenport Democrat qui annonce avec fierté que la ville de Davenport a son prodige : un jeune musicien qui, sans avoir suivi un seul cours de musique, est capable de reproduire, d’oreille, n’importe quelle mélodie. Ne voulant pas suivre les cours et les conseils des professeurs qu’on lui imposait, il fait l’acquisition à 15 ans d’un cornet d’occasion et, autodidacte, s’invente une technique aux doigtés peu orthodoxes.

En 1918, de retour de l’armée, son frère, Charles ramène à la maison une machine bien intrigante : un gramophone.  Sur celui-ci, il fait écouter à son frère des disques d’un certain groupe connu sous le nom de Original Dixieland Jazz Band. Pour « Bix », c’est la découverte. A l’écoute de Nick LaRocca,  et des orchestres qui jouent à bord des riverboats qui remontent le Mississippi, il se passionne pour cette musique, citant pour son principal inspirateur un cornettiste blanc de la Nouvelle-Orléans, Emmett Hardy (mort à 22 ans), entendu dans l’orchestre de Carliste Evans.

En 1921, ses parents l’envoient au Lake Forest Academy, une académie militaire près de Chicago. Là, il forme avec le batteur Walter « Cy » Welge le Cy-Bix Orchestra et fait partie du Ten Foot Band avec Jimmy Hartwell (cl, sa), George Johnson (st) – Min Leibrook (tba) et Vic Moore (dm). Certains soirs, il descend à Chicago où il peut aller entendre les New Orleans Rhythm Kings. En 1922 – il n’a que dix-neuf ans – il est expulsé de l’académie. Son seul intérêt : le jazz. Il rentre à Davenport et cherche en vain une place de pianiste. Après un passage dans un orchestre de danse de Chicago, les Cascades, il travaille pendant près de trois mois avec Eddie Condon (g), à l’Alhambra Ballroom de Syracuse. L’année suivante, il retourne à Chicago, joue pour la danse et sur des riverboats. Dans l’orchestre de l’un de ces bateaux, il rencontre le jeune clarinettiste Benny Goodman, âgé de 14 ans.

En octobre 1923, il se joint à un groupe d’étudiants, les Wolverines, formé par le pianiste Dick Voynow avec Hartwell, Johnson auxquels s’ajouteront Moore et Leibrook. Bix en deviendra la vedette. Ils jouent dans des casinos et des dancings, dans l’Ohio, à Indianapolis, Chicago… Ses premiers enregistrements datent de février 1924, à Richmond pour la firme Gennett. Ils se produisent ensuite à l’université d’Indiana, où Bix retrouve Hoagy Carmichael qui hésite à quitter ses études de droit pour se consacrer à la musique. A New York, il enregistre avec les Sioux City Six, dont Frankie Trumbauer  (C-m s) et Miff Mole (tb) sont les principaux solistes. Bix quitte les Wolverines et entre dans l’orchestre de Jean Goldkette grâce au saxophoniste Don Murray. Il joue ensuite avec Charley Straight à Chicago – ne sachant pas lire la musique, il doit apprendre par cœur les arrangements. Il a de nouveau l’occasion d’entendre Louis Armstrong, King Oliver, Jimmie Noone et se passionne pour Bessie Smith.

En 1925, il signe ses premiers disques en tant que leader (Bix and his Rhythm Jugglers) et enregistre son premier chef-d’oeuvre : Davenport Blues. Parallèlement, il s’intéresse aux recherches harmoniques des compositeurs impressionnistes (Debussy, Ravel, Edward McDowell…) ce qui l’amène à travailler le piano et à élargir ses connaissances théoriques.

A partir de 1925, il retrouve Trumbauer avec qui il formera une association qui résistera aux aléas du métier. Ensembles, ils participeront à divers groupes, Frankie Trumbauer and his Orchestra, Tram Bix and Lang, Bix Beirdebecke and his Gang…, Durant cette période, il enregistre ses grands classiques : Sorry, Riverboat Shuffle, Singin’ the Blues

Mais déjà, il est atteint du mal qui allait l’emporter : il boit.

Sa renommée est grande. Après avoir la dissolution de la formation de Golkette, Paul Whiteman consent à engager Bix en tant que premier cornettiste dans son orchestre. Bix s’y ennuie prodigieusement (diverses sources laissent sous-entendre cependant qu’il y est très heureux, ce qui ne l’empêche pas de boire tout autant prodigieusement). – À la fin de 1929, il est hospitalisé pour être désintoxiqué mais rien ne va plus. Dès sa sortie, il se remet à boire et joue là où on espère qu’il respectera peut-être ses engagements. En 1930, il joue épisodiquement pour les orchestres de Hoagy Carmichael et d’Irving Mills puis se joint à l’orchestre formé par Charles Prévin pour une émission de radio : The Camel Pleasure Hour. Il y fait ses derniers enregistrements, se contentant parfois de ne jouer que les premières mesures d’arrangements plus ou moins inspirés.

Il quitte Prévin en octobre de la même année et, d’orchestres en orchestres, il continue à vivre une existence de plus en plus marginale. À la fin de juillet, il contracte une pneumonie et meurt le 6 août suivant.

[5]   La vie romancée de Bix Beiderbecke a été racontée par Dorothy Baker dans « Young Man With A Horn » (1938) – traduit par Boris Vian sous le titre « Le Jeune Homme à la trompette » (1954).

[6]   Film (1950) du réalisateur américain d’origine hongroise, Michael  Curtiz, de son vrai nom Manó Kertész Kaminer. Le titre anglais a été traduit par « La Femme aux chimères ». Scénario de Carl Foreman, photo de Ted McCord. Acteurs principaux : Kirk Douglas, Lauren Bacall et Doris Day. Kirk Douglas est doublé pour la musique par le trompettiste Harry James.

Michael Curtiz est né le 24 décembre 1886 dans une famille juive à Budapest, et est décédé, à Hollywood, le 10 avril 1962 des suites d’un cancer. Parti de chez lui à 17 ans pour rejoindre un cirque, puis suivre un formation d’acteur à la Royal Academy for Theater and Art. En 1912, il commence sa carrière d’acteur et de metteur en scène en Hongrie sous le nom de Mihály Kertész, réalisant au total 43 films. A la fin de la Première Guerre Mondiale, il part travailler en Allemagne, puis débarque à Hollywood en 1926, où il dirige Erroll Flynn dans des films devenus de très grands classiques du cinéma : Capitaine Blood (1935), La charge de la brigade légère (1936) et culminant avec Les Aventures de Robin des Bois en 1938. Mais c’est pour Casablanca, avec Humphrey Bogart et Ingrid Bergman, que la signature de Curtiz appartient au panthéon du cinéma.

[7]   Jean Goldkette est un pianiste et chef d’orchestre américain, né le 18 mai 1893  soit à Valenciennes en France, soit à Patras (Grèce), et mort le 24 mars 1962 à Santa Barbara (Californie). Il semble avoir passé sa jeunesse en Europe (Grèce et Russie) où, très jeune, il commence une carrière de musicien classique. Il émigre aux Etats-Unis au début des années 10. En 1919, il dirige une maison d’édition musicale à Détroit. Dans les années 20, Goldkette dirige plusieurs orchestres de danse et de jazz. Dans les faits, il n’y a pas un « orchestre de Jean Goldkette » mais un ensemble d’orchestres portant le « label Goldkette » dont il n’est que l’impresario. Goldkette se réserve la direction du plus prestigieux. L’orchestre le plus connu est son « Victor Recording Orchestra » (1924-1927) dans lequel on peut entendre des musiciens comme Bix Beiderbecke (crt), Hoagy Carmichael (p), Jimmy Dorsey (cl, sa), Tommy Dorsey (tb), Bill Rank (tb), Eddie Lang (g), Frankie Trumbauer (C-m s), Pee Wee Russell (cl) et Joe Venutti (vn). Cet orchestre enregistre de nombreux disques pour le label « Victor » dont des plages fameuses mettant en vedette Bix Beiderbecke. Le13 octobre 1926, au « Roseland Ballroom » de New York, un duel d’orchestres oppose la formation de Goldkette à celle de Fletcher Henderson. C’est Goldkette qui en sort vainqueur. En septembre 1927, Goldkette, pour des raisons mal déterminées, dissout son orchestre vedette. Une partie du personnel est embauché par Paul Whiteman, alors directeur d’un orchestre de jazz symphonique très populaire. Goldkette remonte quelques mois plus tard un autre orchestre vedette qui enregistre, lui aussi, de nombreux titres pour le label Victor. En 1929, Goldkette dissout définitivement son orchestre. La même année, Goldkette est impresario des McKinney’s Cotton Pickers puis, au début des années 30, du Casa Loma Orchestra. Golkette, « star des année 20 », glisse peu à peu dans l’anonymat. Goldkette continue sa carrière d’agent artistique sans retrouver le succès. Il tente une carrière de pianiste classique qui ne connaît pas un franc succès. En 1939, il monte l’ American Symphony Orchestra qui se produit au Carnegie Hall de New York. Là aussi, le succès est mitigé et il semble qu’à partir de 1944, il soit en quasi-retraite à Kansas-City avant de déménager en Californie en 1961 où il meurt l’année suivante.

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Léon Bix Beiderbecke

Catégories : Jazz | Un commentaire

11ème dialogue

LOUIS ARMSTRONG

– BIRD : HelIo ! Mon vieux CAT, nous en avons fini avec Chicago. Quelle découverte allons nous faire aujourd’hui ?

– CAT : Non nous reviendrons à Chicago avec l’école des jeunes Blancs. Mais avant, il est grand temps de parler du musicien qui a eu une influence prépondérante sur l’évolution du jazz vers le « classicisme ». Nous allons suivre Louis, le grand Louis ARMSTRONG.

– BIRD : Un des musiciens les plus populaires dans le monde, à l’instar de Sidney BECHET.

– CAT : L’époque du jazz essentiellement polyphonique prend fin avec le « Creole Jazz Band » de OLIVER. C’est l’avènement de la « monodie » qui connaîtra un intérêt croissant dans les années suivantes. Si tu veux, nous allons nous étendre un peu plus longuement sur le terme « monodie ».
« Monodie » s’oppose à « polyphonie » pour désigner le jeu à une voix seule, avec ou sans accompagnement. On rencontre une partie principale, caractérisée par la continuité de la ligne mélodique, les autres parties ont comme fonction celle d’accompagnement. « Satchmo » est un maître incontesté dans cet art.

– BIRD : Je connaissais ce surnom de ARMSTRONG, mais que signifie-t-il ?

– CAT : Oh, il en a eu plusieurs tels que « Dippermouth » – bouche comme une louche, « Satchelmouth » – bouche comme une giberne -, « Satchmo » contraction de « Satchelmouth« . Ces sobriquets ont tous trait à la forme et à la puissance de ses lèvres et à la manière dont il tenait sa trompette lorsqu’il jouait. Elle était placée sur ses lèvres de sorte qu’après de longues heures de prestation, elle s’enfonçait dans sa lèvre supérieure, d’où le terme de « Dippermouth« . A la longue cela lui abîma les lèvres qui se sont déchirées, l’amenant à privilégier le chant et à modifier son jeu.
D’abord une très courte biographie de Daniel Louis ARMSTRONG avant de suivre plus en détail sa carrière musicale.

1. « Cake walking babies from home » – Red Onion Jazz Babies – New York, 11/12/1924.
Pers. : Louis ARMSTRONG (crt) – – Charlie IRVIS (tb) – Sidney BECHET (ss) – Lil HARDIN (p) – Buddy CHRISTIAN (bjo) – Beatty TODD (voc)
Disque : Riv- RLP 12.101 – B10 (3’24)

– BIRD : Louis est un enfant de la Nouvelle-Orléans. J’ai lu son livre « Ma Nouvelle-Orléans » dans lequel il raconte ses débuts dans la vie.

– CAT : Il est né le 4 juillet 1900 , en même temps que le XXème siècle, dans « Back 0′ Town« , le quartier pauvre de la Nouvelle-Orléans. Louis n’a pas eu d’enfance : livré à lui-même dès l’âge de cinq ans, ses premières années sont celles d’un « poulbot » hébergé plutôt qu’élevé par une grand-mère, née esclave, et sa mère Mayann, domestique et prostituée occasionnelle, à qui il restera cependant profondément attaché toute sa vie. Des voisins juifs, les KARNOFSKY, le prennent sous leur coupe et l’emploient avec leurs enfants comme chiffonnier. Ils lui prêtent un petit cornet à piston et lui donnent le goût du chant. Toute sa jeunesse est imprégnée de musique et, très tôt, il constitue un quatuor vocal afin de gagner quelques sous en se produisant dans les « tent shows » du quartier. Pour un coup de revolver tiré, afin de participer aux réjouissances de la nuit de la Saint-Sylvestre de 1913, il est arrêté et conduit au « Waif’s Home« , la maison de correction. L’orchestre de l’établissement l’attire, il y est bientôt admis.

– BIRD : Il commence sa carrière instrumentale en jouant du tambourin, puis de la batterie, du bugle et enfin, son rêve, du cornet. Son instinct musical est si développé que ses camarades le reconnaissent comme le leader de l’ensemble.

2. « Nobody knows the way l feed this morning » – Red Onion Jazz Babies – New York, 28/12/1924.
Pers. : Louis ARMSTRONG (crt) – Charlie IRVIS (tb) – Sidney BECHET (ss) – Lil HARDIN (p) – Buddy CHRISTIAN (bjo) – Alberta HUNTER (voc).
Disque : Riv. RLP 12.101 – B11 (2’53)

– CAT : Libéré au bout d’un an, il mène une vie dure de 1914 à 1917. Pendant le jour, il exerce divers métiers tels que vendeur de journaux, laitier, fripier, charbonnier, tandis qu’à la tombée de la nuit, il empoigne son cornet et se précipite dans les cabarets où il peut remplacer un trompettiste absent. Il s’avère un des plus grands artistes de la Nouvelle-Orléans et en 1918, lors du départ de OLIVER pour Chicago, il le remplace dans l’orchestre de Kid ORY. Avec le « Dixie Bell » de Fate MARABLE, de 1920 à 1922, il prend part aux tournées sur les « riverboats » qui font la navette entre la « Cité du Croissant » et Saint-Louis. Appelé par King OLIVER, il débarque à Chicago un beau jour de l’année 1922.

– BIRD : Il tiendra le rôle de 2ème trompette dans le « Creole Jazz Band » jusqu’en 1924, dans lequel quelques trop rares solos lui sont accordés.

3. « Froggie moore » – King Oliver’s Creole Jazz Band – Richmond (Indiana), 6/4/1923
Pers. : King OLIVER, Louis ARMSTRONG (crt) – Honore DUTREY (tb) – Johnny DODDS (cl) – Lil HARDIN (p) – Bill JOHNSON (b) – Babby DODDS (dm)
Disque : CD1 MN 30295 – piste 8 (3’02)

– CAT : Pour plus de facilités, nous allons diviser sa carrière musicale en périodes.

– BIRD : J’espère que tu illustreras tes propos par des exemples sonores.

– CAT : Bien sûr, regarde la pile de disques que j’ai préparé.
La première période, période d’émancipation, s’étend de 1924 à 1925. Sous les instances de la pianiste Lil HARDIN qui deviendra sa deuxième femme , Louis quitte son maître et se lance à la conquête de Harlem. Nous retrouvons « Satchmo » comme chef de la section des trompettes dans le premier grand orchestre de Fletcher HENDERSON.

4. « Sugar Foot Stomp » – Fletcher HENDERSON Orchestra – New-York, 29-05-1925.
Pers. : Louis ARMSTRONG, Joe SMITH, Elmer CHAMBERS (crt, tp) – Charlie GREEN (tb) – Buster BAILEY (cl, ss, sa) Don REDMAN (cl, as) – Coleman HAWKINS (cl, ts, bs) – Fletcher HENDERSON (p) – Charlie DIXON (bjo) – Bob ESCUDERO (tuba) – Kaiser MARSHALL (dm).
Disque : Proper P1469 – 17 (2 :51)

– BIRD : Sa puissance sonore perce même dans l’orchestration touffue de l’ensemble de HENDERSON.

– CAT : Oui, malheureusement, l’orchestre sonne encore par moment piteusement et à la manière commerciale de Paul WHITEMAN. Nous retrouverons HENDERSON lorsque nous aborderons les « big bands ».
Pendant ce séjour à New-York, Louis se fait un nom en participant à de nombreux enregistrements, soit avec l’orchestre de « Smack » – un surnom de HENDERSON -, soit avec de petites formations connues sous le nom de « Blue Five » et de « Red Onion Jazz Babies« , soit enfin en tant qu’accompagnateur de chanteuses de blues, parmi lesquelles Ma RAINEY, Trixie SMITH, Clara SMITH et « l’impératrice du blues », Bessie SMITH.

5. « Terrible Blues » – Red Onion Jazz Babies – New-York, 26/11/1924
Pers. : Louis ARMSTRONG (crt) – Aaron THOMPSON (tb) – Buster BAILEY (cl) – Lil HARDIN (p) – Buddy CHRISTIAN (bjo)
Disque : Riv. RLP 12.101 – B1 (2’48)

6. « J.C. Holmes Blues » – Bessie SMITH – New-York, 27-05-1925
Pers. : Bessie SMITH (voc) – Louis ARMSTRONG (crt) – Charlie GREEN (tb) – Fred LONGSHAW (p)
Disque : Proper P1469 – 16 (3:07)

– CAT : La période suivante, celle qui, a mon avis, est la plus intéressante, car elle voit la naissance de la formule des petits ensembles, débute par le retour d’ARMSTRONG à Chicago. Cette période s’étend approximativement de 1925 à 1929. « Satchmo » joue au « Dreamland Café » avec les « Dreamland Syncopators » de Lil HARDIN et au « Vendome Theatre » avec l’orchestre de Erskine TATE. C’est dans cet ensemble qu’il commence sa carrière de « showman » en apparaissant dans des sketchs humoristiques.

7. « Static Strut » – Erskine Tate’s Vendome Orchestra – Chicago, 28/5/1926
Pers. : James TATE, Louis ARMSTRONG (tp) – Ed ATKINS (tb) – Alvin FERNANDEZ (cl, as) – Paul « Stump » EVANS (as, bs) – Teddy WEATHERFORD (p) – Frank ETHRIGDE (bjo, 2éme p ?) – John HARE (tuba) – Jimmy BERTRAND (dm, wbd) – Erskine TATE (lead, bj ?)
Disque : Proper P1469 – 18 (2’50)

– CAT : Se sentant assez sûr de lui, il peut prétendre à un orchestre à lui. Grande innovation dans l’histoire du jazz, ARMSTRONG crée son premier « Hot Five » en 1925. Cet ensemble de studio comprend en plus de Louis, Johnny DODDS à la clarinette, Kid ORY au trombone, Lil HARDIN au piano et John St CYR au banjo. Cette formule d’ensemble va conduire progressivement le jazz vers sa forme classique. Elle renouvelle la forme et l’esprit de la musique de la Nouvelle-Orléans. « Gut Bucket Blues » permet d’emblée de se rendre compte de la valeur des interprètes qui se manifestent à tour de rôle en solo. Tout au long du morceau, Louis interpelle les musiciens, commente leur intervention, les invite à jouer avec flamme.

8. « Gut Bucket Blues » – Hot five – 12-11-1925, Chicago
Pers. : Louis ARMSTRONG (crt) – Johnny DODDS (cl) – Kid ORY (tb) – Lil HARDIN (p) – John St CYR (bjo).
Disque : Proper P1470 – 3 (2’42)

– CAT : « Heebie Jeebies » est la première face où on l’entend chanter et où il introduit le chant « scat ». Selon la légende, après un chorus chanté, il aurait laissé tomber la feuille où étaient notées les paroles et, sans se démonter, aurait improvisé son deuxième chorus en onomatopées.

9. « Heebie Jeebies » – Hot five – 26-02-1926, Chicago
Pers. : même composition que précédemment
Disque : Proper P1470 – 6 (2’54)

– BIRD : On remarque, dès le premier enregistrement, le triomphe de la personnalité sur la collectivité. ARMSTRONG s’impose, il tient le rôle central.

– CAT : En 1927, ce groupement devient le « Hot Seven » par l’adjonction de Pete BRIGGS au tuba et de Baby DODDS à la batterie. Dans « Wild Man Blues« , on peut apprécier le long solo d’ARMSTRONG, en phrases capricieuses, d’un chromatisme révolutionnaire pour l’époque, et joué avec une rare puissance, prélude aux chefs-d’œuvre de la maturité.

10. « Wild Man Blues » – Hot Seven – 7/5/1927.
Pers. : Louis ARMSTRONG (crt) – John THOMAS (tb) Johnny DODDS (cl) – Lil HARDIN (p) – John St CYR (bjo) – Pete BRIGGS (tuba) – Baby DODDS (dm).
Disque : Proper P1471 – 2 (3’12)

– BIRD : Effectivement, il est époustouflant !

– CAT : « Potato Head Blues » fit sensation à l’époque. C’est le plus bel exemple de ce que l’on nomme le « stop-chorus« , c’est-à-dire une série de « breaks » exécutés à découvert et ponctués par les accords de la section rythmique toutes les deux mesures.

11. « Potato head Blues » – Hot Seven – 10/5/1927
Pers. : même composition que précédemment
Disque : Proper P1471 – 4 (2’56)

– CAT : Retour à la formule « Hot Five » pour atteindre le sommet de la perfection avec la formule du quintette en 1928. On y trouve le grand pianiste Earl HINES et le batteur Zutty SINGLETON.
Louis tient deux chorus dans « Savoy Blues », dans un style nouveau que l’on sent en pleine évolution. Sa sonorité un peu grasse dans ses enregistrements précédents s’amincit. De plus Zutty apporte à la section rythmique le « punch » qui lui manquait. Earl HINES se montre un partenaire digne de « Satchmo ». La richesse harmonique de son jeu permet à Louis de plus grandes audaces.

12. « Savoy Blues » – Louis ARMSTRONG and his Hot Five – Chicago, 13.12.1927
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp,voc) – Fred ROBINSON (tb) – Jimmy STRONG (cl,ts) – Earl HINES (p) – Mancy CARA (bjo) – Lonnie JOHNSON (g) – Zutty SINGLETON (dm).
Disque : Proper P1471 – 20 (3’30)

– CAT : En 1928, ces deux grands du jazz enregistrent un splendide colloque piano-trompette, « Weather Bird », sur le thème d’un vieux ragtime. HINES transpose au piano le jeu de ARMSTRONG, c’est pourquoi on l’appelle souvent le pianiste au « trumpet-piano-style ».

13. « Weather Bird«  – Chicago, 5/12/1928.
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp) – Earl HINES (p).
Disque : CBS 88002 – D8 (2’45)

– BIRD : Cette formule en duo est assez révolutionnaire pour l’époque !

– CAT : Que dire du morceau suivant, « West and Blues » ? L’introduction, véritable anthologie du jazz, est exécutée par la trompette selon une ligne d’abord ascendante puis descendante d’une extrême pureté. L’atmosphère de cette exécution est empreinte d’une mélancolie discrète, Louis semble avoir fait sa voix plus douce. Ses vocalises en réponse à la clarinette sont celles d’un homme qui a pris son parti de la souffrance et se veut presque enjoué. Le chorus final avec sa longue note tenue de trompette à laquelle succèdent une phrase fougueuse, incisive, et une conclusion en paraphe, comme une signature d’ARMSTRONG, est le plus haut moment d’une œuvre exceptionnelle.

14. « West and Blues » – Louis ARMSTRONG and his Hot Five – Chicago, 28/6/1928.
Pers. : Louis ARMSTRONG (crt, voc) – Jimmy Strong (cl) Fred Robinson (tb) – Earl Hines (p) – Mancy Cara (bjo) – Zutty Singleton (dm).
Disque : Proper P1472 – 1 (3’19)

– BIRD : C’est vrai, « West and Blues » est d’une beauté sans pareille. Quelle pureté, quelle simplicité dans le jeu de « Satchmo« . On en a le souffle coupé !

– CAT : En décembre 1928, une nouvelle séance d’enregistrements est prévue. Le saxophoniste – arrangeur Don REDMAN superpose quelques passages arrangés au travail habituel d’improvisation, ce qui nous vaut quelques morceaux très réussis, notamment le très beau « Tight Like This » sur un thème de seize mesures, en mineur. Jamais ARMSTRONG ne fut plus poignant, plus vertigineux. Le jeu du trompettiste y est d’un pathétique gradué. Quelques notes graves introduisent plusieurs incursions dans l’aigu et des phrases mouvantes, que suivent de déchirants traits en valeurs longues.

15. « Tight like this » – Savoy Ballroom Five – Chicago, 12/12/1928
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp, voc) – Fred ROBINSON (tb) – Jimmy STRONG (cl, ts) – Don REDMAN (as, speech) – Earl HINES (p, speech) – Mancy CARA (bjo) – Zutty SINGLETON (dm).
Disque : Cedar WIS CD 604 – 2 (3 :10)

– BIRD : On a l’impression que le soliste quitte terre, qu’il nous accroche et nous tire dans une lumière admirable.

– CAT : Quel lyrisme, mon vieux !
Pendant cette période, ARMSTRONG fit énormément de trompette, car en plus de ses enregistrements, il joue dans divers cabarets de Chicago. En 1926 c’est au « Sunset Cabaret », avec l’orchestre de Carroll DICKERSON qu’on peut l’entendre. C’est là que naît entre ARMSTRONG, Earl HINES qui tenait le piano, et Zutty SINGLETON le batteur, une étroite et durable association de musiciens et d’amis. Joe GLASER, le propriétaire des lieux, devient l’imprésario du trio et mène désormais la carrière du trompettiste. Rencontre décisive qui portera ARMSTRONG au sommet de la gloire. En 1927, il forme son propre grand ensemble, le « Louis ARMSTRONG and his Stompers ». C’est avec celui-ci qu’il accomplit son premier changement de style. Il retourne en 1928 chez DICKERSON, au « Savoy Ballroom » cette fois. Et nous arrivons à la troisième période de sa carrière musicale, sa période acrobatique, qui s’étend de 1929 à 1935.

16. « No One Else but You » – Louis ARMSTRONG and his Savoy Ballroom Five – Chicago, 05-12-1928
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp, voc) – Fred ROBINSON (tb) – Don REDMAN (cl, sa, arr) – Earl HINES (p) – Dave WILBORN (bjo, g) – Zutty SINGLETON (dm)
Disque : Proper P1472 – 9 (3:22)

– CAT : Au cours de l’année 1929, Louis retourne à New-York. Il délaisse la formule du petit ensemble pour devenir le principal soliste vocal et instrumental devant une grande formation : celle de Luis RUSSELL, de Carroll DICKERSON, du Cocoanut Grove notamment. Il devient une vedette à Broadway et anime par sa présence quelques revues musicales comme celle des « Hot Chocolates », changeant d’existence et de public.

17. « Sweet Savannah Sue » – Carroll Dickerson’s Orchestra, New York, 22-07-1929
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp, voc) – Homer HOBSON (tp) – Fred ROBINSON (tb) – Jimmy STRONG (cl, ts) – Best CURRY, Crawford WETHERINGTON (as) – Gene ANDERSON (p) – Mancy CARA (bjo) – Pete BRIGGS (tuba) – Zutty SINGLETON (dm) – Carroll DICKERSON (vI).
Disque : Cedar WIS CD 604 – 5 (3 :15)

– CAT : Son esthétique même se modifie sous la pression des circonstances. Les arrangements sont conçus pour le mettre en valeur, malheureusement ils sont généralement sans grand intérêt. Cependant cette formule lui permet de réaliser quelques oeuvres concertantes qui sont de vrais petits chefs d’oeuvre. Il inscrit à son répertoire davantage de « songs » commerciaux.

18. « Body and Soul » – Les Hites’ New Sebastian Cotton Club Orchestra, Los Angeles, 10-9-1930.
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp, voc) – Joe BAILEY (tuba, b) – Lawrence BROWN (tb) – Harvey BROOKS (p) – Ceele BURKE (bj, g) – Leo ELKINS (tp) – William FRANZ (st) – Luther GRAVEN (tb) – Lionel HAMPTON (vb, dm) – Les HITE (sa, sb) – Leon HERRIFORD (sa) – Charlie JONES (cl, sa) – Reggie JONES (tuba) – Marv JOHNSON (sa) – George ORENDORFF (tp) – Bill PERKINS (bj, g) – Henri PRINCE (p) Willie STARK (sa) – Harold SCOTT (tp).
Disque : Ph. 429 098 BE – A1 (3 :14)

– BIRD : C’est formidable ce qu’il peut transformer une chanson un peu mièvre en un véritable petit bijou musical.

– CAT : Louis entreprend une série de tournées qui le mèneront en 1930 à Hollywood, en 1931 à la Nouvelle-Orléans, en 1932 en Angleterre, en 1933 à travers tous les U.S.A. et en juillet 1933 en Europe. Il se produit à la salle Pleyel à Paris, en octobre 1934. Par malheur, les orchestres chargés de l’accompagner sont souvent boiteux et falots, le comble étant atteint par le groupe réuni à la hâte pour son concert de Paris.

18. « Will you, won’t you be ma Baby » – Louis ARMSTRONG – Paris session, octobre 1934
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp,voc) – Jack HAMILTON, Leslie THOMPSON (tp) – Lionel GUIMARAES (tb) – Pete DUCONGE (cl, as) – Henry TYREE (as) – Alfred PRATT (ts) – Herman CHRITTISOU (p) – Maceo JEFFERSON (g)
Oliver TYNER (dm).
Disque : 30 JA 5116 – A3 (2’46)

– BIRD : En effet cela manque de souffle, on est loin des années 1928-1929. Heureusement que « Satchmo » reste égal à lui-même, ce qui sauve la mise.

– CAT : De tous les orchestres avec lesquels ARMSTRONG enregistra pendant cette période, le meilleur est celui de Luis RUSSELL. La sonorité de Louis devient, au cours de ces années, plus nette et plus claire, il recherche davantage l’effet et se complait dans le registre aigu, il doit soutenir sa réputation de phénomène. Cependant il devra bientôt y renoncer, car chaque concert est un supplice pour lui, ses lèvres ont éclaté et le font énormément souffrir. De retour aux Etats-Unis il est obligé de se retirer de la scène du jazz pendant quelques mois. Un nouvel homme sortira de cette cure de repos forcée. Durant cette période il se révèle également un chanteur en pleine maturité. Sa voix qui a mûri, s’appuie avec insistance sur les temps forts et se meut avec une souplesse et un swing décuplé.

19. « I can’t Give You Anything But Love« – Luis Russell’s Orchestra – New York City, 05-03-1929
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp) – J.C. HIGGINBOTHAM (tb) – Albert NICHOLAS (sa) – Teddy HILL (st) – Charlie HOLMES (sa) – Luis RUSSELL (p) – Eddie CONDON (bjo) – Lonnie JOHNSON (g) – Pops FOSTER (b) – Paul BARBARIN (dm)
Disque : Ph. 429 098 BE – B1 (3’32)

– CAT : Dans « Mahogany Hall Stomp« , le solo central d’Armstrong construit en vue d’un accroissement progressif de tension est connu de tous les amateurs de jazz. Pour le premier chorus, il emploie quelques phrases simples amenant une note tenue tout au long du second chorus. La chose la plus extraordinaire est certainement le riff du troisième chorus, posé sur le contretemps, et qui procède d’un décalage rythmique d’une grande audace pour l’époque.

20. « Mahogany Hall Stomp » – Luis Russell’s Orchestra – New York City, 05-03-1929
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp) – J.C. HIGGINBOTHAM (tb) – Albert NICHOLAS (sa) – Teddy HILL (st) – Charlie HOLMES (sa) – Luis RUSSELL (p) – Eddie CONDON (bjo) – Lonnie JOHNSON (g) – Pops FOSTER (b) – Paul BARBARIN (dm)
Disque : Cedar WIS CD 604 – 4 (3:22)

– CAT : Dans « Saint-Louis Blues« , les quatre chorus ne sont pas moins admirables. Entre chacun d’eux une note fait pont amenant une série de phrases de même découpage. Dans la dernière série, où la note initiale du motif répété est attaquée dans l’aigu, ARMSTRONG atteint au comble de l’exaspération.

21. « Saint-Louis Blues » – Luis Russell’s Orchestra – New York City, 13-12-1929
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp, voc) – Otis JOHNSON (tp) – Henry Red ALLEN (tp) – J.C. HIGGINBOTHAM (tb) – Albert NICHOLAS (cl, sa) – Charlie HOLMES (cl, sa) – Teddy HILL (cl, st) – Luis RUSSELL (p) – Will JOHNSON (g) – Pops FOSTER (b) – Paul BARBARIN (dm)
Disque : Cedar WIS CD 604 – 9 (3:02)

– CAT : 1935 à 1940 peut être considérée comme sa période de « Showman » de grande classe. Son style subit un nouveau changement. Il revient aux conceptions du début et abandonne les effets suraigus. Ce qu’il perd en prouesse technique, il le gagne en maturité. De plus sa voix devient aussi importante que sa trompette.

22. « W.P.A« – Louis ARMSTRONG & the Mills Brothers – 10-04-1940
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp, voc) – The Mills Brothers (voc) – Norman BROWN (g)
Disque : Brun. 87503 LPBM – B5 (2’45)

– CAT : Lors de son retour aux Etats-Unis, après sa tournée européenne, il est devenu une « star ». Il apparaîtra dans plusieurs films tout au long de sa carrière comme : « Pennies From Heaven » aux côtés de Bing CROSBY (1936) ; « Doctor Rhythm-Every Day’s A Holiday » avec Mae WEST (1938) ; « Cabin In The Sky » (1943) ; « Jam-Session – Atlantic City » (1944) ; « A Song Is Born » (1947) ; « La Route du Bonheur » (1952) ; « Glenn Miller Story » (1954) ; « High Society » avec Grace KELLY, Bing CROSBY et Frank SINATRA (1956) ; « The Five Pennies » (1959) et j’en passe. On le voit, à Broadway, dans une version musicale de « Songe d’une nuit d’été » rebaptisé « Swinging The Dream » (1940).

– BIRD : Une belle carrière pour le petit gars de la Nouvelle-Orléans. Quelle consécration !

– CAT : Malheureusement, peut-être, son image d’improvisateur génial fait place à celle d’entertainer. Il devient une légende avec son large sourire, sa voix rauque, son mouchoir blanc mouillé de sueur. Certains lui reprochèrent de jouer le rôle d’un inoffensif « oncle Tom », ayant fait des concessions à Hollywood et à Broadway.
En 1938, il enregistre une série de « negro spirituals » en compagnie des choeurs de Lyn MURRAY.

23. »Nobody knows the trouble l’ve seen » – Louis ARMSTRONG & Decca Mixed Choir – New York City, 14-06-1938
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp, voc) – inconnus (p, g, b, dm) – Lyn MURRAY (cond, arr)
Disque : CD F&A 001 – 2 (3’10)

– BIRD : Sa voix chaude et sobre est vraiment prenante. Je crois qu’en tant que chanteur on peut le mettre à égalité avec Ray CHARLES.

– CAT : Nous arrivons à la période du « New Orleans Revival » que nous étudierons plus en détail lors d’un prochain entretien. Sache cependant que vers 1940 un mouvement de retour aux sources se dessine et que les pionniers du début réapparaissent sur la scène du jazz. Dans cet esprit, Louis enregistre quelques très belles faces avec son égal Sidney BECHET et son ami Zutty SINGLETON.

24. « Perdido Street Blues » – Louis ARMSTRONG with Sidney BECHET – 1940
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp) – Claude JONES (tb) – Sidney BECHET (cl,ss) – Luis RUSSELL (p) – Bernard ADDISON (g) – Wellman BRAND (b) – Zutty SINGLETON (dm).
Disque : Dec. DL 8283 – A2 (2’57)

– BIRD : Il est dommage que Sidney et Louis n’aient pas enregistré plus souvent ensemble, car ils se soutiennent mutuellement d’une façon admirable.

– CAT : A partir des années 30, les revues américaines Metronome et Esquire organisent tous les ans un référendum auprès de leurs lecteurs destiné à élire les meilleurs musiciens de jazz de l’année. Quelques-uns des lauréats sont réunis dans les studios de grandes firmes d’enregistrement pour graver un disque. Nous pourrons reparler de ces séances ultérieurement. Tout cela pour dire qu’en janvier 1944, ARMSTRONG est la vedette d’un concert Esquire donné au Metropolitan Opera. Il est entouré d’une belle brochette de musiciens : Roy ELDRIDGE (tp), Jack TEAGARDEN (tb), Coleman HAWKINS (st), Lionel HAMPTON (vb), Art TATUM (p), Al CASEY (g), Oscar PETTIFORD (b) et Sidney CATLETT (dm). Il remet çà en 1946, accompagné par des membres de l’orchestre de Duke ELLINGTON qui le présente.

25. « Long Long Journey » – Esquire All American Award Winners – New York, 10-01-1946
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp, voc) – Charlie SHAVERS (tp) – Jimmy HAMILTON (cl) – Johnny HODGES (sa) – Don BYAs (st) – Duke ELLINGTON (p, intro. Parlée) – Billy STRAYHORN (p) – Remo PALMIERI (g) – Chubby JACKSON (b) – Sonny GREER (dm) – Leonard FEATHER (arr)
Disque : CD1 FA 5050 – 20 (4’38)

– CAT : La période qui s’ouvre, à partir de 1945, sera celle du retour au groupement du type « Hot Five« . En effet, étant donné le déclin des « big bands« , « Satchmo » abandonne définitivement la grande formation. Il se produit avec un petit ensemble au « Metropolitan Opera« , à « Town Hall« . A partir de 1947, il apparaît presque chaque année avec une nouvelle formation « AlI-Star » dans laquelle ont défilé des musiciens tels que le pianiste Earl HINES, le trombone blanc Jack TEAGARDEN, les batteurs Sidlett CATLETT et Cozy COLE et l’incontournable Barney BIGARD à la clarinette.

26. « Back o’Town Blues » – Louis ARMSTRONG and his All-Stars – New York, 26/1/1944
Pers. : Louis ARMSTRONG, Roy ELDRIDGE (tp) – Jack TEAGARDEN (tb) – Barney BIGARD (cl) – Coleman HAWKINS (ts) – Lionel HAMPTON (vib) – Art CASEY (g) – Oscar PETTIFORD (b) – Sidney CATLETT (dm).
Disque : 30 JA 5102 – Al (3’33)

– BIRD : L’équilibre sonore est amélioré par rapport aux groupes des années vingt, par contre il semble que Louis a perdu en spontanéité ?

– CAT : Après la guerre et durant les années 1950 et 1960, il entreprend de nombreuses tournées à travers le monde dont certaines sont organisées par le Département d’Etat américain, faisant de lui un ambassadeur musical. Un disque au titre évocateur est d’ailleurs sorti à l’époque : « Ambassador Satch« . Il visite l’Europe chaque année mais il se produit également au Japon (1953), en Australie (1954), au Canada, à la Jamaïque, en Amérique latine (1957), en Afrique et en U.R.S.S. (1965).
Lors de sa première tournée européenne d’après guerre, le « All-Stars » d’ARMSTRONG fait un tabac au festival de Nice de 1948. Le morceau suivant met bien en valeur le jeu admirable d’Earl HINES dans son introduction et dans son accompagnement de « Pops ». Les autres musiciens sont immédiatement reconnaissables à leur façon de traiter leur instrument : TEAGARDEN au trombone est l’un des seuls musiciens blancs à avoir assimiler complètement la culture musicale afro-américaine, Barney BIGARD à la sonorité ample et chatoyante, sans oublier la partie rythmique où Arvell SHAW s’affirme par rapport à ses premiers enregistrements, et Sidney CATLETT à la batterie qui clôture en beauté.

27. « Panama » – Louis ARMSTRONG and his All-Stars – Nice, février 1948
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp) – Jack TEAGARDEn (tb) – Barney BIGARD (cl) – Earl HINES (p) – Arvell SHAW (b) – Sidney CATLETT (dm)
Disque : 30 JA 5154 – A1 (4’22)

– BIRD : C’est encore un grand moment de bonheur dans la carrière de ce génie de la trompette.

– CAT : Parmi ses derniers grands enregistrements créatifs on peut retenir les disques « Louis Arsmtrong Plays W.C. Handy » (1954) et « Satch Plays Fats » (1955) dans lesquels il reprend des mélodies et des blues de ces deux grands compositeurs. Ici, Trummy YOUNG, remarquable technicien, qui peut passer, en se jouant, de la brutalité à la douceur, remplace TEAGARDEN au trombone et Billy KYLE, au swing incisif, prend la place de HINES.

28. « Yellow Dog Blues » – Louis ARMSTRONG and his All Stars, 1954
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp, voc) – Trummy YOUNG (tb) – Barney BIGARD (cl) – Billy KYLE (p) – Arvell SHAW (b) – Barrett DEEMS (dm)
Disque : Ph. B 07796 R – A2 (‘’17)

– BIRD : C’est l’harmonie parfaite et le retour au plus pur style « New Orleans » !

– CAT : A retenir également les trois albums avec Ella FITZGERALD : « Ella and Louis » (1956), « Ella and Louis Again » (1957) et « Porgy and Bess » (1958). Voici un extrait de « Ella and Louis« . Ils sont soutenus, avec beaucoup de finesse, par le quartette du pianiste Oscar PETERSON.

29. « They can’t take that away from me » – Ella FITZGERALD & Louis ARMSTRONG, 1956
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp, voc) – Ella FITZGERALD (voc) – Oscar PETERSON (p) – Herb ELLIS (g) – Ray BROWN (b) – Buddy RICH (dm)
Disque : Verve 825 373-2 – piste 4 (4’39)

– BIRD : Quand deux artistes de cette valeur se rencontrent, c’est le nirvana !

– CAT : En 1964, Armstrong, âgé de 63 ans, détrône les Beatles et leur « Can’t Buy Me Love » du top du hit-parade « Billboard Top 100 » avec « Hello, Dolly« . C’est le plus vieil artiste à avoir conquis ce titre.

30. « Hello, Dolly » – Louis ARMSTRONG & his All-Stars – New York City, 03-12-1963
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp, voc) – Trummy YOUNG (tb) – Joe DAREMBOURG (cl) – Billy KYLE (p) – Tony GATTUBO (bj) – Arwell SHAW (b) – Danny BARCELONA (dm) – string section
Disque : MCA 257 135-2 – CD – piste 1 (2’25)

– Cat : En 1968, il marque un dernier succès au Royaume-Uni avec une chanson pop sentimentale : « What a Wonderful World » qui sera reprise en 1987 dans le film « Good Morning Vietnam« .

31. « What a Wonderful World » – Louis ARMSTRONG & his Orchestra– New York City, 16-06-1967
Pers. : Louis ARMSTRONG (vcl) acc. by Joe WILDER, Clark TERRY (tp) Urbie GREEN, J.J. JOHNSON (tb) Sam MAROWITZ (cl,sa,fl) Dan TRIMBOLI (fl,sa,st) Jerome RICHARDSON (fl,cl,st) Raymond STANFIELD (sb) Hank JONES (p) Allen HANLON, Art RYERSON, Willard SUKYER (g) Russell SAVAKUS (b) Grady TATE (dm) Warren HARD (perc) + unknown string section, Tommy GOODMAN (arr,cond)
Disque : MCA 257 135-2 – CD – piste 13 (2’18)

– BIRD : Cela ne vaut pas les « Hot-Five » et « Hot-Seven« , ni les certains « All-Stars« . De cet entretien, je déduit que « Satchmo » n’hésitait pas à s’attaquer à tout type de musiques, du « blues » le plus pur aux arrangements sirupeux des standards en vogue, aux chansons folkloriques latino-américaines et même à l’opéra si l’on pense à son célèbre « Make the Knife » tiré de l’Opéra de Quat’sous de Kurt WEILL

32. « Make the Knife (Mackie Messer) » – Louis ARMSTRONG and his All-Stars, Milan, 22-12-1955
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp, voc) – Trummy YOUNG (tb) – Edmund HALL (cl) – Billy KYLE (p) – Arvell SHAW (b) – Barrett DEEMS (dm)
Disque : Ph. 429 127 BE – B2 (3’22)

– CAT : Son oeuvre musicale est si considérable qu’il m’est impossible de la cerner entièrement. Aussi je te laisse le soin de la découvrir par toi-même.
Mais avant de conclure cet entretien, je voudrais te parler de l’homme. Certains de ses congénères lui ont reproché de se prêter au jeu de l’oncle Tom, en caricaturant les « Minstrels » et en adoptant, sous l’instigation de ses managers, un exhibitionnisme assez mal venu.
Il fut critiqué lorsqu’il accepta le titre de « Roi des Zulus » pour le Mardi Gras en 1949 et parce qu’il ne prenait pas assez parti pour le mouvement des droits civiques des Noirs. Pourtant, c’était un des principaux défenseurs de Martin Luther KING Jr. Il préférait agir tranquillement en dehors de la scène et ne pas mélanger travail et politique. Lors de l’affaire de Little Rock , en Arkansas en 1957, il critiqua ouvertement le président EISENHOWER en le traitant de « double face » et de « mou » en raison de son inaction dans ce conflit discriminatoire. Il annula sa tournée en URSS, organisée par le Département d’Etat en disant : « Etant donné la façon dont ils traitent mon peuple dans le Sud, le gouvernement peut aller en enfer ».

– BIRD : Oui, bien sûr, ce n’est pas Malcom X, mais sa musique est tout de même un message d’espoir pour tout un peuple et sa carrière est la preuve qu’un afro-américain peut atteindre les plus hauts sommets de la gloire.

– CAT : Le 6 juillet 1971, le milieu du jazz perdit l’un de ses plus grands musiciens. « Satchmo » quitta ce monde à la suite d’une crise cardiaque, la nuit suivant son célèbre show à l’ »Empire Room » du « Waldorf Astoria« . Il avait prit ses dispositions pour qu’après sa mort et celle de son épouse Lucille, une fondation pour l’éducation musicale des enfants défavorisés soit créée et pour que sa maison et des archives substantielles (écrits, livres, enregistrements et souvenirs) soient léguées au « Queens College » de la « City University of New York« . Sa maison, transformée en musée, est accessible depuis le 15 octobre 2003.
Quant à sa discographie, on estime qu’il enregistrera de 1947 à la fin des années 1960 environs 1.500 titres, dont beaucoup sont de pures merveilles. Pour s’en convaincre, il suffit de citer l’album de 4 disques intitulé « Musical Autobiography » qui reprend de nouveaux arrangements de ses œuvres majeures.

33. « St Louis Blues » – Louis Armstrong’s AIl Stars – 7/1954.
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp, voc) – Trummy YOUNG (tb) – Barney BIGARD (cl) – Billy KYLE (p) – Arvell SHAW (b) – Barrett DEEMS (dm) – Velma MIDDLETON (voc).
Disque : Ph. B07796 R – Al (8’39)

– CAT : « Satchmo » a tenu un rôle indéniable dans l’histoire du jazz. Il a ouvert une nouvelle voie pour les musiciens qui le suivent. En effet, compte tenu de l’époque, il a eu en 1925 la témérité des grands jazzmen des années 1940-41 qui lancèrent le style moderne. Ce virtuose de la trompette, au son unique et au talent extraordinaire pour l’improvisation influença bon nombre de trompettistes, comme Jabbo SMITH, improvisateur tonique ; Henry Red ALLEN, le plus proche disciple et le plus avant-gardiste ; Doc CHEATHAM, Bill COLEMAN, Hot Lips PAGE, Jonah JONES et surtout Roy ELDRIDGE, qui a fait la transition entre le « Swing » et le « Be-Bop ».

– BIRD : Cet entretien m’a fait découvrir un homme attachant de qui se dégageait une grande générosité et qui ne mérite pas les critiques qui lui ont été faites. De ce pas, je vais me procurer quelques-uns de ses enregistrements les plus marquants de sa carrière.

– Cat : Finissons en beauté avec « Royal Garden Blues« , lors de son concert au « Concertgebouw » d’Amsterdam, en 1955, morceau tiré de l’album « Ambassador Satch« .

34. « Royal Garden Blues » – Louis ARMSTRONG and his All-Stars, Concertgebouw, Amsterdam, 1955
Pers. : Louis ARMSTRONG (tp, voc) – Trummy YOUNG (tb) – Edmond HALL (cl) – Billy KYLE (p) – Arvell SHAW (b) – Barrett DEEMS (dm)
Disque : Ph. B 07138 L – A1 (5’09)

DISCOGRAPHIE

1) Young Louis ARMSTRONG – Red Onion Jazz Babies
Riverside Jazz Archive RLP 12.101 – 30 cm, 33T

2) Young Louis ARMSTRONG – Red Onion Jazz Babies
Riverside RLP 12-101 – 30 cm, 33T

3) The complete King Oliver’s Creole Jazz Band
MN 30296 – 2CD

4) Louis ARMSTRONG – King Louis
Proper P1469 – 4CD

5) My Good Old Good Ones – Louis ARMSTRONG
Fontana 467.104 TE – 45RPM

6) Louis ARMSTRONG V.S.O.P. Vol. 3/4
CBS 88002.– 30 cm, 33T

7) Jazz Blues – Louis ARMSTRONG
Cedar WIS CD 604 – CD

8) Louis ARMSTRONG and his Orchestra
Philips 429 098 BE – 45RPM

9) Rare Louis ARMSTRONG
Jazz Anthology 30 JA 5116 – 30 cm, 33T

10) Collector’s Classics
Brunswick 87 503 LPBM – 30 cm, 33T

11) Louis ARMSTRONG Gospel 1931 – 1941
Fremeaux & Associés F&A 001 – CD
12) New Orleans Jazz
Decca DL 8283 – 30 cm, 33T

13) Summit Meetings Metronome All Stars / Esquire All Stars
Frémeaux & Associés FA 5050 – 2CD

14) Louis ARMSTRONG – The Immortal Live Sessions 1944/1947
Jazz Anthology 30 JA 5102 – 30 cm, 323T

15) Louis ARMSTRONG – Integral Nice Concert – 1948 – Vol. 1
Jazz Anthology 30 JA 5154 – 30 cm, 33T

16) Louis Armstrong plays W.C. Handy
Philips B 07796 R – 25 cm, 33T

17) Ella & Louis
Verve 825 373-2 – CD

18) Hello Louis !
MCA 257 135-2 – CD

19) Take it, Satch !
Philips 429 127 BE – 45RPM

20) Ambassador Satch
Philips B 07138 L – 30 cm, 33T

BIBLIOGRAPHIE

1. ARMSTRONG L. (1952) – Ma Nouvelle-Orléans Julliard, Paris

2. ARNAUD G., CHESNEL J. (1989) – Les grands créateurs de Jazz, Bordas, Les Compacts.

3. BERENDT J.E. (1963) – Le Jazz des origines à nos jours, Petite bibliothèque Payot No 49, Paris.

4. CARLES P., CLERGEAT A., COMOLLI J.-L. (1988) – Dictionnaire du Jazz, Robert Laffont, Coll. « Bouquins ».

5. Collectif (2006) – Martin Luther King (1929-1968) – L’apôtre de la non-violence, Le Monde et E.J.L., Librio, n° 759.

6. GOFFIN R. (1948) – Nouvelle histoire du jazz – Du Congo au Bebop Ed. « L’Ecran du monde », Bruxelles – « Les Deux Sirènes », Paris

7. HEUVELMANS B. (1951) – De la Bamboula au Be-Bop, Ed. de la main jetée, Paris.

8. MAISON L (1962) – Les maîtres du jazz – Presses universitaires de France – Collection « Que sais-je? » No 548.

9. PANASSIE H. (1959) – Histoire du vrai jazz – R. Laffont, Paris.

10. SANDVED K.B. – version française BERNARD A.-M. (1958) – Le Monde de la Musique, Editions Le Sphinx, Bruxelles.

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10ème Dialogue

CHICAGO SOUTH SIDE


– CAT : La deuxième étape importante de notre histoire du jazz nous amène dans la Cité des Vents – Windy City – c’est-à-dire Chicago.

Chicago, Chicago……………………….Chicago, Chicago

That toddlin town, toddlin town………….Ville sautillante, trottinante

Chicago, Chicago………………………..Chicago, Chicago

l’Il show you around……………………..J’vais vous piloter


1. “Goin’ to Chicago” – Jimmy Rushing’s All Stars – New York City, 01-12-1954
Pers. : Jimmy RUSHING (voc) – Sam PRICE (p) – Pat JENKINS (tp) – Henderson CHAMBERS (tb) – Ben RICHARDSON (sa, cl) – Buddy TATE (st) – Walter PAGE (b) – Jo JONES (dm)
Disque : AVRS 7005-X – B1 (3’08)

– BIRD : Nous y sommes enfin, dans le Nord !

– CAT : Ce fut d’abord les Blancs qui attirèrent l’attention sur la musique syncopée venue de la Nouvelle-Orléans. Ainsi, lorsque, en 1916, le « Stein’s Band from New Orleans« , composé uniquement de musiciens blancs, arrive dans Windy City, le mot « jass », transposé pudiquement en « jazz », y faisait fortune. Sous la direction de Nick LA ROCCA, le groupe devient l’ « Original Dixieland Jass Band » (ODJB) et enregistra le « premier disque de jazz » chez Victor le 26 février 1916 : « Livery Stable Blues – Dixie Jazz Band One Step« .

2. « Livery Stable Blues » – Original Dixieland Jass Band – Chicago – 26-02-1916
Pers. : Nick LA ROCCA (crt) – Eddie EDWARDS (tb) – Larry SHIELDS (cl) – Henry RAGAS (p) – Tony SBARBARO (dm)
Disque : RCA ND 90026 – CD1 – 1 (3’08)

– BIRD : Ce morceau me paraît assez caricatural dans la « collective » avec ses imitations animalières. On y sent une certaine raideur dans le rythme qui semble encore tributaire des marches militaires ou des polkas.

– CAT : Tu as raison, mais il n’est pas certain que les musiciens noirs de cette époque préhistorique aient joué d’une manière tellement différente. C’est après qu’ils se sont démarqués en apportant leur particularisme musical. Actuellement, avec le recul, on reconnaît les qualités de ces ensembles blancs, l’imagination de leurs rythmiciens et l’élégance de leurs « collective », surtout chez les « New Orleans Rhythm Kings« . Ecoute dans ce morceau les variations du cornettiste Paul MARES au sein de la « collective » et le solo du clarinettiste Leon ROPPOLO qui paraissent en avance sur les autres enregistrements de l’époque.

3. « Clarinet Marmelade » – New Orleans Rhythm Kings – Richmond, Indiana, 17-04-1923
Pers.: Paul MARES (crt) – George BRUNIES (tb) – Leon ROPPOLO (cl) – Don Murray (cl, st) – Glenn Scorfile (sa, st) – Jack Pettis (Cm) – Jelly Roll MORTON (p) – Bob GILLETTE (bjo) – Chink MARTIN (bb) – Ben POLLACK (dm)
Disque : Classics 1129 – CD – 20 (2’35)

– BIRD : Oui, effectivement cela paraît assez proche des meilleurs morceaux du « King Oliver’s Creole Jazz Band » entendu la fois passée. Revenons à Chicago ! C’était l’ère des gangsters, à cette époque.

– CAT : Oui, et c’est justement cette atmosphère de tension perpétuelle qui provoquera une cristallisation de la musique de jazz dans le South Side de Chicago.

– BIRD : Le South Side, le coté Sud ?

– CAT : C’est le quartier noir de Chicago. En 1900, sa population de couleur s’élevait à environ 30.000 âmes. A la suite du besoin de main-d’oeuvre pour les abattoirs, les aciéries, les fonderies, les filatures, les usines d’autos, le nombre de gens de couleur quadruple en 25 ans. Leur situation sociale est des plus déplorables, ils sont obligés de s’entasser dans des masures sordides du South Side, situé entre les 12ème et 35ème rues. S’ils veulent échapper à l’atmosphère d’étouffement qui règne dans ce quartier, ils sont refoulés par les citoyens blancs de la ville. De plus, de nombreuses batailles raciales opposent les deux groupes. En 1919, une d’elles fait 38 victimes en 6 jours. Comme partout ailleurs, le « blues », qui prendra la forme du « Chicago Blues », se fait entendre dans ce quartier. Ses meilleurs représentants sont : Gertrude Ma RAINEY, l’ « impératrice du blues » Bessie SMITH, l’harmoniciste Sonny Boy WILLIAMSON et le guitariste Big Bill BROONZY, musiciens que nous avons rencontrés lors de nos entretiens sur ce genre musical. Je te fais écouter Ida COX, chanteuse de « blues » typique de Chicago, accompagnée par le cornettiste Tommy LADNIER. Elle a peut-être moins de puissance que Ma RAINEY ou Bessie SMITH, mais elle a un impact émotionnel certain et une facilité à transmettre l’âme du « blues ».

4. « I’ve Got the Blues for Rampart Street » – Ida COX – Chicago, été 1923
Pers. : Ida COX (voc) – Tommy LADNIER (tp) – Jimmy O’BRIANT (cl) – Lovie AUSTIN (p)
Disque : Riv. RLP 12-113 – A3 (2’48)

– BIRD : On retrouve toute la nostalgie de ce genre musical tellement propre à la communauté afro-américaine.

– CAT : Chaque pâté de maisons possède son boui-boui ou son bistrot, où un pianiste et parfois même de petits ensembles jouent toute la nuit.

5. « Mama stayed out » – Barrelhouse five – Chicago, 1928
Pers : Natty DOMINIQUE (tp) – Jimmy O’BRYANT (cl) Jimmy BLYTHE (p) – Jasper TAYLOR (dm)
Disque : RIV. RLP 12-114 – A3 (3’09)

– CAT : C’est là, qu’un style de piano particulier, fondé sur le « blues », au caractère rythmique obsessionnel, s’affirme : le « boogie-woogie » dont nous avons déjà eu un aperçu.
Rappelle-toi, la main gauche réalise des figures répétitives tandis que la main droite joue librement des phrases mélodiques.

6. « The Fives » – Piano solo – Chicago, 04-05-1939
Pers. : Jimmy YANCEY (p)
Disque : Riv RLP 12-114 – A2 (3’03)

– BIRD : Oui ! Ce genre de musique m’avait déjà emballé la première fois.

– CAT : L’origine de ce style est très difficile à déterminer. On pense qu’il prit naissance dans les bars installés le long des lignes de chemin de fer et qu’il tentait de recréer le rythme des trains qui passaient. De nombreux pianistes, venus s’installer à Chicago vers 1920, créèrent dans le Southside une véritable école. Les meilleurs représentants, à partir de 1928, furent Pine Top’s SMITH, Joshua ALTHEIMER, Montana TAYLOR et les « vedettes » Jimmy YANCEY et plus tard Meade Lux LEWIS et Albert AMMONS.

7. « Five O’Clock Blues » – piano solo – Chicago, 25-10-1939
Pers. : Jimmy YANCEY (p)
Disque : RCA 730.561 – B4 (2:45)

– CAT : En fait, un deuxième événement important qui accéléra la migration des Noirs vers les villes du Nord fut l’entrée en guerre des Etats-Unis, le 2 avril 1917. L’industrie dut fournir un effort de guerre exceptionnel créant des emplois. Les Noirs s’entassaient dans des ghettos à la périphérie de toutes les grandes villes industrielles. Après la guerre, les républicains menés au pouvoir adoptent une politique libérale mais très conservatrice, provoquant un repli de l’aristocratie sur elle-même, et un désintérêt de la condition des classes les moins favorisées.

– BIRD : Je vois, malgré l’abolition de l’esclavage, il existe bien une ségrégation qui a perduré jusque dans les années 1970 et qui se manifeste encore à l’occasion de certains événements, voir le cyclone Katrina sur la Nouvelle-Orléans en 2005.
Dans ce contexte, où places-tu le « King Oliver’s Creole Jazz Band » et les orchestres similaires dont nous avons parlés précédemment ?

– CAT : Patience, nous y arrivons. Lorsqu’en 1920, la prohibition s’étend sur tout le territoire américain, l’ère des bootleggers et des rackets prend naissance. On vit sous le règne de la terreur. Les attaques à main armée et les règlements de compte se multiplient. Les gangsters enrichis par la vente frauduleuse d’alcool frelaté prennent progressivement les pouvoirs. Des bandes organisées, principalement juives, siciliennes ou irlandaises, comme celles de Big Jim COLOSINO, Johnnie TORIO, Dion O’BANION, veulent s’assurer le contrôle d’un secteur de la ville, jusqu’au jour où Al CAPONE, le « Charlemagne du crime » réalise l’unification. Une vie nocturne intense, trépignante s’organise rapidement. Ces gangsters, bourrés d’argent, et qu’une balle peut éliminer à tout moment, doivent vivre deux fois plus vite. Des cabarets, des spectacles éclosent un peu partout à Chicago et dans les environs.
C’est un nouvel Age d’or pour les musiciens. Dans la ville basse joue l’ « Original Dixieland Jazz« , et dans la partie Sud, on peut danser sur la musique de KEPPART, OLIVER, ARMSTRONG, NOONE, DODDS et bien d’autres encore. Restons dans ce South Side cette fois-ci, et laissons la musique d’imitation pour plus tard.

8. « Come on and stomp, stomp, stomp » – Johnny Dodds’ Black Bottom Stompers – Chicago, 8.10.1927
Pers. : George MITCHELL, Natty DOMINIQUE (crt) – John THOMAS (tb) – Johnny DODDS (cl) – Charlie ALEXANDER (p) – Bud SCOTT (bjo) – Babby DODDS (dm)
Disque : Co. 94204 EPC – Al (2’59)

– BIRD : Connais-tu quelques-uns de ces cabarets à spectacles ?

– CAT : Un des lieux de prédilection des artistes, aussi bien blancs que noirs était le « De Luxe Café » qui connut une grande vogue aux environs de 1918. On y rencontrait le danseur Bill ROBINSON, l’acteur Bennie DAVIS, Joe FRISCO, Al JOHNSON, Sophie TUCKER, enfin tous les professionnels des planches. L’orchestre qui animait cet endroit était l’ « Original New Orleans Creole Jazz Band » dirigé par le clarinettiste Lawrence DUWEY. Cet ensemble ouvrit la voie aux autres musiciens de la Nouvelle-Orléans, dans la Cité des Vents. Il comprenait Sugar JOHNNIE et Freddie KEPPART au cornet, Roy PALMER au trombone, Sidney BECHET à la clarinette et au saxo soprano, Lil HARDIN au piano, Tubby HALL à la batterie, Jimmy PALAO au violon, Bob FRANK au piccolo et Wellman BRAUD à la contrebasse.

9. « Wild Man Stomp » – Chicago Stompers – Chicago, 25/4/1929
Pers.: Roy PALMER (tb) – Jimmy BLYTHE (p) – inconnus (s, cl, kazoo, bjo, wbd)
Disque : Co. 94208 EPC – Bl (2’46)

– CAT : Vient ensuite King OLIVER qui joua comme tu sais.

– BIRD: …au « Royal Garden Café » avec Bill JOHNSON, ou au « Dreamland » avec ce même Lawrence DUWEY de 1918 à 1920. Ensuite on le trouve à la tête de son « Creole Jazz Band » au « Lincoln Garden« , ex « Royal Garden Café » – de 1922 à 1924.

10. « Snake Rag » – King Oliver’s Creole jazz Band – Chicago, juin 1923
Pers.: King OLIVER, Louis ARMSTRONG (crt) – Honore DUTRAY (tb) – Johnny DODDS (cl) – Lil HARDIN (p) Bill JOHNSON (bjo) – Baby DODDS (dm
Disque : MM 30295 PM 527 – CD1 – 10 (3’18)

– CAT : Bravo, tu m’épates. Afin de concurrencer les clubs new-yorkais, les patrons des clubs de Chicago se mirent en frais et les orchestres d’origine néo-orléanaise durent brider leur exubérance et étoffer leurs effectifs. Ces nouveaux musiciens se plièrent à la discipline du vaudeville sous la baguette des musiciens locaux comme Dave PEYTON, notable de la scène noire locale, ou Carroll DICKERSON, chef du grand orchestre du « Savoy« . Le « Cook Dreamland Orchestra » de Charles « Doc » COOK était considéré comme le meilleur ensemble de Chicago, mis à part celui du « King » de 1920 à 1927. Il vit passer dans ses rangs un certain nombre de musiciens de premier plan tels que le trompette Freddie KEPPART, le clarinettiste Jimmie NOONE, le banjoïste John St CYR, le saxophoniste alto Joe POSTON et le batteur Andrew HILAIRE. Malheureusement les enregistrements de cet orchestre ne donnent pas une juste idée de son style et de sa valeur.

11. « High Fever » – Charles « Doc » Cook’s Dreamland Orchestra – Chicago, 10/7/1926
Pers. : Freddie KEPPARD, Elwood GRAHAM (crt) William DAWSON (tb) – Jimmy NOONE (cl) – Joe POSTON, Clifford KING (cI, sa) – Billy BUTLER, Jerome PASQUALL (st) – Sterling TODD (p) – John St CYR (bjo) William NEWTON (tuba) – Andrew HILAIRE (dm) – Doc COOK (leader, arr)
Disque : Ph. 13652 A-JL – A4 (2’49)

– BIRD : Pourtant cela me semble plus élaboré comme musique. On sent que le leader a dû apprendre la musique.

– CAT : Oui c’est ce qui lui valu le titre de « Doc ». Il y avait également l’orchestre du « Vendome Theater » dirigé par le banjoïste Erskine TATE et celui du pianiste Luis RUSSELL, un transfuge de la Nouvelle-Orléans, qui terminera sa carrière à Harlem en jouant un rôle important dans l’épopée du « swing ».

12. « Chinaman Blues » – Erskine Tate’s Vendome Orchestra – Chicago, 23-06-1923
Pers. : Freddie KEPPARD, James TATE (crt) – Fayette WILLIAMS (tb) – Alvin FERNANDEZ (cl) – Buster BAILEY (cl, sa) – Norval MORTON (st) – Adrian ROBINSON (p) – Erskine TATE (bjo) – James BERTRAND (dm)
Disque : Ph. 13652 A-JL – A7 (3’20)

– CAT : Maintenant tu entendras Luis RUSSELL en petite formation avec des musiciens de l’orchestre de King OLIVER.

13. « 29th and Dearborn » – Luis Russel’s Hot Six – Chicago, 10-03-1926
Pers. : George MITCHELL (crt) – Kid ORY (tb) – Albert NICHOLAS (cl, sa) – Barney BIGARD (st) – Luis RUSSELL (p) – Jonhnny St. CYR (bjo) – Richard M. JONES (dm)
Disque : Co 94212 EPC – B2 (2’52)

– CAT : De 1925 à 1927, King OLIVER qui s’était renouvelé en créant les « Dixie Syncopators » jouait au « Plantation Café« . Jimmie NOONE, le clarinettiste au jeu émouvant, organise son propre orchestre qui débute à l’ « Apex Club« , en 1927 sous le nom de « Jimmie Noone’s Apex Club Orchestra« . On y trouvait en plus du leader, Joe POSTON au saxo alto, Walter JOHNSON au piano, Bud SCOTT au banjo, Ollie POWERS aux drums et plus tard le grand pianiste Earl HINES.

14. « King Joe » – Jimmie Noone’s Apex Club Orchestra – Chicago, 25/05/1928
Pers.: Jimmie NOONE (cl) – Joe POSTON (as) – Earl HINES (p) – Bud SCOTT (bjo) – Lawson BUFORD (b) Johnny WELLS (dm)
Disque : Co 13 94213 EPC – B2 (3’09)

– BIRD : Oui, nous l’avions comparé à Johnny DODDS la dernière fois. On retrouve sa sonorité ronde, volumineuse, d’une incomparable pureté.

– CAT : Son vibrato, précis et incisif, donne à son jeu un accent très émouvant. Voici d’ailleurs à propos de ce musicien une petite anecdote, racontée par un autre musicien: Mezz MEZZROW.
« […] alors que Jimmie jouait à l’Apex Club, de distingués visiteurs entrèrent pour l’écouter. Les gars de l’orchestre Symphonique de Chicago avaient entendu dire que le clarinettiste de l’ « Apex » en faisait plus que la loi ne le permet sur son instrument et le célèbre compositeur Maurice RAVEL de passage en ville et invité à diriger la symphonie, s’amena un soir au club avec le premier clarinette de cette équipe de barbus. Au premier riff que joua Jimmie, sa bouche s’ouvrit toute grande et ne se referma pas de la nuit; quant au premier clarinette, il se demandait s’il devait en croire ses oreilles. – Stupéfiant, disait RAVEL à son copain; à quoi l’autre répondait: « Incroyable » et jusqu’à la fermeture de la boite, ils se renvoyèrent comme au ping-pong leurs exclamations incrédules. RAVEL passa des heures à écrire les riffs tel que Jimmie les jouait, et le clarinettiste jura ses grands dieux qu’il ne comprenait pas comment il pouvait obtenir de tels effets sur son instrument. »

– BIRD: Encore une preuve à opposer aux intransigeants de la grande musique.

15. “It’s tight like that » – Jimmie Noone’s Apex Club Orchestra – Chicago, 27/12/1928
Pers. : George MITCHELL (crt) – Jimmie NOONE (cI) Joe POSTON (as) – Alex HILL (p) – Junie COBB (bjo) Bill NEWTON (b) – Johnny WELLS (dm) – NOONE + POSTON (voc)
Disque : Co.13 94213 EPC – A1 (2’47)

– CAT : Je voudrais encore te donner un autre témoignage, de Louis ARMSTRONG cette fois. Dans le fond ce sont ces musiciens qui ont écrit l’histoire du jazz, donc à eux la parole.
« Chicago chauffait vraiment à cette époque (1923). Le Dreamland était en plein « boom ». Le Lincoln Gardens, évidemment marchait encore. Le Plantation était une autre boite « hot ». Mais le Sunset, la boite où je travaillais, était la plus chic de toutes, vous pouvez me croire. Il y avait aussi des tas de cabarets « after hours » avec une sacrée ambiance. Et puis il y avait l’Apex où Jimmie NOONE et le grand pianiste HINES commençaient à jouer tous les merveilleux trucs qu’on entend encore aujourd’hui. C’était là, à l’Apex, qu’ils faisaient l’histoire du jazz. »

16. « My Daddy Rocks me » – Jimmie Noone’s Apex Club Orchestra – Chicago, 24-06-1929
Pers.: Jimmie NOONE (cl) – Joe POSTON (as) – Zinky COHN (p) – Wilbur GORHAM (g) – Johnny WELLS (dm) May ALIX (voc) – tb + c ?
Disque : Co.13 94213 EPC – A2 (3’00)

– BIRD : Il est regrettable que nous ne connaissions pas une ambiance pareille. Cela doit être exaltant. Cependant que veux dire ARMSTRONG par cabarets « after hour« .
– CAT : Leur travail terminé, au lieu de rentrer sagement se coucher, les musiciens se précipitaient dans de petits cabarets où jouait un petit ensemble, parfois même uniquement un pianiste. Là, une « jam session » s’organisait. Les musiciens improvisaient longuement sur quelques morceaux. On y entendait du jazz d’une qualité supérieure car les musiciens jouaient pour leur plaisir, et parce que le public était plus compréhensif, plus enthousiaste qu’ailleurs et créait une ambiance favorable à l’éclosion de l’inspiration. Des tournois entre plusieurs trompettistes, plusieurs clarinettistes ou plusieurs pianistes avaient lieu, chacun s’efforçant de swinguer au maximum. Ces concerts impromptus étaient connus sous le nom de « cutting-contest« .

17. « Sam » – Johnny DODDS en trio – 21/4/1927
Pers. : Johnny DODDS (cI) – Lil ARMSTRONG (p) – Bud SCOTT (g)
Disque : Co. 3 94203 EPC – B1 (3’05)

– BIRD : Lorsque nous étions encore à la Nouvelle-Orléans, tu m’as parlé de Jelly Roll MORTON en disant que nous le retrouverions ici à Chicago. Qu’est-il devenu ?

– CAT : En 1926 nous retrouvons ce cher vieux Jelly Roll à la tête d’un petit orchestre de studio, les « Red Hot Peppers » dont la composition changea souvent jusqu’en 1930. La musique de cet ensemble est formée d’un mélange d’improvisations libres et de passages arrangés qui annoncent le style postérieur des grands ensembles de jazz.

18. « Grandpa’s Spells » – The Red Hot Peppers – 16/12/1926
Pers.: George MITCHELL (tp) – Kid ORY (tb) – Orner SIMEON (cl) – Jelly Roll MORTON (p) – John St CYR (g) – John LINDSAY (b) – André HILAIRE (dm)
Disque : RCA 130.244 – B1 (2’56)

– CAT : MORTON enregistra également en trio piano – clarinette – batterie, formule qui fera fortune au cours des années 1935 à 1940. On trouve MORTON au piano, Johnny DODDS à la clarinette et Baby DODDS à la batterie.

19. « Wolverine Blues » – Jelly Roll Morton trio – Chicago, 10-06-1927
Pers.: Jelly Roll MORTON (p) – Barney BIGARD (cl) Zutty SINGLETON (dm)
Disque : RCA 430 269 S – B3 (3’19)

– CAT : Avant de nous saouler de musique écoute encore un témoignage de Mezz MEZZROW sur la fin de la période classique au jazz ancien.
« C’est en 1927-28 que, pour la dernière fois, nous nous sommes régalé les oreilles avec du vrai jazz de Storyville; c’était déjà le bout de la queue de l’âge d’or de la Nouvelle-Orléans et à peu près la dernière occasion que les musiciens « hot », encore possédés par l’ambiance du Basin Street du bon vieux temps et des sarabandes frénétiques de Storyville, auraient de s’exprimer avec quelque liberté dans des improvisations collectives inspirées. Storyville entrait à grands pas dans le Livre d’Histoire des musiciens de jazz, devenait un conte de fées de plus. « Tin-Pan AIley » (Broadway) serait désormais la branche maîtresse du jazz, et Basin Street une impasse menant tout droit à l’asile des pauvres. Des grands musiciens de jazz nés dans le Delta, une poignée seulement en dehors des Jimmie NOONE, Sidney BECHET, Zutty SINGLETON, Louis ARMSTRONG, King OLIVER, Tubby HALL, Baby DODDS, Johnny St. CYR et consort, continuait à fonctionner du côté de Chicago, et encore ne jouaient-ils pas tous dans ce style si libre des petites formations. La Cité des Vents se vidait de son souffle. En peu de temps, les pionniers disparurent de la circulation. La mode des grands orchestres s’installait. »

20. « Wild Man Blues » The Red Hot Peppers – 4/6/1927
Pers.: George MITCHELL (tp) – George BRYANT (tb) – Johnny DODDS (cl) – Stomp EVANS (as) – Jelly Roll MORTON (p) – Bud SCOTT (g) – Quinn WILSON (tuba) – Baby DODDS (dm)
Disque : RCA 430 269 S – A3 (3’08)

– BIRD : Tout cela c’est bien ! Mais le style Chicago ! Car ce que nous avons rencontré aujourd’hui c’est du « New Orleans » évolué.

– CAT : Nous n’en avons pas fini avec la « Cité des Vents ». Effectivement le style Chicago a été créé par une bande de jeunes musiciens blancs épris de jazz qui ont essayé de perpétuer le style authentique. Ce sont les « Chicagoans ». Mais avant de les suivre, il faut que je te présente un grand bonhomme qui marqua toute la musique de jazz par son génie et son charisme : Louis ARMSTRONG. Ce sera pour la prochaine fois. Puis nous découvrirons un autre style blanc qui émane directement de la Nouvelle-Orléans : le « Dixieland ».
Je termine notre entretien par un ensemble qui se manifestait à Chicago vers la fin des années 1920 et qui annonce les « big bands » de l’ère du « swing » : le « McKinney’s Cotton Pickers » de Don REDMAN.

21. « Put It There » – McKinney’s Cotton Pickers – Chicago, 11/7/1928
Pers.: John NESBITT, Langston CURL (tp) – Claude JONES (tb) – Don REDMAN (cl, sa, arr) – Milton SENIOR (cl, sa) – George THOMAS (cl, st) – Prince ROBINSON (cl, st) – Todd RHODES (p) – Dave WILBORN (bjo) – Ralph ESCUDERO (b) – Cuba AUSTIN (dm)
Disque : RCA 741080 -.A2 (2’33)


DISCOGRAPHIE

1) Jimmy RUSHING sings the Blues
Vanguars Jazz Showcase Amadeo AVRS 7005-X – 25 cm, 33T

2) The Complete Original Dixieland Jazz Band
RCA Jazz Tribune N° 70 – 2CD

3) The Chronogical – New Orleans Rhythm Kings 1922-1923
Classics 1129 – CD

4) The Riverside History of Classic Jazz – Vol. 3 & 4: The Blues / New Orleans Style
Riverside Jazz Archives Series RLP 12-113 – 30 cm, 33T

5) The Riverside History of Classic Jazz – Vol. 5 & 6 : Boogie Woogie / South Side Chicago
Riverside Jazz Archives Series RLP 12-114 – 30 cm, 33T

6) Albert AMMONS, Pete JOHNSON, Jimmy YANCEY “Boogie Woogie Man”
RCA Victor « Black & White » Vol. 5 730.561 – 30 cm, 33T

7) Pioneers of jazz 4 – Johnny Dodds’ Black Bottom Stompers
Coral 94 204 EPC – 45RPM

8) Pioneers of jazz 8 – Clarence WILLIAMS – Juimmy BLYTHE 1927/1929
Coral 94 208 EPC – 45RPM

9) The Complete King Oliver’s Creole Jazz Band
MM 30295 PM 527 2CD

10) Classic Jazz masters – Doc COOK featuring Freddy KEPPARD 1923-1928
Philips 13652 A-JLK – 30 cm, 33T

11) Pioneers of jazz 12 – Jelly Roll Morton’s Levee Serenaders 1928 – Luis Russell’s Hot Six 1926
Coral 94 212 EPC – 45RPM

12) Pioneers of jazz 13 – Jimmy NOONE 1928/1929
Coral 94 213 EPC – 45RPM

13) Pioneers of jazz 3 – Johnny DODDS 1927
Coral 94 203 EPC – 45RPM

14) Jungle Blues – Jelly Roll MORTON – “Jazz Classics” N° 20
RCA 130 244 – 25 cm, 33T

15) Jelly Roll MORTON – Vol. 2
RCA 430 269 S – 30 cm, 33T

16) McKinney’s Cotton Pickers – Vol. 1 (1928)
RCA Victor “Black & White” Vol. 81 – 30 cm, 33T

BIBLIOGRAPHIE

1. CARLES P., CLERGEAT A., COMOLLI J.-L. (1988) – Dictionnaire du Jazz, Robert Laffont – « Bouquins », Paris.

2. DRIGGS F. (1977) – Sweet and Low Blues – Big Bands and Territory Bands of the 20s, Recorded Anthology of American Music, Inc

3. LONGSTREET S., DAUER A.M. (adaptation française BUREAU J.) (1958) – Encyclopédie du Jazz, Editions Aimery Somogy, Paris.

4. MEZZROW M., WOLFE B. (1957) – La rage de vivre, Buchet / Chastel – Corréa, Paris.

5. SHAPIRO N., HENTOFF N. (1956) – Ecoutez-moi ça ! – L’Histoire du Jazz racontée par ceux qui l’ont faite, Buchet / Chastel – Corréa, Paris

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9ème dialogue

 KING OLIVER

–      Cat : La fois passée, nous avons fait la connaissance de quelques-uns des « brass bands » qui animaient les beaux jours de la Nouvelle-Orléans, notamment le « Young Tuxedo Brass Band » de « Papa » Celestin. La musique qu’ils interprétaient résonnait comme une fanfare. En fait, un nouveau style était en train de s’instaurer. Les trombones ponctuaient les mélodies que les trompettistes reproduisaient d’oreille, tandis que les clarinettes brodaient dans l’aigu. Le soutien rythmique était assuré par le banjo, le tambour, la grosse caisse et les cymbales et éventuellement un tuba. Pour rappel, écoutons encore un de ces ensembles, celui de Louis Dumaine.

                              1. « To-Wa-Bac-A-Wa » – Louis Dumaine’s Jazzola Eight – New Orleans, 5-03-1927

                                   Pers. : Louis Dumaine (tp) – Willie Joseph (cl) – Earl Humphrey (tb) – Lewis James (st) – Morris Rouse (p) – Leonard Mitchell (bjo) – Joe Howard (tuba) – James Willigan (dm)

                                  Disque : Flw. F-RBF203 – CD1 – 9 (3’06)

–      Bird : Oui, c’est un peu confus et cela manque de rigueur. Le rythme est marqué d’une manière par trop mécanique.

–      Cat : Mais dans les années suivantes, cet art s’affine et l’on peut entendre à la Nouvelle-Orléans comme à New York et surtout à Chicago un jazz déjà de qualité. Les enregistrements de King Oliver, parus en 1923 constituent les premiers témoignages de ce que fut le jazz vers la fin de sa période primitive.

                              2. « Riverside Blues » – King Oliver’s Creole Jazz Band – Chicago, mars 1923 (Paramount 1624)

                                   Pers.: Joe « King » Oliver, Louis Armstrong (crt) Honoré Dutray (tb) – Johnny Dodds (cl) – Lil Hardin (p) – Bill Johnson (bjo) – Babby Dodds (dm)

                                   Disque : Riv. RLP 12-122 – B5 (2’45)

–      Bird : J’espère que nous nous étendrons un peu plus longuement sur la vie de ce « King » dont tu as déjà parlé à plusieurs reprises.

–      Cat : Oui, ien sûr. Mais avant, arrêtons-nous quelques instants sur ces divers enregistrements que nous avons entendus tout au long de nos derniers entretiens et plus particulièrement sur celui traitant du « ragtime« . Les plus vieux remontent au début de la première guerre mondiale et ont été généralement faits à New York. On y entend surtout des orchestres blancs. La génération suivante date des années 1920 et on commence à y entendre des ensembles de musiciens de couleur.

–      Bird : Maintenant que tu le dis, c’est vrai, je n’avais pas relevé la chose. Pourquoi cet état ?

–      Cat : Avant 1920, il n’y a pas d’enregistrements permettant une comparaison entre les orchestres blancs et noirs. Le disque est un produit cher et la communauté noire n’est pas une clientèle intéressante. Les studios d’enregistrement se concentrent à New York et leur production se limite à la musique syncopée new-yorkaise. Durant l’été 1922, la firme Sunshine se déplace et enregistre Kid Ory[1] et son orchestre sur place, à la Nouvelle-Orléans. Gennett suit et installe un studio de fortune à Richmond, tandis que Paramount s’implante à Chicago. Ensuite se seront les firmes Columbia, Victor, Okeh et Brunswick qui envoient des équipes volantes puis installent des studios jusqu’à la Nouvelle-Orléans.

                                3. « Gate Mouth » – Kid Ory and his New Orleans Wanderers – Chicago, 13-7-1926

                                       Pers. : George Mitchell (crt) – Kid Ory (tb) – Johnny Dodds (cl) – probablement Stomp Evans (sa) – Lil Armstrong (p) – Johnny Scott (bjo) – Baby Dodds (dm)

                                      Disque : Ph. P 07.872 R – A1 (2’53)

–      Bird : Comme à l’accoutumée la société afro-américaine passe en deuxième place.

–      CAT : Revenons à notre héros du jour. Voici rapidement sa fiche signalétique. Nom : Oliver  Prénom : Joseph – Date et lieu de naissance incertaines, on retient le 11 mai 1885 à la Nouvelle-Orléans – Décédé des suites d’une hémorragie cérébrale à Savannah en Géorgie, le 8 avril 1938, dans la misère et l’oubli.

Après s’être essayé au trombone, le jeune Joseph adopte le cornet. Au début, il  manifeste peu d’enthousiasme et de dons pour cet instrument. Il y prend goût petit à petit et débute dans la formation d’un certain Walter Kinchin. Il joue de 1900 à 1911 dans le « Melrose Brass Band« , l' »Eagle Band« , puis dans l’ « Onward Brass Band » de Manuel Perez. De 1911 à 1914, il dirige son premier petit ensemble, le « Magnolia Band« ; c’est à cette époque qu’on lui décerne le titre de « Roi du Cornet » : il devient et restera « King Oliver ». En 1913, il remplace Freddie Keppart dans l’ « Olympia Band » dont il devient le chef jusqu’à la dissolution de l’orchestre en 1916. En même temps, il joue de 1915 à 1917 dans l’ensemble de Kid Ory. En 1918, il part pour Chicago, où plusieurs musiciens de la Nouvelle-Orléans ont déjà émigré. Précédé par sa réputation, Oliver est, à son arrivée, convoqué par deux chefs d’orchestre. Il accepte leur offre, et joue tantôt avec Bill Johnson au « Royal Garden Cafe« , tantôt avec Lawrence Dewey au « Dreamland » de 1918 à 1920. Il s’impose dans la capitale de l’Illinois, comme il s’était imposé dans celle de la Louisiane, et bientôt il crée son propre ensemble : c’est le célèbre « Original Creole Jazz Band » dont nous trouvons encore des enregistrements à l’heure actuelle.

–      Bird : Tu en possèdes au moins !

–      Cat : Et comment. Tout fervent amateur de jazz doit posséder au moins un disque de ce groupe, car sa musique établit le pont entre le style primitif et le style « New-Orleans » évolué. En fait, c’est parce que Joe Oliver s’est démarqué des autres musiciens de la Nouvelle-Orléans que cette évolution a pu se faire.

–      Bird : Qu’est ce qui fait la différence entre le style primitif et le style évolué du « New-Orleans » ?

–      Cat : Progressivement, surtout lorsque les musiciens montent à Chicago, on assiste à un abandon des syncopes raides héritées du « ragtime« , ainsi que celui du répertoire des fanfares. Le phrasé musical gagne en souplesse, la thématique devient plus sophistiquée et la pratique de l’arrangement se développe (Jelly-Roll Morton en est l’initiateur). Des solistes confirmés s’imposent, surtout avec l’arrivée de Louis Armstrong, et l’improvisation individuelle se dégage de l’improvisation collective.

                               4. « Alligator Hop » – King Oliver’s Creole Jazz Band – Richmond (Indiana), 5/10/1923 (Gennett 11633)

                                      Pers.: Joe (King) Oliver, Louis Armstrong (cnt) Honore Dutray (tb) – Johnny Dodds (el) – Stomp Evans (as) – Lil Hardin (p) – Bill Johnson (bj) – Babby Dodds (dm).

                                      Disque : Riv. RPL 12-101 – A1 (2’19)

–      Bird : Quelle est la composition du « Creole Jazz Band » ?

–      Cat : C’est avec cet ensemble que Oliver entreprend sa première tournée qui le mènera à San Francisco et à Los Angeles. En 1922, l’orchestre revient à Chicago, au « Lincoln Café » – ex « Royal Garden Café » – où Louis Armstrong vient le rejoindre. L’ensemble comprend à cette époque: « King » Oliver et Louis Armstrong au cornet, Johnny Dodds à la clarinette, Honore Dutray au trombone, Lilian Hardin au piano, Bill Johnson à la contrebasse et Baby Dodds aux drums. Les premiers enregistrements sortent chez « Paramount« et « Gennet » en 1923. Dans certaines plages, en plus de l’effectif normal, on trouve Bud Scott ou John St Cyr au banjo, parfois Jimmie Noone à la clarinette, Charlie Johnson au sax basse et Stomp Evans au sax alto. Voici un deuxième morceau de cet ensemble pour rester dans l’ambiance.

                              5. « Krooked Blues » – King Oliver’s Creole Jazz Band – Richmond (Indiana), 5/10/1923.(Gennett 11638)

                                     Pers.: Joe (King) Oliver, Louis Armstrong (crt) Honore Dutray (tb) – Johnny Dodds (el) – Stomp Evans (as) – Lil Hardin Armstrong (p) – Bill Johnson (bjo) – Babby Dodds (dm).

                                     Disque : Riv. RPL 12-101 – A2 (2’50)

–      Cat : C’étaient « Alligator Hop » et « Krooked Blues » enregistrés le 5 octobre 1923 à Richmond dans les studios Gennet. Si tu as bien écouté, tu as dû te rendre compte qu’il n’y a pas de grosse caisse ni de caisse claire, pas plus que de contrebasse. C’était une exigence de l’ingénieur du son qui avait peur d’une saturation de la batterie et à l’époque on préférait le tuba ou le saxo basse à la contrebasse. En effet, les enregistrements du « King Oliver’s Creole Jazz Band » ont été effectués dans des conditions pour le moins primitives : on rassemblait les musiciens dans une pièce dont un des murs avait la forme d’un entonnoir au bout duquel se trouvait un diaphragme auquel était accouplé un stylet qui gravait ses vibrations sur un disque en mouvement. – Cela signifiait qu’il n’était pas question de laisser une batterie entrer dans cette pièce. – C’est la raison pour laquelle « Baby » Dodds a dû se contenter de marquer le rythme sur des blocs. Quant à Armstrong, on le reléguait tout au fond, lui demandant de ne pas jouer trop fort.

–      Bird : Oui, évidemment, ce genre d’enregistrement acoustique explique que la gravure ne soit pas meilleure. Ce n’est que dans les années 1950 qu’apparaîtra l’enregistrement sur bande magnétique.

–      Cat : En effet, l’enregistrement acoustique rend difficilement perceptible bon nombre de détails, notamment le jeu des basses, ainsi que la clarté des timbres. Il n’est pas aisé de juger de l’équilibre de la section rythmique, de la sonorité et de l’homogénéité de l’ensemble. Mais soyons contents de posséder de tels documents sonores.

La plupart des morceaux joués par le « Creole Jazz Band » sont des « blues » ou des dérivés de « blues » tirés du folklore du Texas et de la Louisiane, des « ragtimes« . Parfois apparaissent des survivances des marches de la Nouvelle-Orléans comme dans « Just Gone« . Ecoute encore ces deux interprétations : « Just Gone » et « Canal Street Blues » que nous avions entendu la dernière fois joué par Red Allen et son orchestre.

                               6. « Just Gone » – King Oliver’s Creole Jazz Band – Richmond (Indiana), 6/4/1923 (Gennett 11383)

                                   Pers. : King Oliver, Louis Armstrong (crt) – Honore Dutrey (tb) – Johnny Dodds (cl) – Lil Hardin (p) – Bill Johnson (bjo) – Babby Dodds (dm).

                                  Disque : Riv. RLP 12-122 – A2 (2’38)

                              7. « Canal Street Blues« , idem que le précédent (Gennett 11384)

                                    Disque : Riv. RLP 12-122 – A3 (2’33)

–      Cat : Ce « Canal Street Blues » nous montre l’art de l’improvisation collective à son apogée et de plus c’est un exemple typique de ce que l’on nomme le « two-beat« . C’est un des rares tempi de qualité exécuté par la section rythmique du Creole Jazz Band.

–      Bird : Qu’entend-on par « two-beat » ?

–      Cat : Le « beat » est le battement fondamental, la pulsation. Dans le jazz, le « beat » est maintenu comme facteur central de l’élément rythmique, il est d’ailleurs confié au groupe rythmique. Dans la musique noire originelle, le battement régulier des quatre temps du mètre fondamental est traditionnel et c’est pourquoi on l’appelle « four-beat« . Par contre le « two-beat« – rythme à deux temps – est un 4/4 inégal. Le traitement des temps pairs diffère essentiellement de celui des temps impairs. Rappelle-toi la manière d’accentuation des temps qui génère le « swing » : les temps forts sont accentués en longueur, les temps faibles en puissance. La grosse caisse, la main gauche du piano, ainsi que le tuba ou la contrebasse accentuent les temps forts, tandis que la cymbale ou la caisse claire, la main droite du piano et le banjo accentuent les temps faibles. Il est donc permit de dire qu’il s’agit d’une mesure à deux temps.

                              8. « Weather Bird Rag » – King Oliver’s Creole Jazz Band – Richmond (Indiana), 6/4/1923 (Gennett 5132)

                                    Pers. : King Oliver, Louis Armstrong (crt) – Honore Dutrey (tb) – Johnny Dodds (cl) – Lil Hardin (p) – Bill Johnson (bjo) – Babby Dodds (dm).

                                    Disque : Riv. RLP 12-122 – A5(2’39)

–      Bird : On dit toujours que le jazz est caractérisé par les improvisations des musiciens. Est-ce le cas pour le « Creole Jazz Band » ?

–      Cat: La musique du « Creole Jazz Band » conserve une grande partie des caractéristiques de l’ancienne manière de jouer et se déroule selon un contrepoint, on le double à la tierce supérieure ou inférieure. Seule la  clarinette improvise son contrepoint qui est souvent identique à lui-même d’un chorus à l’autre, alors que le trombone se borne à jouer les basses et à accentuer les interprétations de larges glissandi. Des « breaks » sont prévus de loin en loin afin d’aérer un morceau qui paraîtrait trop touffu. Quelques-uns de ces « breaks » sont remarquables, notamment ceux exécutés par les cornets en tierce dans « Weather Bird » que l’on vient d’entendre et « Buddy’s Habits« .

                              9. « Buddy’s Habits » – King Oliver’s Jazz Band – Chicago, 25/10/1923 (Okeh 40000)

                                     Pers. : King Oliver, Louis Armstrong (crt) – Honore Dutrey (tb) – Johnny Dodds (cl) – Charlie Jackson (bs, bb) – Lil Hardin (p) – Johnny St. Cyr (bjo) – Babby Dodds (dm)

                                     Disque : Classics 639 – CD – 1 (3’02)

–      Bird : Encore un terme technique que je te demande de m’expliquer.

–      Cat : Avec plaisir. Le « break« , signifiant pause, interruption, est un ensemble de phrases solos confiées à un instrument ou un chanteur alors que le reste de l’orchestre cesse de jouer. Par sa structure mélodique et rythmique il supprime momentanément le « beat » qu’il remplace par des modifications rythmiques dénaturant le rythme fondamental.

« London Café Blues » offre un bon exemple d’interlude en forme de « break » c’est-à-dire d’un changement de régime rythmique entre deux fragments de styles différents.

                             10. « London Café Blues« – King Oliver’s Creole Jazz Band – Chicago, 16/10/1923 (Columbia 14003)

                                      Pers. : King Oliver, Louis Armstrong (crt) – Eddie Atkins (tb) – Jimmie Noone (cl) – Lil Hardin (p) – Johnny St. Cyr (bjo) – Babby Dodds (dm)

                                     Disque : – MM PM 527 CD2 – 6 (2’42)

–        Cat : Une des caractéristiques orléanaises de l’orchestre de Oliver est la reprise en force après l’intervention d’un soliste, par exemple dans « Canal Street Blues » et « Dippermouth« . Cependant dans l’ensemble, la polyphonie olivérienne reste sommaire. La principale qualité de cette musique un peu rude est sa puissance de choc.

Ici dans « Dipper Mouth Blues » Oliver passe le relais à Armstrong pour entraîner la « collective« , car il se prépare pour son chorus « bouché », dans lequel il est remarquable et qui consiste en trois variations rythmiques autour de la fondamentale et de la « blue note » du troisième degré. Il a une sonorité chaude, mate. Ce « Dippermouth » met son vibrato serré, accusé en valeur.

                             11. « Dipper Mouth Blues » – King Oliver’s Creole Jazz Band – Richmond (Indiana), 6/4/1923 (Gennett 13889)

                                    Pers. : King Oliver, Louis Armstrong (crt) – Honore Dutrey (tb) – Johnny Dodds (cl) – Lil Hardin (p) – Bill Johnson (bjo) – Babby Dodds (dm).

                                    Disque : Riv. RLP 12-122 – A6 (2’32)

–        Bird : Puisque tu étudies d’une manière assez complète les oeuvres du « Creole Jazz Band« , parle-moi des divers solistes que l’on y entend.

–      Cat : C’est dans cet orchestre que l’on a commencé à jouer des solos, premier signe d’individualisme dans le jazz. Ils ne sont pas toujours d’un goût très sûr, Louis Armstrong mis à part, mais ils valent par leur force expressive et leur vitalité débordante. Deux faces permettent d’entendre Armstrong, ce sont « Chimes Blues » et « Tears« .

                               12. « Chimes Blues«  King Oliver’s Creole Jazz Band – Richmond (Indiana), 5/4/1923 (Gennett 5135)

                                      Pers. : King Oliver, Louis Armstrong (crt) – Honore Dutrey (tb) – Johnny Dodds (cl) – Lil Hardin (p) – probablement Arthur « Bud » Scott (bjo) – Babby Dodds (dm).

                                      Disque : MM PM 527 – CD1 – 5 (2’49)

                                13. « Tears«  King Oliver’s Creole Jazz Band – Chicago, 25/10/1923 (Okeh 40000)

                                      Pers. : King Oliver, Louis Armstrong (crt) – Honore Dutrey (tb) – Johnny Dodds (cl) – Charlie Jackson (bs, bb) – Lil Hardin (p) – Johnny St. Cyr (bjo) – Babby Dodds (dm).

                                     Disque : Classics 639 – CD – 2 (3’09)

–      Bird : On sent déjà poindre le soliste de renom qu’il deviendra.

–      Cat : Johnny Dodds se montre un musicien digne d’intérêt dans « Mandy Lee » et « Canal Street Blues« .

                          14. « Mandy Lee Blues«  King Oliver’s Creole Jazz Band – Richmond (Indiana), 5/4/1923 (Gennett 5134)

                                  Pers. : King Oliver, Louis Armstrong (crt) – Honore Dutrey (tb) – Johnny Dodds (cl) – Lil Hardin (p) – probablement Arthur « Bud » Scott (bjo) – Babby Dodds (dm).

                                  Disque : MM PM 527 – CD1 – 3 (2’10)

–      Cat : On peut entendre Jimmie Noone dans « Camp Meeting Blues » et « London Café Blues« , il joue avec une grande douceur et une grande sensibilité.

                          15. « Camp Meeting Blues« – King Oliver’s Creole Jazz Band – Chicago, 16/10/1923 (Columbia 13003)

                                  Pers. : King Oliver, Louis Armstrong (crt) – Eddie Atkins (tb) – Jimmie Noone (cl) – Lil Hardin (p) – Johnny St. Cyr (bjo) – Babby Dodds (dm)

                                  Disque : – MM PM 527 CD2 – 7 (2’57)

–      Cat : S’il n’y a aucune commune mesure entre l’art de Oliver et celui d’Armstrong, de beaucoup plus riche, les solos de Oliver sur « Mabel’s Dream« , « Jazzin Babies Blues« , « Sweet Lovin’ Man » le font paraître à son avantage et parviennent à émouvoir.

                          16. « Mabel’s Dream » – King Oliver’s Jazz Band – Chicago, 26/10/1923 (Paramount 1622)

                                 Pers. : King Oliver, Louis Armstrong (crt) – Honore Dutrey (tb) – Johnny Dodds (cl) – Charlie Jackson (bs, bb) – Lili Hardin (p) – Johnny St Cyr (bjo) – Babby Dodds (dm)

                                 Disque : Riverside RLP 12-122 – B3 (2’49)

                          17. « Jazzin’ Babies Blues«  King Oliver’s Creole Jazz Band – Chicago, juin 1923 (Okeh 4975)

                                Pers. : King Oliver, Louis Armstrong (crt) – Honore Dutrey (tb) – Johnny Dodds (cl) – Lil Hardin (p) – probablement Arthur « Bud » Scott (bjo) – Babby Dodds (dm).

                                Disque : MM PM 527 – CD1 – 16 (2’57)

                         18. « Sweet Lovin’ Man«  King Oliver’s Creole Jazz Band – Chicago, juin 1923 (Okeh 4906)

                               Pers. : King Oliver, Louis Armstrong (crt) – Honore Dutrey (tb) – Johnny Dodds (cl) – Lil Hardin (p) – probablement Arthur « Bud » Scott (bjo) – Babby Dodds (dm).

                               Disque : MM PM 527 – CD1 – 11 2’41)

–      Bird : Il est assez émouvant d’entendre tous ces vieux enregistrements qui permettent d’apprécier le jeu des différents intervenants.

–      Cat : Par contre la mise en place rythmique est assez malhabile, ce qui ne donne pas au « swing » une ampleur maximum que l’on trouvera plus tard chez les grands musiciens. La fin des enregistrements du « Creole Jazz Band » coïncide avec la dissolution de cet orchestre vers le début 1924. La deuxième série d’enregistrements de King Oliver s’étend de 1926 à 1928, sous le nom des « Dixie Syncopators« .

                             19. « Snag it » – King Oliver’s Dixie Syncopators – Chicago, 11/3/1926 (Vocalion 1007)

                                    Pers. : King Oliver, Bob Shoffner (crt) – Kid Ory (tb) – Albert Nicholas, Billy Paige (cl, ss, as) – Barney Bigard (cl, ss, ts) – Luis Russell (p) – Bert Cobb (bb) – Paul Barbarin (dm)

                                    Disque : Classics 618 – CD – 4 (3’04)

–      Bird : On est à l’audition tout de suite frappé par la différence fondamentale qui existe entre la formule orchestrale des « Creole » et celle des « Dixie« .

–      Cat : Il a changé de style, Armstrong l’a quitté en 1924 pour fonder son propre ensemble. On trouve dans les « Dixie » une section d’anches comprenant, Albert Nicholas, Billy Paige et Barney Bigard auxquels se joindront plus tard Evans et Omer Simeon. Darnell Howard remplacera Paige. Les arrangements sont écrits et parmi les nombreux « blues » de son répertoire se glissent quelques « songs« .

20. « Sugar Foot Stomp » – King Oliver’s Dixie Syncopators – Chicago, 29/5/1926 (Vocalion 1033)

                                   Pers. : King Oliver, Bob Shoffner (crt) Kid Ory (tb) – Albert Nicholas, Billy Paige (cl, ss, as) – Barney Bigard (cl, ss, ts) – Luis Russell (p) – Bert Cobb ( bb) – Paul Barbarin (dm).

                                   Disque : Classics 639 – CD – 21 (2’54)

–      Cat : La dernière série de disques de Oliver, de 1929 à 1931, souvent enregistrée avec des orchestres de studios, est plus inégale. Lorsqu’il perdit ses dents, Oliver fit appel, pour ses solos, à d’autres trompettes tels que Henry Allen junior, Louis Metcalf, Bubber Miley…

                          21. « New Orleans Shout » – King Oliver and his orchestra – New-York, 30/12/1929

                                  Pers.: King Oliver, Dave Nelson (tp) – James Archey (tb) – Glyn Pacque (cI, as) – prob. Hilton Jefferson (as) – non ident. (ts) – Don Frye (p) – Arthur Taylor (bjo) – non ident. (g) – Clinton Walter (tuba) – Edmund Jones ou Fred Moore (dm)

                                  Disque : RCA Victor 430 592 – A1 (2’42)

–      Cat : King Oliver a fixé beaucoup de choses dans le jazz, notamment dans l’introduction des instruments. Il a introduit la section d’anches, ainsi que le banjo et le deuxième cornet. Dans les derniers enregistrements il abandonnera le cornet pour la trompette. Le piano est définitivement adopté. Grâce à lui, des mélodies typiques et des « blues » que seule la tradition orale conservait, seront introduits dans le répertoire jazzistique. Il composa des thèmes qui ne cesseront de jalonner l’histoire du jazz, « West end Blues« , dont Louis Armstrong fera un chef d’œuvre, « Dippermouth Blues« , « Canal Street Blues« , « Doctor Blues » ou  son « Camp Meeting Blues » a été repris par Duke Ellington sous le nom de « Creole Love CalI« .

Son jeu puissant, sobre, constamment appuyé sur le temps, constitue une assise confortable pour ses partenaires. On peut affirmer qu’il a influencé bon nombre de musiciens, notamment : Edward Anderson, Tommy Ladnier, Bubber Miley, George Mitchell, Dave Nelson, Joe Smith… Il fut pour beaucoup dans l’éveil à la musique « hot » de la jeunesse blanche du Chicago des années 20.

Ayant perdu ses dents, il ne sait plus jouer de la trompette. Après une dernière tournée catastrophique, il échoue à Savannah où il travaille comme homme de peine. Sa santé décline rapidement et il meurt dans l’isolement le plus complet.

                            22. « Rhythm Club Stomp » – King Oliver and his Orchestra – New-York, 18/03/1930.

                                   Pers.: King Oliver, Dave Nelson (tp) – James Archey (tb) – Bobby Holmes (cl,ss) – Hilton Jefferson, ­Glyn Pacque (cl,as) – probl. Henry Duneau (p) Arthur Taylor (bjo) – Clinton Walker (tuba) – Fred Moore (dm)

                                   Disque : RCA Victor 430 592 – A6 (2’56)

–      Cat : Avant de nous quitter, connais-tu la différence entre un cornet et une trompette ?

–      Bird : Non, tu vas me l’apprendre, je n’en doute pas.

–      Cat : Ces deux instruments à vent à embouchure font partie de la famille des cuivres. Tous les deux sont munis d’un système de trois pistons et ont le même registre. Le cornet est en si bémol tandis qu’il existe des trompettes en si bémol, do, ré, et fa. En jazz, les musiciens utilisent généralement celle en si bémol.

Le timbre du cornet est moins brillant que celui de la trompette et il est un peu plus facile à aborder car son attaque est plus directe et il permet une plus grande vélocité. Il faisait partie des fanfares et des premiers orchestres de la Nouvelle-Orléans. Les raisons de son succès : l’encombrement réduit (il est plus ramassé que la trompette), le prix modique, la facilité de s’en procurer (les vestiges des orchestres militaires de la guerre de Sécession), la sonorité puissante, la simplicité d’apprentissage et de maniement

–      Bird : Alors pourquoi être ensuite passé à la trompette ?

–      Cat : Je t’ai dit là tout de suite que le cornet a un timbre moins brillant que celui de la trompette. C’est le fait de sa perce conique, alors que celle de la trompette est quasi cylindrique. Registre aigu, timbre brillant et volume sonore ont fait de la trompette la pièce maîtresse de l’orchestre néo-orléanais.

Le cornet ne sera pas totalement abandonné. Quelques musiciens en feront leur instrument de prédilection comme par exemple Muggsy Spanier et Bix Beiderbecke que nous retrouverons plus tard avec les « Chicagoans« , ou Rex Stewart, musicien de l’orchestre de Duke Ellington, ou encore Nat Adderley, représentant du « Be-Bop« . Mais c’est le « free-jazz » qui consacrera son retour avec Don Cherry notamment. Mais c’est une autre histoire !

                          23. ”West end blues” – King Oliver and his Orchestra – 16/01/1929

                                     Pers. : Louis Metcalfe (cnt) – J.C. Higginbotham (tb) – Charlie Holmes (ss, as, cl) – prob. Greely Walton (ts, cl) – Luis Russell (p) – Will Johnson (bjo, g) – Bass Moore (tuba) – Paul Barbarin (dm), King Oliver (dir).

                                    Disque : RCA Victor 430 592 – B1 3’34)

Cornet                                                                                  Trompette3
               Cornet à pistons                                                                                        Trompette

Ces instruments à vent, de la famille des cuivres, se composent d’une embouchure (1), qui s’insère dans un boisseau d’embouchure (2), de trois pistons, numérotés de un (4) à trois (7), de quatre coulisses d’accord (3, 6, 9, 10), d’un crochet pour l’auriculaire de la main droite (8), d’une clé d’eau (10) et d’un pavillon (11).

Discographie [2]

 

1)     New Orleans Jazz The ‘Twenties

Folkways F-RBF203 – 2CD1-9

2)     Louis Armstrong: 1923 with King Oliver’s Creole Jazz Band

Riverside Jazz Archives Series RLP 12-122 – 30 cm, 33T

3)     Johnny Dodds et Kid Ory – Jazz pour tous 3

PhilipsP 07.872 R – 25 cm, 33T

4)     Young Louis Armstrong

Riverside Jazz Archives Series RLP 12-101 – 30 cm, 33T

5)     The Chronogical – King Oliver Jazz Band 1923-1926

Classics 639 – CD

6)     The complete King Oliver’s Creole Jazz Band

MM PM527 2CD

7)     The Chronogical – King Oliver Jazz Band 1926-1928

Classics 618 – CD

 

8)     King Oliver et son orchestre

RCA Victor 420 592 S – 30cm, 33T

 

Bibliographie

  1. 1.   alson L.: (1962) – « Les Maiîres du Jazz » – Presses universitaires de France – Collection « Que sais-je? » – 548 – Paris.
  1. 2.   Bergerot F. (2001) – Le Jazz dans tous ses états, Larousse.
  1. 3.   Bergerot F., Merlin A. (1991) – L’épopée du Jazz Vol. I : Du blues au bop, Découvertes Gallimard N° 114.
  1. 4.   Carles Ph., Clergeat A., Comolli J.-L. : (1988) – « Dictionnaire du Jazz » – Editions Robert Laffont, coll. « Bouquins ».
  1. 5.   Longstreet S et Dauer A.M.: (1958) – « Encyclopédie du Jazz » adaptation française J. Bureau – éd. Aimery Somogy – Paris.

syncopators

 King Oliver and his Dixie Syncopators

Bud Scott (bj) – Paul Barbarin (dm) – Luis Russell (p) – King OLIVER et Bob Schoffner (tp)

section d’anches: Darnell Howard, Albert Nicholas, Barney Bigard


NOTES

 

[1]Ory « Kid«  Edward : Tromboniste afro-américain (* La Place, Louisiane, 25-12-1886 / … Honolulu, Hawaï, 23-1-1973). « Quant à Kid Ory, c’est du banjo qu’il joua d’abord… et quel banjo ! Il se l’était fabriqué lui-même avec de vieilles boîtes à cigares… Kid forme son premier orchestre à treize ans, dans la petite ville de Laplace, où il habite, à cinquante kilomètres de la Nouvelle-Orléans. On est alors en 1902. Les membres de l’orchestre ont tous à peu près le même âge… et des instruments du même genre, une chaise tient lieu de batterie. Il « se défendent » aux réunions locales, bals et pique-niques. Peu à peu, Kid Ory économise de quoi se payer un vrai instrument, et il choisit le trombone. Vers 1911, il se fixe à la Nouvelle-Orléans. Il a alors dans sa formation Johnny Dodds à la clarinette et, au cornet, King Oliver. Son orchestre se nomme le « Kid Ory’s Brownskin Band« , tous des noirs, et fiers de l’être, car alors, ils ont à supporter la concurrence des musiciens blancs qui jouent à l’imitation des créateurs authentiques. (Ce que l’on est généralement convenu d’appeler « musique Dixieland » est le jazz blanc de la Nouvelle-Orléans, et par extension, toute musique créée d’après le style authentique N.O.) En 1917, Louis Armstrong remplace dans la formation d’ORY, King Oliver, qui est parti pour Chicago. Par la suite, Ory monte lui-même à Chicago et retrouve ses collaborateurs devenus, eux aussi célèbres. C’est le début de toute une série d’enregistrements aux côtés des plus grands noms du jazz authentique d’alors. Et cette même année de la dépression où tant d’artistes disparaissent de la scène, Kid Ory semble s’éclipser lui aussi. En 1931, il passe à un autre genre d’exercice et se met, en compagnie de son frère, à l’élevage des poulets.

Orson Welles, alors producteur de radio, le redécouvre en 1944, et, plus gaillard que jamais, Kid Ory recommence à jouer et à enregistrer… Et il continue, puisqu’en 1956 il est venu donner une série de concerts en Europe.

On s’accorde généralement à reconnaître en Kid Ory le maître du trombone « vamp », des longs glissandos, des basses baladeuses et allègres. Il a été le chef de file de toute une école et a marqué d’une empreinte indélébile le jazz de son époque. » Traduction de Boris Vian d’après Georges Avakian (pochette du disque Philips P 07.872 R).

[2] Discographie (King Oliver’s Creole Jazz Band ou King Oliver’s Jazz Band )

 Titre  Musiciens  Date d’enregistrement(André Clergeat)  Autres dates
Just Gone Joe «King » Oliver, Louis Armstrong (crt) – Honoré Dutrey (tb) – Johnny Dodds (cl) -Lillan «Lil» Harding (p) – Arthur «Bud» Scott ou Bill Johnson (bjo) – Warren «Baby» Dodds (dm) 5 avril 1923 (Richmond) 6 avril 1923
Canal Street Blues les mêmes comme ci-dessus comme ci-dessus
Mandy Lee Blues les mêmes comme ci-dessus comme ci-dessus
I’m Going Away to Wear You Off my Mind les mêmes comme ci-dessus comme ci-dessus
Chimes Blues les mêmes comme ci-dessus comme ci-dessus
Weather Bird Rag les mêmes 6 avril 1923 (Richmond) 6 avril 1923 (Richmond)
Dipper Mouth Blues – 1 les mêmes comme ci-dessus comme ci-dessus
Froggie Moore les mêmes comme ci-dessus comme ci-dessus
Snake Rag les mêmes comme ci-dessus comme ci-dessus
Snake Rag – 2 les mêmes mais définitivement avec Arthur «Bud» Scott  (bjo) Juin 1923 (Chicago) non listé
Sweet Lovin’ Man les mêmes comme ci-dessus non listé
High Society Rag les mêmes comme ci-dessus non listé
Sobbin’ Blues – 1 les mêmes comme ci-dessus non listé
Where Did You Stay Last Night ? les mêmes comme ci-dessus non listé
Dipper Mouth Blues – 2 les mêmes comme ci-dessus non listé
Jazzin Babies Blues les mêmes comme ci-dessus non listé
Mabel’s Dream – 1 les mêmes sans Arthur «Bud» Scott  (bjo) mais avec Charlie Jackson (sb) comme ci-dessus octobre 1923 (certains ont même avancé la date de novembre 1924)
Mabel’s Dream – 2 les mêmes comme ci-dessus comme ci-dessus
The Southern Stomps – 1 les mêmes comme ci-dessus comme ci-dessus
The Southern Stomps – 2 les mêmes comme ci-dessus comme ci-dessus
Riverside Blues les mêmes comme ci-dessus comme ci-dessus
Alligator Hop les mêmes plus Paul «Stomp» Evans (st) plus Johnny Saint-Cyr (bjo) 5 octobre 1923 (Chicago) 5 octobre 1923 (Richmond)
Zulu’s Ball les mêmes comme ci-dessus comme ci-dessus
Workingman Blues les mêmes comme ci-dessus comme ci-dessus
Krooked Blues les mêmes comme ci-dessus comme ci-dessus
Chatanooga Stomp les mêmes sans Charlie Jackson (sb) ni Paul «Stomp» Evans (st) tandis qu’Eddie Atkins remplace Honoré Dutrey (tb) 15 octobre 1923 (Chicago) non listé
London (Café) Blues les mêmes comme ci-dessus non listé
Camp Meeting Blues les mêmes comme ci-dessus non listé
New Orleans Stomp les mêmes comme ci-dessus non listé
Buddy’s Habit – 1 Joe «King » Oliver, Louis Armstrong (crt), Honoré Dutrey (tb), Johnny Dodds (cl), Lillian «Lil » Hardin (p), Johnny Saint-Cyr (bjo), Warren «Baby» Dodds (dm) fin octobre, 1923 non listé
Tears les mêmes comme ci-dessus non listé
I’m Gonna Tell Nobody les mêmes comme ci-dessus non listé
Room Rent Blues les mêmes comme ci-dessus non listé
Riverside Blues – 2 les mêmes comme ci-dessus non listé
Sweet Baby Doll les mêmes comme ci-dessus non listé
Working Man Blues – 2 les mêmes comme ci-dessus non listé
Mabel’s Dream – 3 les mêmes comme ci-dessus non listé

Quatre autres titres ont, depuis quelques années, été ajoutés à cette liste. Ce sont des pistes enregistrées le 5 octobre 1923, en même temps que « Alligator Hop » (numéro 11633 – B) et « Krooked Blues » (11638), cités ci-dessus et mis en marché sous le numéro 5274 :

« When You Leave Me Alone to Pine »  – numéro 11632 – A, B et C

« That Sweet Something Dear »  – numéro 11634 – C – Gennett 5276

« Someday Sweeheart » – numéro 11637 – A, B et C

« If You Want My Heart (You’ve Got to ‘low it, Babe) » – numéro 11639 – B – Gennett 5276

De ces enregistrements, on n’a jamais retrouvé la trace et cela est d’autant plus malheureux que ce serait sur « Someday Sweetheart« qu’on aurait pu entendre la seule prestation enregistrée du guitariste « Blind Willie » Lessard  en remplacement, pour cette piste, de Johnny Saint-Cyr.

Quant aux numéros 11635 et 11636, on en a retrouvé qu’une seule copie. – Ce sont : « Zulu’s Ball » et « Workingman Blues » (disque Gennett 5275). – Voir à « Zulu’s Ball« .

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8ème dialogue

 LA NOUVELLE-ORLEANS

–       Cat : À partir d’aujourd’hui, nous attaquons réellement le jazz, avec le style « New-Orleans« . C’est avant tout une musique instrumentale, née de l’adaptation de la musique purement vocale et rythmique des esclaves noirs au domaine orchestral. Mettons-nous tout de suite dans le bain avec ce morceau interprété par l’orchestre de Joe « King » Oliver et qui comprend quelques-uns des représentants marquants du style « New-Orleans » : en plus de Joe « King » Oliver (tp), il y a Kid Ory (tb), Albert Nicholas et Barney Bigard (cl, sax), Luis Russell (p) et Paul Barbarin (dm).

          1. « Sugar Foot Stomp » – King Oliver and his Dixie Syncopators –  Chicago, 29-05-1926

                 Pers.: Joe « King » Oliver (tp) – Bob Schaffner (tp) – Kid Ory (tb) – Albert Nicholas, Billy Page, Barney Bigard (reeds) – Luis Russell (p) – Bud Scott (bjo) – Bert Cobb (tuba) – Paul Barbarin (dm)

                 Disque: 45T Coral 94112 EPC – A1 (2’54)

–        Bird : Quand les Noirs américains ont-ils commencé à se servir d’instruments de musique européens ?

–        Cat : Après l’émancipation !… On peut être catégorique sur ce point. Après la guerre de Sécession et la guerre hispano-américaine (1898), la communauté noire put se procurer les instruments de fanfare délaissés par les armées dissoutes. Cependant une hypothèse communément admise est la suivante. En Louisiane, où le catholicisme se développait parmi les populations de couleur, il était donné une plus grande liberté aux métis, quarterons, octavons [1]. Ceux-ci avaient la possibilité de se fournir des instruments et d’apprendre la musique. Nous avons vu qu’ils accompagnaient les psaumes et les « camp-meeting« .

–        Bird : Oui, ces réunions religieuses en plein air. Elles dégénéraient rapidement en transes collectives. C’est au cours de celles-ci que l’on procédait au baptême par immersion des nouveaux convertis. Nous avons vu cela lors du dialogue sur les « negro-spirituals« .

–        CAT: Revenons à nos musiciens en herbe. Les premiers petits ensembles instrumentaux se composaient d’un cornet, d’un trombone à piston, d’un tambour et d’une guimbarde. Le cornet, qui sera détrôné par la trompette en 1920, joue la voix principale, tandis que le trombone l’accompagne en contre-chant. Le trombone à piston sera remplacé à partir de 1900 par le trombone à coulisse qui permet des effets de glissando, chers aux vétérans du jazz. La guimbarde, précurseur des instruments à cordes – banjo, guitare – fournit le soubassement harmonique dans le registre grave, tandis que le tambour constitue l’embryon de la section rythmique.

          2. « Sic ‘Em Tige » – The State Street Ramblers – Richmond, 17-02-1931

                  Pers.: Roy Palmer (tb) – autres musiciens inconnus (washboard, bj).

                  Disque: CD Folkways F-RBF 17 – 14 (2:55)

–        Bird : Mais c’est du « ragtime » !

–        Cat : Oui, ce petit ensemble de Chicago, sous la direction d’un vétéran de la Nouvelle-Orléans, joue ce morceau dans la plus pure tradition du « ragtime« . Nous avons vu la dernière fois l’importance de ce genre dans la genèse du jazz.

–        Bird : Et la Nouvelle-Orléans ?

–        Cat : La Nouvelle-Orléans a joué un rôle primordial dans l’élaboration du jazz. En effet, c’est à cause de sa situation historique, géographique et économique particulièrement favorable que la Nouvelle-Orléans est considérée comme le véritable berceau du jazz. Il est cependant important d’insister sur le fait que ce genre musical s’est développé sous diverses formes dans tous les Etats où l’on rencontrait des Noirs. D’ailleurs, nous retrouverons ces diverses tendances au fur et à mesure de notre découverte du jazz.

          3. « Gettysburg March » – Jimmy Clayton’s New Orleans Orchestra [2], New-Orleans, 20-08-1952

                 Pers.: Jimmy “Kid” Clayton (tp) – Joe Avery (tb) – Albert Burbank (cl) – George Guesnon (bj) –Emma Barret (p) – Sylvester Handy (b) – Alec Bigard (dm)

                 Disque : CD Flokways F-2463  – 9 (2:47)

–        Cat : Ces vétérans nous donnent un aperçu de la musique qui se jouait dans les salles de danse de la Nouvelle-Orléans et qui se perpétue encore actuellement. Sais-tu que cette marche commémore la victoire des nordistes sur les Confédérés pendant la guerre de Sécession (1er-3 juillet 1863)  à Gettysburg en Pennsylvanie[3] ?

Maintenant un peu d’histoire, afin de situer le cadre de cette ville mythique.

–        Bird : Dans quel siècle vas-tu me faire échouer ?

–        Cat : En 1699, le premier navire français, sous la conduite de Pierre Le Moyne d’Iberville[4] jette l’ancre dans la baie de Biloxi, qui se trouve dans le golfe du Mexique. Il remonte ensuite le Mississippi, reconnu comme étant le troisième fleuve du monde quant à sa longueur – 6.051 km. A environ 150 km de son embouchure, on trouve une grande boucle, que les futurs habitants de la Nouvelle-Orléans appelleront le « Crescent » – le Croissant. C’est à cet endroit que Le Moyne Bienville[5], frère d’Iberville, fonde, en 1718, la première agglomération. C’est l’actuel « French Quarter » ou « Vieux Carré », avec ses persiennes et ses balcons ouvragés.

          4. « Black Rag » – Oscar Celestin’s Original Tuxedo Jazz Orchestra [6]Nouvelle-Orléans, janvier 1925

                 Pers. : Oscar Celestin, Shots Madison (crt) – Bill Ridgely (tb) – Willard Thoumy (cl) – Paul Barnes (sa) – Emma Barret (p) – John Marrero (bjo) – Simon Marrero (b) – Abbie Foster (dm)

                 Disque : CD Folkways F-RBF203 – CD1 – 1 (2’37)

–        Bird : D’où vient le nom « Nouvelle-Orléans » que porte la capitale de la Louisiane ?

–        Cat : Si ma mémoire ne me trompe pas, c’est en l’honneur du duc d »Orléans, à cette époque régent de France, que ce nom fut donné au nouveau poste français établi en territoire d’Amérique. La Nouvelle-Orléans n’a pas toujours été la capitale de la Louisiane; ce n’est qu’en 1723 qu’elle supplanta Mobile.

–        Bird : Cette partie du Sud n’a donc pas toujours appartenu aux U.S.A.?

–        Cat : Non, les Etats-Unis se sont élaborés lentement, après de nombreuses batailles et de nombreux traités avec les grandes puissances européennes, qui se disputaient la suprématie de ces territoires d’Outre-Atlantique. La Louisiane, initialement colonie française, fut vendue par Napoléon aux Etats-Unis en 1803, pour la somme de 80 millions de francs de l’époque. C’est à partir de ce moment que la ville grandit à une allure vertigineuse. On y rencontre le mélange le plus hétéroclite qu’on puisse imaginer : aventuriers, commerçants, voleurs, artisans, prêtres, assassins, entremetteurs, filles et femmes légères. Des hommes de toutes origines y affluent : Espagnols, Français, Italiens, Grecs, Indiens, Noirs. La concentration de la population de couleur s’accroît rapidement : les négriers déversent des cargaisons entières d’Africains, et l’on voit apparaître des Noirs en fuite des grandes plantations et des émigrants échappés aux révolutions de Haïti et des îles Caraïbes.

Le morceau suivant est intéressant car tu y entends un des trompettistes des premières heures du jazz, Punch Miller [7]. Malheureusement nous n’avons pas d’enregistrements de lui à la tête de son « jazz band« . Ici, il est le trompettiste du petit ensemble d’Albert Wynn [8] et nous sommes déjà en 1928.

          5. « Down by the Levee » – Albert Wynn’s Gutbucket Five – 02-10-1928.

                 Pers.: Punch Miller (tp, voc) – Albert Wynn (tb) – Lester Boone (cl / sax) – Charlie Jackson (g) – William Barbee (p) – Sidney Cattlett (dm)

                 Disque : 45T Coral 94205 EPC – A2 (3’32)

–        Bird : Quel aspect doit présenter cette ville champignon !

–        Cat : Justement, imaginons-la à cette époque. Nous nous engageons dans « Canal Street« , qui divise la ville en deux. Nous la remontons, en laissant le fleuve derrière nous. A notre droite, nous rencontrons successivement le « Vieux Carré« , le quartier des plaisirs, avec sa gamme de maisons de prostitution, allant des palais somptueux aux masures sordides. Ce quartier deviendra le fameux « Red Light District » – le quartier des lumières rouges. Derrière le vieux cimetière Saint-Louis s’étend le quartier créole dont les maisons se pressent autour de la Place Congo, que tu connais   déjà. A notre gauche, nous longeons d’abord le quartier commerçant limité par « Rempart Street« , puis « Perdido« , la ville haute, où se trouvent les cabanes de bois des anciens esclaves. C’est le centre du prolétariat de couleur [9]. Voici  « Canal Street Blues« , un fox trot, en hommage à l’une des plus belles rues du monde, composé par « King » Oliver et interprété par un bon trompettiste de la Nouvelle-Orléans, Red Allen.

          6. « Canal Street Blues » – Red Allen and his Orchestra

                  Pers. : Henry « Red » Allen Jr. (tp) – Edmond Hall (cl) – Benny Morton (tb) – Lil Hardin Armstrong (p) – Bernard Addison (g) – George « Pop » Foster (b) – Zutty Singleton (dm)

                  Disque : LP30 Decca DL 8283 – A5 (3’09)

–        Bird : Après cette petite promenade, j’espère rencontrer quelques-uns des habitants de cette ville ?

–        Cat : Une des particularités de la Nouvelle-Orléans était son importante communauté de sangs mêlés, erronément appelés « créoles« . En effet, le mot « créole » désigne une personne de la population blanche, née aux colonies. Cette communauté est issue des nombreuses relations extraconjugales que les propriétaires blancs, français principalement, se permettaient avec leurs esclaves et qu’ils continuèrent à entretenir après l’émancipation. Cette couche sociale devient rapidement une société élégante et fortunée qui recherche ses ascendants français. Malheureusement, lorsqu’en 1894, la municipalité vota une stricte ségrégation, cette population dut quitter le centre ville (downtown) et le « French Quarter » pour s’installer dans les quartiers périphériques (uptown) réservés aux Noirs. Une idée qui parait féconde est que la naissance du jazz a été favorisée par une rivalité musicale opposant ces créoles frottés de culture française et les Noirs américanisés de Perdido. Evidemment, ce sont les métis qui, les premiers, acquièrent une éducation musicale, en ayant la possibilité d’étudier le solfège et l’harmonie. C’est peut-être cela qui les tiendra au début à l’écart du jazz.

          7. « Red Man Blues« Piron’s New Orleans Orchestra [10], New Orleans, 25-03-1925

                 Pers. : Armand J. Piron (vln) – Lorenzo Tio Jr. (clà – Peter Bocage (crt) – Louis Warneke (sa) – Steve Lewis (p) – Charlie Bocage (bjo) – Henry Bocage (tuba) – Louis Cottrell Sr. (dm)

                 Disque : CD Folkways F-RBF203 – 2 (3’10)

–        Bird : Et les Noirs de Perdido, que deviennent-ils ?

–        Cat : Après la proclamation de l’émancipation des esclaves par Lincoln, les Noirs de pure souche que l’on voyait danser les dimanches à Congo Square au son du tambour, s’emparent des instruments de musique que l’on trouve sur les marchés. Ne sachant pas lire la musique, ils se mettent à jouer d’oreille et imitent les morceaux qu’ils entendent. De plus, habitués aux « negro-spirituals » et surtout aux « blues« , ils introduisent les mêmes effets musicaux, ce qui donne une expression originale à leur musique. Au début on se moque d’eux, on les appelle des « fakers« , des truqueurs, des musiciens à la noix; cependant ils conquièrent rapidement les foules par leurs improvisations pleines de virtuosité et d’esprit inventif. Cela donnera ce que l’on appellera plus tard le « Hot Jazz », une musique aux interprétations expressives et imaginatives, par opposition aux exécutions « straight » (droites) des orchestres de salon qui ne laissent aucune place à la variation.

          8. « Short Dress Gal » – Sam Morgan’s Jazz Band [11] – New Orleans, 22-10-1927

                 Pers.: Sam Morgan, Isaiah Morgan (crt) – Earl Fouche (sa) – Andrew Morgan (st, cl) – Walter Decou (p) – Johnny Dave (bjo) – Sidney Brown (b) – Roy Evans (dm)

                 Disque: CD Folkways F-RBF203 – CD1 – 10 (3’07)

–        Bird : Quel entrain ! On a envie de bouger !

–        Cat : Au XVIIIe siècle, l’Europe introduit le Carnaval à la Nouvelle-Orléans et le Mardi gras devient rapidement une réjouissance bruyante et effrénée à laquelle participe toute la population de la ville. Les sang-mêlés sont les premiers à organiser des fanfares qui se produisent à toutes les occasions : Mardi gras, bien sûr, enterrements, fêtes champêtres, pique-niques des bords du lac Pontchartrain. Les airs interprétés sont pour la plupart des marches et des pas redoublés, empruntés au répertoire des musiques militaires, et des danses venues de France: mazurkas, scottishs et quadrilles; ainsi, le fameux « Tiger Rag » n’est autre qu’un quadrille français appelé « Praline« .

          9. « Tiger Rag » – Louis Armstrong and his All-Stars – New-York session, octobre 1938

                 Pers : Louis Armstrong (tp)- Jack Teagarden (tb) – Bud Freeman (ts) – Fats Waller (p) -Albert Casey (g) ­George Wettling (dm).

                 Disque : Jazz Anthology 30JA 5116 B1- (4’29)

–        Bird : J’imagine la transformation par rapport à l’original. Cette version m’agrée car sûrement plus dynamique et rythmée.

–        Cat : Souvent montés sur des chariots de déménagement, ces orchestres parcouraient la ville et se portaient au devant d’un autre « wagon band » pour engager une joute musicale au grand plaisir des passants. Les trombones, pour pouvoir manipuler leur coulisse en toute sécurité, prenaient place sur le hayon arrière et ils pratiquaient un style spectaculaire en violents glissando ce qui donna le « tailgate » (le hayon). Un bon exemple de cette manière de jouer avec Kid Ory, également une figure légendaire de la Nouvelle-Orléans, et son fameux « Creole Jazz Band« , dans une de ses compositions « Savoy Blues« .

         10. « Savoy Blues » – Kid Ory’ Creole Jazz Band – 07-10-1949

                   Pers.: Kid Ory (tb) – Teddy Buckner (tp) – Joe Darensbourg (cl) – Lloys Gleen (p) – Ed Garland (b) – Minor Hall (dm)

                   Disque: 45T POP SPO.17.031 – A1 (2’51)

–        Bird: Il faut absolument aller à la Nouvelle-Orléans pour s’imprégner de cette atmosphère. Cela doit être sensationnel !

–      CAT: Quand les « fakers » de Perdido participent à une cérémonie funéraire, toute la ville est en fête. Tandis qu’ils suivent le cortège, ce ne sont que marches funèbres et hymnes religieux ponctués par les lamentations des pleureuses. Lorsque le cercueil descend dans la fosse, le pasteur prononce les paroles sacramentelles: « Ashes to ashes, dust to dust » – « Les cendres retournent aux cendres et la poussière à la poussière ». Il se trouve toujours quelqu’un pour ajouter: « If the women don’t get ya, the liquor must » – « Si les femmes ne vous tuent pas, l’alcool s’en chargera ».

Aussitôt, le joueur de caisse claire retire le mouchoir de dessus son instrument, mouchoir destiné à étouffer les sons, et l’on quitte le cimetière. Le chef d’orchestre, généralement un cornettiste, lance un retentissant « tatata » et tout le monde swingue le « Didn’t he ramble » (« Où n’a-t-il pas roulé sa bosse? »). En dansant allégrement, tout le cortège rentre en ville, et il se forme un attroupement qui suit la caravane en dansant également, ce sont les « second lines » – les secondes lignes -. Ecoute le fameux « New Orleans Function » de Louis Armstrong, enregistré à New York, le 24 avril 1950, et qui n’est autre que ce « Didn’t he ramble« .

         11. « New Orleans Function » – Louis Armstrong AlI Stars – New-York, 24/4/1950

                 Pers.: Louis Armstrong (tp-voc) Jack Teagarden (tb) – Barney Bigard (el) – Earl Hines (p) – Arwell Shaw (b) – Cozy Cole (dm).

                 Disque : Brunswick EPB 10.007 EFB Al (6’43)

–        BIRD: Pas mal du tout. Ce morceau retrace bien l’ambiance que tu as suggérée. Mais connaît-on quelques-uns de ces fameux orchestres qui firent les délices des Orléanais, au début du XXe siècle ?

–        Cat : Oui, bien sûr. L’ensemble du cornettiste Buddy Bolden semble avoir été le premier orchestre de jazz, c’est-à-dire le premier à avoir joint à son répertoire des « blues » et des « rags« . Il y avait également parmi les plus célèbres, le « Tuxedo Brass Band » de Papa Celestin, que l’on a déjà entendu, « l’Eagle Band » de Bunk Johnson, « l’Onward Brass Band » de Joe « King » Oliver…

         12. “Careless Love« Bunk Johnson’s Band – New Orleans, San Jacinto Hall, 2-08-1944

                  Pers. : Bunk Johnson (tp) – Jim Robinson (tb) – George Lewis (cl) – Lawrence Marrero (bjo) – Aicide « Slow Drag » Pavageau (b) – Baby Dodds (dm)

                  Disque : LP30 Storyville SLP 128 – A4 (4’35)

–        Cat : Cet enregistrement de Bunk Johnson date de 1944. A la fin des années 1930, l’historien Clarence Williams redécouvre Bunk d’après les renseignements de Louis Armstrong. C’est le début du « New Orleans Revival » et on enregistre pour la première fois la musique de ce vétéran qui n’a rien perdu de sa verve. D’autres vieux musiciens seront sortis de l’ombre et connaîtront une deuxième période de gloire.

Louis Armstrong, dans son livre intitulé « My life in New-Orleans« , nous donne quelques impressions sur les divers musiciens qu’il a fréquentés à la Nouvelle-Orléans.

–        Bird : As-tu ce livre ?

–        Cat : Le voici. Je vais te lire un passage :

« Ce vieux Buddy Bolden soufflait si fort que je me demandais s’il arriverait un jour à le remplir, son cornet ! A mon avis, c’était plutôt décourageant pour les jeunes : rien qu’à le voir, on souffrait comme si l’on avait soufflé soi-même ! Evidemment, c’était un grand musicien. Mais je trouve qu’il soufflait trop fort. J’irai même jusqu’à dire qu’il soufflait de travers. D’ailleurs, il est devenu fou. Concluez vous-même. Là où l’on entendait vraiment quelque chose comme musique, c’était lorsque jouait l’Eagle Band, avec Bunk Johnson au cornet… »

         13. « The thriller Rag« Bunk Johnson’s Jazz Band, New Orleans, automne 1942

                  Pers.: Bunk Johnson (tp) – Albert Warner (tb) ­- George Lewis (cI) – Walter Decou (p) – Lawrence Marrero (bj) – Chester Zardis (b) – Edgar Mosely (dm)

                  Disque : Coffret LP30 Concert Hall SMS 7130 – A3 (2’53)

–        Cat : « Voici la composition de cet orchestre : Bunk Johnson au cornet – Bill Humphrey à la clarinette – Frankie Lyons à la contrebasse – Henry Zeno à la batterie – Danny Lewis au violon.  Quand vous entendiez ces gars-là c’était quelque chose. il y eut ensuite le Roi, celui qui les dégotait tous, Joe Oliver. Croyez-moi, Joe Oliver est le plus formidable type qui ait joué de la trompette à la Nouvelle-Orléans. Il avait plus à dire que les autres. Le seul, à mon avis, qui pouvait entrer en compétition avec lui, c’était Bunk, et pour la sonorité seulement. Pour la flamme l’endurance, personne ne pouvait rivaliser avec Joe. Nul dans le jazz n’a jamais créé autant que lui ».

         14. « Southern Stomps« King Oliver’s Creole Jazz Band, Chicago 3/1923

                  Pers.: Joe « king » Oliver, Louis Armstrong (cnt) Honore Dutrey (tp) – Johnny Dodds (cl) – Stomp Evans (sa) – Lil Hardin Armstrong (p) – Bill Johnson (bj) – Baby Dodds (dm).

                 Disque : LP30 Riverside RLP 12-122 – B4 (2’58)

–        Cat : Nous reparlerons de King Oliver, car ce qu’en dit Armstrong est réel.

–        Bird : Dans ce passage, il y a une chose qui m’a frappé. Dans la composition de l’Eagle Band, Armstrong donne le nom d’un contrebassiste. Je ne vois pas très bien le gars se balader avec son instrument dans les rues de la ville.

–        Cat : Très pertinente, ta remarque. L’Eagle Band nous amène déjà à l’année 1911, en pleine vogue du « ragtime« . A cette époque, le jazz s’acclimate dans les salles telles que celle du « Mahogany Hall » de Lulu White, devenue aujourd’hui le Musée du Jazz. « Le Mahogany Hall était une maison de plaisir. C’était là que les riches hommes d’affaires et planteurs blancs, venus de tout le Sud, dépensaient leurs tonnes d’argent. Lulu White avait les plus gros diamants qui soient, les plus belles fourrures, et les plus belles créoles travaillaient pour elle. » – dixit Armstrong. Mais faisons un petit retour en arrière. Vers la fin du siècle dernier, sur une proposition du conseiller municipal Sidney Story, la prostitution est limitée à un seul quartier de la ville, connu par la suite sous le nom de Storyville. Laissons encore la parole à Louis Armstrong : « Storyville ! C’était la belle vie pour moi. A tous les tournants on entendait de la musique, et quelle musique ! Celle que je préférais et dont je profitais largement pour le peu d’argent que je gagnais. Storyville ! On aurait dit que tous les orchestres s’étaient réunis là pour se mitrailler littéralement à coups de phrases plus « swing » les unes que les autres ».

         15. « Franklin Street Blues« Louis Dumaine’s Jazzola Eight [12] – New Orleans, 5-03-1927.

                  Pers.: Louis Dumaine (tp) – Earl Humphrey (tb) Willie Joseph (cl) – Lewis James (ts) – Morris Rouse (p, voc) – Leonard Mitchell (bjo) – Joe Howard (tuba) ­James Willigan (dm)

                  Disque : CD Folkways F-RBF203 – CD1 – 8 (3’17)

–        Bird : Cela devait être une ville pleine de vie où la musique s’entendait à tous les coins de rue et en toute circonstance ?

–        Cat : « Storyville ! Avec tous ses glorieux trompettes, Joe Oliver, Bunk Johnson (en pleine jeunesse), Emmanuel Perez, Joe Johnson (il était formidable et c’est bien dommage qu’il n’ait jamais fait de disques), Buddy Petit, dont le style était identique à celui de Joe Johnson, tous ces trompettes de ma jeunesse à la Nouvelle-Orléans, c’étaient des « Forces ». »

Dans les bars, les bouges, les maisons de plaisirs, on rencontre depuis quelques années déjà des pianistes au style particulier, dont le principal est Jelly Roll Morton que nous connaissons déjà.

16. « New Orleans Joys«  – Richmond, Indiana, 17/6/1923

                  Pers. : Ferdinand « Jelly Roll » Morton (piano solo)

                  Disque : 45T Riverside EP 109 – A2 (2’46)

–        Cat : Jelly Roll un personnage à part qui joua un rôle très important dans la structuration et la propagation du jazz « New Orleans« . Nous avions pu le constater lorsque j’ai abordé le « ragtime« . Très tôt, il prend des libertés par rapport à la structure assez rigide de ce style de musique, ou lorsqu’il a recours au blues en 12 mesures. Il renouvelle son propos tout au long de chacune de ses compositions et y incorpore des influences diverses comme certaines formules musicales empruntées aux Caraïbes toutes proches. Le voici dans une de ses plus célèbres compositions : « Shreveport Stomp« .

         17. « Shreveport Stomp«  – Richmond, Indiana, 9/06/1924

                  Pers. : Ferdinand « Jelly Roll » Morton (piano solo)

                  Disque : CD Classics 584 – 18 (2 :53)

–        Bird : Peut-on en connaître plus sur le personnage ?

–         Cat : Oui, pour cela, je te conseille de lire le livre d’Alan Lomax que nous avons déjà rencontré lors de nos entretiens précédents, intitulé justement « Mister Jelly-Roll« . Je ne sais pas si on le trouve encore, car celui que je possède a été publié en français, chez Flammarion en 1964.

Mais venons-en aux autres illustres figures de la Nouvelle-Orléans. Nous avons vu que la préhistoire du jazz dans cette ville appartient plutôt à la légende avec le cornettiste noir Buddy Bolden évoqué par Louis Armstrong. A sa suite, le cornet fut dominé par les Noirs : Bunk Johnson, Mutt Carey, King Oliver et bien sûr Louis Armstrong.

         18. « Showboat Shuffle » – King Oliver & his Dixie Syncopators – Chicago, 22-04-1927

                  Pers.: Joe « King » Oliver (crt) – Thomas « Tick » Gray (tp) – Kid Ory (tb) – Omer Simeon (cl, ss) – inconnu (sa) – Barney Bigard (cl, ts) – Luis Russell (p) – Bud Scott ou Johnny St. Cyr (bjo) – Lawson Buford (tuba) – Paul Barbarin (dm)

                  Disque : 45T Coral 94 206 EPC – B1 (3’00)

–        Bird : Et les créoles dans tout çà ?

–        Cat : Si les créoles comptèrent quelques cornettistes talentueux comme Freddie Keppart, Buddy Petit, Manuel Perez, c’est surtout sur les instruments boisés des orchestres d’intérieurs qu’ils s’imposèrent, ainsi le violon avec Armand Piron, la clarinette avec Alphonse Picou, Jimmie Noone, Barney Bigard, Sidney Bechet, Albert Nicholas, Omer Simeon. Exception à la règle : le clarinettiste Johnny Dodds qui était noir. Une petite comparaison : d’abord Jimmy Noone, puis Johnny Dodds.

         19. « My Daddy Rocks Me » – Jimmie Noone’s Apex Club Orchestra [13] – 24-06-1929

                  Pers. : prob. Guy Mitchell (cnt) – Fayette Williams (tb) – Jimmie Noone (cl) – Joe Poston (sa) – Zinky Cohn (p) – Wilbur Gorham (g) – Bill Newton (tub) – Johnny Wells (dm) – May Alix (voc) –

                  Disque : 45T Coral 94 213 EPC – A2 (3’00)

         20. « Oh Lizzie » – Johnny Dodds en trio [14] – 21-04-1927

                    Pers.: Johnny Dodds (cl) Lil Armstrong (p) – Bud Scott (g)

                    Disque: 45T Coral 94 203 EPC – B2 (2’54)

–        Bird : Ils se valent tous les deux  et montrent un réel talent. Mais je trouve que la sonorité de Noone est très pure, émouvante même,  tandis que celle de Dodds me semble plus âpre, plus violente. A partir de quand le jazz a-t-il conquis le monde ?

–        Cat : C’est en 1917 que le jazz fera tache d’huile et qu’il se répandra progressivement dans le monde. En effet, à la suite d’incidents survenus à la Nouvelle-Orléans, le secrétaire de la Navy, Josephus Daniels émit un décret mettant fin aux activités de Storyville. Les nombreux musiciens qui y travaillaient se voient obligés de chercher un emploi ailleurs. Cependant, le jazz a déjà fait quelques incursions en dehors de la Cité du Croissant, avant cette date. Les « riverboats« , bateaux de plaisance, sur lesquels jouent des orchestres noirs, s’en sont allés porter le nouveau message à Memphis, à Saint-Louis et même à Davenport et à Saint-Paul. D’autres musiciens ont gagné Kansas City, Omaha et Pittsburg, suivant le mouvement de migration lente vers le Nord. Ici, l’orchestre de Fate Marable qui sévit sur ces fameux « riverboats« .

         21. « Frankie and Johnny » – Fate Marable’s Society Syncopators [15] – New Orleans, mars 1924

                 Pers.: Sidney Desvigne, Amos White (crt) – Harvey Lankford (tb) – Norman Mason, Bery Bailey, Walter Thomas (sax) – Fate Marable (p) – Willie Foster (g) – Henry Kimball (b) – Zutty Singleton (dm)

                 Disque: CD Folkways F-RBF203 – CD1 – 13 (2’48)

–        Cat : Encore un grand standard « New-Orleans« , « High Society » joué par l’orchestre de « Mister Jelly-Roll » qui dirigea de nombreux ensembles tout au long de sa carrière.

         22. « High Society » – Jelly-Roll Morton’s Kings of Jazz – Chicago, juin 1924

                    Pers.: Lee Collins (crt) – Roy Palmer (tb) – « Balls » Ball (cl) – Alex Poole (sa) – Jelly-Roll Morton (p)

                   Disque: CD Classics 599 – 2 (3’22)

–        Bird : Effectivement, ce morceau est très connu, même pour les non initiés, car je pense que Louis Armstrong l’avait également repris à son répertoire.

–        Cat : Nous avions vu que des tournées de « minstrels » avaient également fait connaître le « ragtime » jusqu’au Texas, mais lors de la fermeture de Storyville, c’est le grand exode. En fait, la période qui s’étend de 1900 à 1917 est ce que l’on appellera la « période du jazz primitif« , tandis qu’à partir de 1917 s’ouvre l’ère du « jazz ancien« , avec son style « New-Orléans évolué« .

Les deux principaux propagateurs de ce style seront King Oliver et Louis Armstrong. Nous les étudierons séparément, car ce sont des personnalités prépondérantes du jazz.

–        Bird : Cette période me plait énormément. Trouve-t-on, en dehors de la Nouvelle-Orléans des orchestres qui s’expriment encore dans ce style ?

–        Cat : Oui, bien sûr. Le « New-Orleans » a conquis le monde, surtout après sa redécouverte dans les années 1940, lors du « New-Orleans Revival« , dont j’ai déjà dit un mot. Nous avons chez nous d’excellents ensembles  qui perpétuent ce style. Ecoute, voici le « Cotton City Jazz Band« , 100% belge, dans un grand classique « St. Louis Blues« .

         23. « St. Louis Blues » – Cotton City Jazz Band

                   Pers.: Jacques Cruyt (tp, voc) – Eddy Sabbe (cl) – Romain Vandriessche (tb) – Alain Lesire (p) – Herman Sobrie (b) – Guy Preckler (dm)

                   Disque : CD SEDISC 16690 – 1 (6’29)

–        Bird : Pas mal du tout, je dirais même excellent. Ils restituent bien le jeu des orchestres de la Nouvelle-Orléans.

–        Cat : On ne peut pas terminer cet entretien sans écouter le fameux et incontournable « When the Saint go marching in« , joué par « Papa » Celestin et son Tuxedo Jazz Band.

         24. « When the Saint go marching in » – Celestin’s Tuxedo Jazz Band – New Orleans, 2/1950

                    Pers.: Oscar Celestin (tp) – Willians Matthews (tb) ­- Alphonse Picou (cI) – Octave Crosby (p) – Richard Alexis (b,voc) – Happy Goldston (dm)

                   Disque : LP30 Storyville SLP109 A4 (2’56)

Discographie

1)     King Oliver and his Dixie Syncopators

Coral 94112 EPC – 45T.

2)     Ragtime l – The City – Banjos, Brass Bands and Nickel pianos

Folkways F-RBF17 – CD

3)     Music of New Orleans, Volume Three – Music of the Dance Halls

Folkways F-2463 – CD

4)     New Orleans Jazz: The ‘Twenties

Folkways F-RBF203 – 2CD

5)     Collectors’ items 1925-1929

Historical Records 5829-20 – 30cm, 33T

6)     New Orleans Jazz

Decca DL 8283 – 30 cm, 33T.

7)     Pioneers of Jazz – 5 – Punch Miller 1928

Coral 94205 EPS – 45T

8)     Rare Louis Armstrong

Jazz Anthology 30JA 5116 – 30cm, 33T

9)     Abc du Jazz – Trombone (Nouvelle-Orléans)

POP SPO. 17.031 – 45T

10)  New Orleans function – Lous Armstrong AlI Stars

Brunswick EPB 10.007 – 17cm, 45T

11)  Bunk Johnson’s Band-1944 with George Lewis

Storyville SLP 128 – 30cm, 33T

12)  The Jazz History – New Orleans

Concert Hall SMS 7130 – 30cm, 33T (coffret)

13)  Louis Armstrong : 1923 with King Oliver’s Creole Jazz Band

Riverside 12-122 – 30cm, 33T

14)  Jelly Roll Morton – Classic Piano Solos

Riverside EP 109 – 45T

15)  Jelly-Roll Morton 1923-1924

Classics 584 – CD

16)  Pioneers of Jazz – 6 – King Oliver Vol. 1

Coral 94206 EPC – 45T

17)  Pioneers of Jazz – 13 – Jimmy Noone 1928/1929

Coral 94213 EPC – 45T

18)  Pioneers of Jazz – 3 – Johnny Dodds 1927

Coral 94203 EPC – 45T

19)  Jelly-Roll Morton 1924-1926

Classics 599 – CD

20)  The Cotton City Jazz Band Entertainment – Put on your Dancing Shoes.

SEDISC 16690 – CD.

21)  New Orleans Styles

Storyville SLP 109 – 30cm, 33T.

Bibliographie

1. Armstrong L. (1952) – Ma Nouvelle Orléans – Julliard, Paris.

2. Bergerot F. (2001) – Le Jazz dans tous ses états, Larousse / VUEF.

3. Bergerot F., Merlin A. (1991) – L’épopée du jazz – Vol. I – Du blues au bop, Découverte Gallimard, n° 114.

4. Carles P., Clergeat A., Comolli J.-L. (1988) – Dictionnaire du jazz, Robert Laffont, coll. « Bouquins ».

5. Charters S. (1958) – The Music of New Orleans Jazz – Music of the Dance Halls, notice accompagnant le CD Folkways F-2463.

6. Charters S. (1964) – New Orleans Jazz – The ‘20’S, notice accompagnant les CD Folkways F-RBF203.

7. Goffin R. (1948) – Nouvelle histoire du Jazz – du Congo au Bebop – Ed. L’Ecran du monde, Bruxelles – Les Deux Sirènes, Paris.

8. Heuvelmans B. (1951) – De la Bamboula au Be-Bop – Ed. de la main jetée, Paris.


[1] Les colons du Nouveau Monde ont élaboré des systèmes de mesure de la négritude des métisses lors de la période de l’esclavage. Des hiérarchies dont l’objectif principal était de préserver la « pureté de la race blanche ».

Selon le système de gradation de Médéric-Louis-Élie Moreau de Saint-Méry (1750-1819), théoricien du ségrégationnisme, un Blanc et un Noir étaient chacun constitués de 128 parts. Partant de ce principe, il établit que l’on est d’autant plus près ou plus loin de l’une ou l’autre couleur, qu’on se rapproche ou que l’on s’éloigne davantage du terme 64, qui sert de moyenne proportionnelle. D’après ce système, tout homme qui n’a point 8 parties de blanc est réputé noir. Marchant de cette couleur vers le blanc, on distingue neuf souches principales, qui ont encore entre elles des variétés d’après le plus ou moins de parties qu’elles retiennent de l’une ou de l’autre couleur. Ces neuf espèces sont le sacatra, le griffe, le marabout, le mulâtre, le quarteron, le métis, le mameluco, le quarteronné, le sang mêlé.

Le sang mêlé, en continuant son union avec le blanc, finit en quelque sorte par se confondre avec cette couleur. On assure pourtant qu’il conserve toujours sur une certaine partie du corps la trace ineffaçable de son origine.

Le griffe est le résultat de cinq combinaisons et peut avoir depuis 24 jusqu’à 32 parties blanches et 96 ou 104 noires.

Il est évident que ce type de raisonnement permettait de conforter le ségrégationnisme toujours en vigueur d’une manière latente aux Etats-Unis.

[2] Jimmy Clayton’s New Orleans Orchestra : Jimmy Clayton commença à jouer durant la grande Répression et pris part aux « brass bands » et orchestres des salles de danse de la Nouvelle-Orléans pendant plus de 20 ans. Ce musicien noir de petite taille était animé d’une intense joie de vivre. Les autres musiciens sont de la même génération et ont joué ensemble de nombreuses fois durant toutes ces années. La plupart des orchestres de danse de la Nouvelle-Orléans des années 1950 jouait dans un style dérivé, d’une part des enregistrements des anciens « swing bands » et d’autre part des « brass bands » » et « dance bands » de la cité. La forme reste celle du vieux style traditionnel, tandis que les solos prennent en couleur et en intensité. L’influence des « brass bands » se fait sentir dans « Gettysburg March« , avec son rythme balancé de marche en 6/8 et le jeu d’ensemble des trois instruments à vent. Clayton a un jeu puissant et clair, tandis que le solo de Burbank est admirablement contrôlé et de très bon goût. C’est le seul clarinettiste qui joue avec une « double » embouchure – l’embouchure italienne -, ce qui lui donne une sonorité particulière (d’après le livret d’accompagnement du CD).

[3] L’esclavage et la guerre de Sécession

« Pendant le premier quart du XIXe siècle, la Frontière se déplaça vers l’ouest, jusqu’au Mississippi et au-delà. En 1828, les électeurs américains portèrent pour la première fois à la présidence un « outsider » : Andrew Jackson, issu d’une famille pauvre du Tennessee et étranger aux traditions culturelles de la côte atlantique.

Si, en apparence, l’ère jacksonienne fut une période d’optimisme et d’énergie, la jeune nation restait prisonnière d’une contradiction. Les nobles termes de la Déclaration d’Indépendance, selon laquelle « tous les hommes sont créés égaux », étaient vides de sens pour 1,5 million d’esclaves. En 1820, les hommes politiques sudistes et nordistes examinèrent la question de la légalité de l’esclavage dans les territoires de l’Ouest. Le Congrès parvint à un compromis : l’esclavage serait autorisé dans le nouvel État du Missouri et sur le territoire de l’Arkansas mais interdit partout ailleurs à l’ouest et au nord du Missouri. L’issue de la guerre contre le Mexique (1846-1848) accrut les possessions territoriales des Américains et posa à nouveau la question de l’extension de l’esclavage.

En 1850, un autre compromis permit d’admettre la Californie au sein de l’Union en qualité d’État libre et conféra aux citoyens de l’Utah et du Nouveau-Mexique le droit d’autoriser ou non l’esclavage à l’intérieur de leurs frontières (ils refusèrent).
Mais les rancœurs persistaient. Après l’élection à la présidence en 1860 d’Abraham Lincoln, adversaire de l’esclavage, onze États quittèrent l’Union et se proclamèrent membres d’une nouvelle nation indépendante : les États confédérés d’Amérique, lesquels regroupaient la Caroline du Sud, le Mississippi, la Floride, l’Alabama, la Géorgie, la Louisiane, le Texas, la Virginie, l’Arkansas, le Tennessee et la Caroline du Nord. Ainsi éclata la guerre de Sécession. L’armée confédérée l’emporta au début des hostilités et certains de ses commandants, en particulier le général Robert E. Lee, furent de brillants stratèges. Mais l’Union disposait de forces supérieures en hommes et en ressources

Pendant l’été 1863, Lee joua son va-tout en envoyant ses troupes dans le Nord jusqu’en Pennsylvanie. Il se heurta à l’armée de l’Union à Gettysburg, où eut lieu la plus grande bataille qui ait jamais été livrée sur le sol américain. Au bout de trois jours de combats désespérés, les Confédérés durent s’avouer vaincus. Au même moment, sur le Mississippi, le général nordiste Ulysses S. Grant, prenait la ville de Vicksburg. L’Union contrôlait désormais toute la vallée du Mississippi, coupant en deux la Confédération.

Deux ans plus tard, après une longue campagne où s’affrontèrent les armées commandées par Lee et Grant, les Confédérés capitulèrent. La guerre de Sécession fut l’épisode le plus traumatisant de l’histoire des États-Unis. Mais elle régla deux problèmes qui tourmentaient les Américains depuis 1776. Elle abolit l’esclavage et confirma que le pays ne se composait pas d’États semi-indépendants mais formait une nation, une et indivisible. »

Source: Portrait des États-Unis. Chapitre 3. Vers la cité sur la colline. Une histoire succincte de l’Amérique, Service d’information du Département d’État, É.-U.

[4] Pierre Le Moyne d’Iberville (* Ville-Marie, actuelle Montréal, 1661 – … La Havane, 1706). Le 31 janvier 1699, commandant deux frégates, la Badine et le Marin, Pierre Le Moyne d’Iberville jette l’ancre dans la baie de Biloxi. Sa mission est d’établir une colonie française sur le golfe du Mexique et de découvrir l’embouchure du Mississippi. Cette découverte doit assurer à la France le contrôle d’une seconde voie de pénétration du continent nord-américain et permettre de limiter l’expansion des colonies américaines vers l’Ouest.

Le 2 mars 1699, il réussit là où Robert Cavelier de la Salle a échoué : il trouve, par voie de mer, l’embouchure du Mississippi. Trois expéditions successives, en 1699, 1700 et 1701, lui permettent de construire les forts Maurepas (Biloxi), Mississippi et Saint-Louis (Mobile).

Biloxi est le nom d’une petite tribu amérindienne que d’Iberville rencontre en 1699 dans la baie qui porte aujourd’hui son nom : D’Iberville. Le poste de Biloxi étant bien situé le long du littoral continental, d’Iberville souhaite qu’il devienne le centre maritime de la colonie louisianaise. Toutefois, en 1722, c’est Nouvelle-Orléans qui deviendra le nouveau centre de cette colonie.

[5] Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville (* Ville-Marie, actuelle Montréal, 1680 – … Paris, 1767). Lorsqu’il est nommé officiellement gouverneur de la Louisiane en 1732 – titre qu’il n’avait jamais porté auparavant – Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville ne débute pas sa carrière en Nouvelle-France. Né à Montréal en 1680, il servit d’abord sous les ordres de son frère aîné, Pierre Le Moyne d’Iberville, à Terre-Neuve et à la baie d’Hudson pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg, puis en Louisiane à partir de 1699. À plusieurs reprises, il dirigea la colonie (1701-1712, 1717-1725, 1732-1743), et les historiens en ont d’ailleurs souvent fait le  » père de la Louisiane « .

En 1712, lorsque le financier Antoine Crozat prit en charge le développement de la colonie, Bienville espérait le poste de gouverneur mais fut évincé au profit de Lamothe Cadillac. Il retourna aux affaires en 1717, avec le titre de commandant général, alors que le monopole de la Louisiane avait échu à la Compagnie d’Occident, et il parvint à imposer le site d’une nouvelle capitale, La Nouvelle-Orléans, non sur la côte comme d’autres le suggéraient, mais sur le Mississippi, qui devait devenir l’épine dorsale du commerce et de la colonisation. En mauvais termes avec les administrateurs de la Compagnie des Indes, il fut rappelé en France – pays qu’il connaissait à peine – en 1725.

Bienville avait la réputation de bien connaître les Indiens. Maîtrisant le  » mobilien « , lingua franca du bas Mississippi, il fut sans doute le seul gouverneur d’une des colonies de la Nouvelle-France à s’adresser aux autochtones sans l’entremise d’un interprète. Il poussa l’indianisation jusqu’à se faire tatouer un serpent qui lui faisait le tour du corps. Après son retour en 1733, il se lança dans une politique de fortifications et, à deux reprises, en 1736 et en 1739-1740, mena des expéditions contre les Chicachas, sans jamais parvenir à les vaincre. Prenant sa retraite en 1743, il vécut à Paris jusqu’à sa mort survenue en 1767.

[6] The Original Tuxedo Jazz Orchestra : cet orchestre a été mis sur pied par Oscar Celestin et Bill Ridgely à la fin de la première guerre mondiale. Ils jouèrent ensemble dans l’orchestre de danse du vieil Tuxedo Dance Hall  dans Storyville. Ensuite, ils intégrèrent l’orchestre de Clarence Williams, en 1916,  pour une tournée de vaudeville. Ridgely tenait une boutique de repassage et un client lui suggéra de constituer un orchestre, dont les musiciens seraient en smoking et d’essayer de trouver des engagements pour des manifestations populaires. L’idée s’avéra payante et lorsque l’orchestre enregistra ses premiers morceaux, il était déjà très célèbre à la Nouvelle-Orléans. Celestin n’était pas un cornettiste « hot« . Il préférait diriger et laisser la part belle au jeune Shots Madison. John et Simon Marrero étaient les frères du banjoïste Lawrence Marrero qui s’était fait connaître avec l’orchestre de George Lewis (d’après le livret d’accompagnement du CD).

[7] Miller « Punch » Ernest : trompettiste et chanteur noir américain (* Raceland, Louisiane, 14-6-1894 / … La Nouvelle-Orléans, Louisiane, 2-12-1971). Il commence très jeune à jouer de la grosse caisse, puis du saxhorn baryton et du trombone. Il se consacre ensuite au cornet. Il fait partie de diverses formations avant d’être incorporé dans l’armée où il est affecté à un orchestre militaire. A sa libération, en 1919, il s’installe à la Nouvelle-Orléans, côtoie Kid Ory, entre dans le groupe du tromboniste Jack Carey, puis monte sa propre équipe qu’il emmène dans de nombreuses tournées au début des années 1920.. En 1926, il monte à Chicago où il est engagé par Jelly Roll Morton (1927), le tromboniste Albert Wynn, Tiny Parham, Erskine Tate  (Vendome Theatre, 1927), Freddie Keppard (1928), le batteur François Moseley (1929), qu’il retrouve à plusieurs reprises jusqu’en 1934. Au début des années 1940, on le voit à la tête  d’une petite formation programmée dans les clubs de la Cité des Vents, ensuite il entreprend une série de tournées au sein d’orchestres qui animent des carnavals. En 1947, il est l’un des protagonistes de l’émission de radio « This is Jazz » de Rudi Blesh, puis figure encore dans des orchestres de cirques. Après 30 ans d’absence, il retourne en 1956 à la Nouvelle-Orléans, où il joue dans différents orchestres. Mais en 1959, il doit interrompre ses activités pour cause de maladie. L’année suivante, il embouche à nouveau sa trompette, dirigeant un orchestre à Cleveland. En 1964, il effectue une tournée au Japon dans le groupe de George Lewis, chez qui il reste jusqu’en 1965, toujours à la Nouvelle-Orléans.  Affaibli par la maladie, il ne pourra jouer que de façon intermittente.

« Punch » Miller, fier de sa grande vélocité de doigté, se croyait l’égal de Louis Armstrong. Il possède certes, beaucoup de qualités dans ses meilleurs moments : puissance d’expression, ample et chaude sonorité, mais il n’a ni l’autorité ni la force créatrice de « Satchmo » (d’après « Le dictionnaire du Jazz »).

[8] Wynn Albert : tromboniste et chef d’orchestre noir américain (* La Nouvelle-Orléans, Louisiane, 29-7-1907 / … Chicago, Illinois, 5-1973). Après avoir joué dans l’orchestre de son école, le « Bluebirds Kid’s Band« , il accompagne la chanteuse Ma Rainey et joue dans l’orchestre de Charlie Creath (1927). Il dirige son propre ensemble à Chicago de 1927 à 1928, puis accompagne Sam Wooding dans sa tournée européenne (1929-1932). Il retourne aux Etats-Unis, joue avec Sidney Bechet (1933), Fletcher Henderson (1937-38), Jimmie Noone, Richard M. Jones. Ensuite, il dirige un magasin de musique et de disques. Dans les années 1960, il abandonne la scène musicale pour des raisons de santé.

Albert Wynn pratique un jeu classique de trombone, essayant de rendre son instrument aussi mobile que la trompette (d’après « Le dictionnaire du Jazz »).

[9]

Tiré du livre d’Alan Lomax, « Mister Jelly Roll ».

Bourbon Street, French Quarter, New-Orleans : rue la plus connues du Vieux Carré.

[10] Piron’s New Orleans Orchestra : Armand Piron, à l’instar d’Oscar Celestin joua énormément lors de manifestations populaires. L’orchestre fut constitué par Piron et Peter Bocage, à la fin de 1918, quand Bocage quitta son travail sur le S.S. Capitol (« riverboat« ) pour le cornet. Leur ensemble jouait au « Tranchina’s Restaurant » dans le quartier du « Spanich Fort Resort« , le long du lac Ponchartrain. Il fut l’orchestre attitré de l’établissement jusqu’en 1928. La « Werlein Music Compagny » leur organisa une séance d’enregistrement dans les studios Victor à New York, en 1923. Ils profitèrent de leur séjour pour accepter un court engagement au « Cotton Club« , étant ainsi le premier ensemble de couleur à jouer dans cet établissement. Il revinrent, l’année suivante, pour une très courte période et jouèrent au « Roseland Ballroom« . Les enregistrements suivants se feront à la Nouvelle-Orléans. Bien que cet petit ensemble possède un « swing » indéniable et que les arrangement son de bon goût, c’est le jeu de Lorenzo Tio Jr. qui fait l’intérêt de ces enregistrements. Tio était un très bon clarinettiste qui exerça une grande influence sur la génération des jeunes musiciens de l’époque comme Sidney Bechet, Johnny Dodds ou Jimmy Noone (d’après le livret d’accompagnement du CD).

[11] Sam Morgan’s Jazz Band : La vie musicale afro-américaine à la Nouvelle-Orléans durant les années 1920 tournait autour de cinq hommes : les cornettistes Buddy Petit, Chris Kelly, Punch Miller, Kid Rena et Sam Morgan. Leurs ensembles marquaient le style pour le reste des orchestres de la ville et pour tous les jeunes musiciens qui cherchaient leur voie.  C’étaient des « hot bands« , interprétant un jazz typique de la Nouvelle-Orléans. Le rythme consistait en un 4/4 non accentué ; il n’y avait pas d’arrangements et la mélodie était soutenue par une polyphonie libre des trois instruments principaux. Ce genre de musique resta longtemps confinée aux populations défavorisées de la ville et avait les pires difficultés à se faire connaître de la société blanche. On peut se faire une idée de leur musique en écoutant l’orchestre de Sam Morgan, en se référant aux descriptions des musiciens de l’époque et à travers les premiers enregistrements du courant « Revival » faits à la Nouvelle-Orléans durant les années 1940.. Malheureusement, il y a très peu d’enregistrements des années 1920. Buddy Petit et Chris Kelly n’ont jamais enregistré ; cependant, il reste un remarquable enregistrement fait à Dallas en 1928 du « Frenchie’s String Band » et qui permet d’entendre un cornettiste non identifié, dont le jeu ressemble aux descriptions anciennes du style de Petit. Kid Rena aurait enregistré avec son orchestre à Chicago en 1923, mais rien ne permet de confirmer cela. Il n’existe pas d’enregistrement de Punch Miller et son orchestre. Cependant, on le retrouve, accompagnant dans un blues, les chanteurs de vaudeville Billy et Mary Mack, enregistré à la Nouvelle-Orléans en 1925, et dans quelques enregistrements plus tardifs (1928) au sein du « Jimmy Wade and his Dixielanders » et du « Albert Wynn’s Gutbucket Five« . Il n’existe que huit titres enregistrés par le « Sam Morgan’s Jazz Band« .

Sam Morgan dirigea un orchestre à New York durant quelques années. Mais en 1925, il  subit un problème de santé, il avait juste 30 ans, et la vie des musiciens orléanais était frénétique. Petit et Kelly étaient morts avant la Dépression. Rena vivra plus longtemps ce qui lui permit de participer au courant « Revival » en 1940 et de jouer encore plusieurs années. Les jeunes frères de Sam, Isaiah et Andrew dirigeaient leur propre orchestre et quand Sam fut rétabli en 1926, il en prit la direction et un altiste new-yorkais, Earl Fouche rejoignit le groupe. L’orchestre de Celestin enregistrait à cette époque et c’est grâce à ses suggestions que le « band » de Sam Morgan  eut la possibilité de graver quelques morceaux. Cela fut fait en deux sessions : la première en avril 19217, la seconde en octobre de la même année. Le dernier air de la première session était un « spiritual« , « Sing On« . L’idée plut au producteur. Il semble que c’était la première fois qu’un « jazz band »  jouait ce genre de pièce religieuse. Lors de la deuxième session, deux « spirituals » furent immortalisés : « Down by the Riverside » et « Over in the Gloryland » (d’après le livret d’accompagnement du CD).

[12]   Louis Dumaine’s Jazzola Eight : Louis Dumaine était un chef d’orchestre et professeur de musique bien connu à la Nouvelle-Orléans. Son orchestre représentait  un compromis stylistique entre  les « hot bands« , généralement restreints aux salles de danse des gens de couleur, et les orchestres de danses comme celui de Piron au « Tranchina’s Restaurant« . Dumaine occupa de nombreux postes au sein des « brass bands » et dans les salles de danse. Il joua avec le meilleur trompettiste de blues de l’époque, Chris Kelly, dont il subit l’influence et que l’on ressent dans son solo de « Franklin Street Blues » (d’après le livret d’accompagnement du CD).

[13]  Jimmie Noone : clarinettiste, saxophoniste (alto et soprano) et chef d’orchestre métis américain (* Cut-Off, Louisiane, 23-4-1895 / … Los Angeles, Californie, 19-4-1944). Né dans les environs de la Nouvelle-Orléans, il commence par étudier la guitare, avant la clarinette, vers l’âge de 15 ans. A la fin de 1910, sa famille s’installe dans la Cîté du Croissant et le jeune Jimmie prend des leçons avec Sidney Bechet. Il fait ses débuts dans l’orchestre de Freddie Keppard (1913). Un an plus tard, en compagnie de Buddie Petit, il forme le « Young Olympia Band« . Durant les étés 1916 et 1917, il dirige son trio au « Pythian Temple Roof Garden » tout en jouant occasionnellement avec Kid Ory et Papa Celestin. Vers la fin de 1917, il rejoint à Chicago l’ »Original Creole Band »  de F. Keppard, avec lequel il se produit au « Logan Square Theatre » et effectue plusieurs tournées avant la dissolution du groupe au printemps 1918. Sa carrière se poursuit en jouant avec différents groupes à Chicago, New York et en Californie.

Jimmie Noone est l’un des plus grands clarinettistes de l’histoire du jazz, et il représente à merveille l’école créole. Son jeu est servi par une éblouissante technique, une sonorité très pure. Son vibrato lui donne un aspect émouvant. Pour Noone, la clarinette est un instrument de contrepoint pour les improvisations collectives. Il a influencé de nombreux jazzmen, d’Omer Siméon à Benny Goodman (d’après « Le dictionnaire du Jazz »).

[14] Johnny Dodds : clarinettiste et saxophoniste noir-américain (* La Nouvelle-Orléans, Louisiane, 12-4-1892 / … Chicago, Illinois, 8-8-1940). Frère aîné du batteur Baby Dodds. Après avoir pris des leçons de clarinette auprès de Lorenzo Tio Jr et de Charlie McCurdy, il débute dans l’orchestre de Kid Ory (1911-18). Bref séjour dans l’orchestre de Fate Marable sur le « riverboat » Capitol. Monte à Chicago où il est engagé par King Oliver (1920), puis Honoré Dutrey (1924). Il dirige son propre groupe au « Kelly’s Stable« . Il enregistre avec les « Hot Five » et « Hot Seven » de Louis Armstrong (1925-1927) et avec les plus grands musiciens de passage dans la ville : Oliver, Natty Dominique, Lovie Austin, Ory, Jimmy Bertrand, Jasper Taylor, Jelly-Roll Morton et avec diverses chanteuses de blues. Au cours des années 30, il continue de diriger des petits groupes dans divers cabarets de la ville. Il fait un séjour à New York, le temps de quelques séances d’enregistrements, notamment avec Charlie Shavers (1938). De retour à Chicago, victime d’une attaque cardiaque, il continue cependant à se produire avec son frère. Peu avant sa mort, il participe avec Natty Dominique à une séance d’enregistrement (1940).

Remarquable joueur de blues Johnny Dodds est aussi un remarquable clarinettiste d’improvisation collective. Il sait, magistralement tracer un contrepoint aux parties de trompette et de trombone. Son jeu âpre, violent, son vibrato serré, « méchant » en quelque sorte, contraste avec celui d’un Jimmie Noone ou d’un Sidney Bechet qui partage avec lui la première place parmi les clarinettistes orléanais. Mezz Mezzrow, Buster Bailey comptent parmi ses disciples, dont le plus brillant est incontestablement le Français Claude Lutter  (d’après « Le dictionnaire du Jazz »)

[15]   Fate Marable’s Society Syncopators : c’était l’orchestre attitré du S.S. Capitol, un des  « riverboats »  exploité par la « Strekfus Lines« , sur le Mississippi. Ce bateau à vapeur passait les mois d’hiver à St. Louis et les étés à la Nouvelle-Orléans, organisant des bals nocturnes et des excursions. Travailler pour les Strekfus n’était pas chose facile et de ce fait Fate n’était pas très bien vu de ses musiciens, mais le job était régulier. Durant son existence, l’orchestre compris dans ses rangs de nombreux musiciens de la Nouvelle-Orléans comme Louis Armstrong, Johnny Dodds, Manuel Perez, Pops Foster, Johnny St. Cyr et Peter Bocage. Le seul enregistrement que fit le « band« , l’un des plus rares de jazz, n’a pas un grand intérêt historique, mais les deux cornettistes qui y jouent sont des Orléanais : Didney Desvigne était un jeune très prometteur, et son solo dans ce morceau, qui est le seul qu’il ait enregistré, nous donne un moment très intense. D’après l’opinion des vétérans, cet orchestre amena le style rythmique du 4/4 non accentué à Memphis et les anciens batteurs appelait celui-ci le « Memphis time » (d’après le livret d’accompagnement du CD).

Bateau à roue « Cotton Blossom » évoquant les « riverboats » qui naviguaient entre la Nouvelle-Orléans et Memphis

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