I. LES SAVANTS FRANCAIS S’IMPLIQUENT EN POLITIQUE
Avant de poursuivre notre histoire de la physique atomique, il est utile de resituer le contexte dans lequel nos physiciens français ont évolué et de comprendre leur implication dans la politique de leur pays.
La prise de position de Frédéric Joliot-Curie, sur le plan politique, remonte au 6 février 1934. Que s’est-il passé ce jour-là ? Édouard Daladier (1884-1970) présente à l’Assemblée nationale son nouveau gouvernement, à la suite de la découverte, un mois plus tôt, du cadavre d’un escroc, le financier Alexandre Stavisky (1886-1934). L’homme était recherché pour le détournement de fonds au Crédit municipal de Bayonne. L’opinion publique soupçonne – à tort – les ministres et les députés d’avoir trempé dans ses combines. Chacun s’indigne… C’est ainsi que des ligues et des mouvements paramilitaires appellent à manifester le même jour à Paris, place de la Concorde. Parmi les organisateurs de la manifestation figurent la ligue monarchiste Action française, la ligue des Jeunesses patriotes fondée en 1924 par Pierre Taittinger (1887-1965), député de Paris, le groupe Solidarité française du parfumeur François Coty (1874-1934), émule de Mussolini… mais aussi l’association d’anciens combattants Les Croix de Feu du lieutenant-colonel de La Roque (1885-1946), qui se veut apolitique. Tous ces groupes sont orientés à droite ou à l’extrême-droite. On relève également la présence d’un mouvement communiste, l’Association républicaine des anciens combattants. Tous se mobilisent sur le thème « À bas les voleurs ! » et réclament davantage de civisme, d’honnêteté. La manifestation dégénère rapidement. Tandis que Les Croix de Feu se dispersent sans attendre, des milliers de militants en armes marchent sur le Palais-Bourbon, siège de la Chambre des députés, en face de la place de la Concorde. La Garde mobile tire. Les affrontements se prolongent pendant la nuit et causent la mort de seize manifestants et d’un policier. On compte un millier de blessés. Non sans mauvaise foi, la gauche parlementaire dénonce une tentative de coup d’État fasciste. Elle appelle au rassemblement des forces progressistes. Trois jours plus tard, une contre-manifestation à laquelle participent les socialistes et les communistes dégénère à son tour et fait 9 morts. Le président du Conseil Édouard Daladier, porté au pouvoir par la majorité législative élue en 1932, doit céder la place à l’ancien président de la République Gaston Doumergue (1863-1937) à la tête du gouvernement.
A la suite de ces événements tragiques, Frédéric adhère au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA) créé par le physicien Paul Langevin, l’ethnologue Paul Rivet (1876-1958) et le philosophe Alain (1868-1951), le 5 mars 1934.
La manifestation du 6 février entraînera la création du Front populaire qui réunit les partis de gauche, sous l’impulsion, de Maurice Thorez (1900-1964) (P.C.). Ce mouvement remporte les élections législatives d’avril – mai 1936. Des grèves spontanées éclatent alors et se généralisent à tout le pays dans une atmosphère de fête et d’espérance. Dans ce climat, le gouvernement de Léon Blum (1872-1950) (SFIO) favorise la signature entre le patronat et les syndicats des Accords Matignon (7 juin 1936). Les mesures les plus importantes sont l’établissement des conventions collectives, l’élection de délégués-ouvriers et des augmentations de salaires. L’Assemblée votera ensuite la loi des Congés payés et celle sur la semaine de 40 heures. L’année suivante les premières nationalisations (S.N.C.F. et usines d’armement) sont décidées. Le gouvernement du Front populaire établit en quelques semaines les traits essentiels de la législation sociale contemporaine.
De plus, afin d’améliorer le sort des scientifiques, Blum, dès son arrivée au gouvernement crée un sous-secrétariat d’Etat à la Recherche scientifique qu’il confie à Irène Joliot-Curie. Elle accepte le poste contre son gré et y renonce après deux mois seulement, le laissant à Jean Perrin plus diplomate et plus efficace.
Frédéric entre au Parti socialiste.
« Pour moi, raconta-t-il à un de ses biographes, Michel Rouzé, le passage dans la SFIO répondait à la nécessité immédiate d’entrer dans un parti, d’éprouver le coude à coude, d’amplifier sa force, de n’être plus isolé. C’était une espèce de stade avant d’aller au communisme. »
Très vite, dès1936, les Joliot-Curie sont en désaccord avec le gouvernement du Front populaire à propos de sa politique de non-intervention en Espagne.
A la suite de nombreuses difficultés et de l’action virulente de la droite, Blum démissionne en juin 1937. En septembre – décembre 1938, le Front populaire est définitivement écarté du pouvoir et remplacé par un gouvernement radical conduit par Edouard Daladier qui signera les accords de Munich, conjointement avec Chamberlin et Mussolini (30/9/1938), avant de déclarer la guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939.
Au Comité de vigilance (CVIA), Frédéric est proche de Paul Langevin et de ceux qui dénoncent la politique d’apaisement devant les États fascistes. Après Munich, avec les Perrin et d’autres savants, les Joliot-Curie expriment dans une lettre ouverte au président du conseil, Édouard Daladier, leurs inquiétudes devant la politique extérieure de la France :
« Nous craignons que nos intérêts à l’extérieur soient confiés à des hommes très faibles. Nous demandons qu’aucune concession ne soit faite aux exigences allemandes et italiennes. »
Proche du PC sans en être membre, Joliot-Curie accepte de signer en juin 1938, avec deux autres Prix Nobel, sa femme Irène et Jean Perrin, une lettre au procureur général de l’URSS en faveur du physicien Alexandre Weissberg qui avait été emprisonné. Installé en URSS depuis 1931, Weisberg avait été un des fondateurs du Journal de physique soviétique avant d’être victime de la grande purge de 1937. Incarcéré pendant trois ans, il est remis à la Gestapo après signature du pacte germano-soviétique. Transféré à Varsovie, passant dans la clandestinité, repris, Weisberg parvient au lendemain de la guerre à quitter la Pologne pour la Suède avant de s’installer en Angleterre. Il est aux premières loges à Kharkov pour analyser la mise en œuvre de la grande purge dans les milieux scientifiques qu’il devait rapporter, par la suite, dans un ouvrage préfacé par Arthur Koestler. Koestler avait lui aussi passé un certain temps à Kharkov au début des années 30 et lorsqu’il avait appris, en 1938, l’arrestation de son ami et ancien camarade, il avait entrepris une campagne de mobilisation internationale en sa faveur avec le concours d’Albert Einstein, Jean Perrin, Frédéric et Irène Joliot-Curie.
En août 1939, Frédéric signe l’Appel de l’Union des intellectuels français qui exprimait sa « stupéfaction » devant le Pacte germano-soviétique de non-agression signé par von Ribbentrop et Molotov :
« Les intellectuels français, qui ont tous ardemment réclamé, contre la menace hitlérienne, la constitution du Front de la Paix et le pacte d’entente franco-anglo-soviétique, réprouvant toute duplicité dans les relations internationales, expriment leur stupéfaction devant la volte-face qui a rapproché les dirigeants de l’URSS des dirigeants nazis, à l’heure même où ceux-ci menacent, en même temps que la Pologne, l’indépendance de tous les peuples libres.
Ils restent fidèles à l’idée que le seul moyen de sauver cette indépendance est d’unir tous les peuples qui, quel que soit leur régime intérieur, sont résolus à faire front contre l’agression et à fonder la paix sur le Droit… » (L’Oeuvre et Le Temps, 30 août 1939).
II. CALCUL DE LA MASSE CRITIQUE ET L’AFFAIRE DES BREVETS NUCLEAIRES
Nous avons vu dans la partie précédente que Joliot-Curie s’était adjoint les services du théoricien Francis Perrin. Il lui demanda, ses connaissances mathématiques étant insuffisantes, de faire une première tentative de calcul de la masse critique d’uranium nécessaire pour réaliser une explosion. Perrin publia ses calculs, le 1er mai 1939, dans un compte rendu de l’Académie des sciences, lesquels annonçaient une masse critique de matière fissible d’environ 40 tonnes pouvant être réduite à 12, si on l’enfermait dans une enceinte réfléchissant les neutrons. Après quelques hésitations et sachant que d’autres équipes de chercheurs s’étaient lancées dans cette voie, Joliot et son équipe brevetèrent leurs inventions[1]. Ces brevets provoquèrent un imbroglio juridique dont l’Etat français n’est jamais sorti. En effet, les savants atomistes français, s’inspirant du modèle germanique, déposèrent trois brevets secrets de droit privé entre le 1er et le 4 mai 1939, mais dont les frais de dépôt en France et à l’étranger furent pris en charge par la Caisse nationale de la recherche scientifique (future CNRS) et en son nom. Droit public et droit privé furent ainsi mêlés. Dansn une négociation avec le directeur du CNRS, les inventeurs renoncèrent à la majeure partie des bénéfices, se contentant de 5% chacun, le restant étant attribué au CNRS par donation. Cette disposition inhabituelle entraîna de telles difficultés que lorsque la guerre éclata, rien n’était encore finalisé et l’on resta à un engagement verbal. Le 3ème brevet, « Perfectionnements aux charges explosives » fut considéré « secret défense » par le président du Conseil et ministre de la Défense nationale, Edouard Daladier et devenait par nature propriété de l’Etat.
III. CONTACTS AVEC L’UNION MINIERE DU HAUT-KATANGA
Afin de poursuivre ses recherches expérimentales, Joliot, dès le dépôt des brevets, prend contact avec l’Union Minière du Haut-Katanga, afin d’obtenir la quantité d’oxyde d’uranium dont il a besoin. La rencontre a lieu le 8 mai 1939 à Bruxelles. Joliot est reçu par Edgar Sengier (1879-1963), l’administrateur délégué de la société et par Gustave Lechien, directeur de la division du radium. La discussion porte sur les perspectives nouvelles de la pechblende, sur l’importance des stocks en Belgique. Le Français propose aux deux Belges de développer en commun ce nouveau domaine qui s’ouvre à eux. Sengier, conquit, accepte de se rendre à Paris à la fin de la semaine.
Entre-temps, Joliot avait écrit à Bruxelles (le 10 mai) pour obtenir les conditions de stockage de l’oxyde d’uranate, soit la forme, les dimensions et la teneur en eau. Cette demarche est entreprise dans le but d’évaluer les conditions minimales pour l’obtention d’une réaction en chaîne et de s’assurer de l’absence de danger qu’une telle réaction ne se déclanche dans la configuration physique des stocks. La réponse, le lendemain, fait état d’une pyramide tronquée de 2 m 25 de haut, de 17 x 16 m à la base et de 45% d’eau.
Dans le même temps, la parution de la note de l’équipe du Collège de France dans la revue « Nature » impressionne le physicien britannique George Thomson (1892-1975) qui alerte les autorités de son pays, afin qu’elles prennent contact avec la firme belge pour acquérir un tonnage important de minerai, et d’empêcher que le stock existant ne passe en totalité ou en partie aux mains des Allemands. Le 10 mai, Sengier est à Londres, où il rencontre un des vice-présidents de l’UMKH, lord Stonehaven, et sir Henry Tizard (1885-1959), un des principaux conseillers scientifiques du gouvernement britannique. Ce dernier est sceptique quand à l’utilisation d’uranium pour la réalisation d’une bombe. Aussi n’est-il pas disposé à engager d’importants fonds gouvernementaux dans l’achat de la totalité des stocks. Il découle de cette rencontre, que Sengier est tenu d’avertir le gouvernement britannique de tout achat anormal et de son origine, et que les Britanniques font l’acquisition d’une tonne d’oxyde d’uranium pour la somme de 700 livres sterling.
Une deuxième rencontre, le 13 mai, à Paris cette fois, met en présence E. Sengier et G. Lechien de l’UMKK d’une part, et Henri Laugier (1888-1973), directeur du CNRS, F. Joliot-Curie et son équipe (Halban, Kowarski, Perrin) de l’autre. Un projet de contrat est établi entre les deux parties sur la base des brevets n° I et II, prévoyant une participation dans le futur de la société belge et la livraison immédiate de 8 tonnes d’oxyde d’uranium (5 tonnes fin mai 1939 et 3 tonnes en mars 1940), puis de 50 tonnes pour une expérience de grande envergure. L’UMHK met également son bureau technique à la disposition des savants.
Au début des hostilités, afin de trouver un arrangement avec les inventeurs et les autres partenaires industriels, le CNRS s’apprêtait à fonder une société de droit privé, la « Société anonyme pour l’Exploitation de l’Energie nucléaire » (SPEDEN). Celle-ci était indispensable si l’on voulait passer une convention avec l’ « Union Minière du Haut-Katanga », la seule société privée qui possédait au monde la quantité d’uranium nécessaire. Le projet de société mixte fut mis en délibéré le 15 mars 1940 au cours d’une séance du comité juridique du CNRS. L’affaire était inextricable du point de vue juridique. Comment concilier les droits des inventeurs, les intérêts de l’Etat français et l’association avec une compagnie privée ? De nouveaux projets furent examinés les 30 avril et 3 mai 1940 au moment de l’invasion allemande. Malheureusement, aucun accord définitif ne fut signé entre l’Etat et les savants. Le 2 juin, une proposition de convention fut envoyée par G. Lechien au CNRS prévoyant l’apport d’un million de francs français à l’expérience et la constitution d’un syndicat d’exploitation en cas de réussite. L’article 2 de cette convention comportait une clause assez piquante :
« Dans le cas où l’oxyde d’urane mis à la disposition de la Société, conformément au présent accord, ne serait pas détruit par l’expérience, il sera rendu à l’Union minière du Haut-Katanga […] ».
L’Union minière accepte de prêter aux scientifiques un gramme de radium sous la forme d’un mélange de radium et de béryllium. Cette composition est, à ce moment, la source de neutrons la plus efficace par l’action du rayonnement du radium sur le béryllium. La firme belge s’engage également à étudier en ses laboratoires les installations destinées aux expériences envisagées, et à valoriser les deux brevets existants et ceux à venir. Les bénéfices seront partagés pour moitié, sauf ceux réalisés en France et dans ses colonies qui reviennent à 80% pour la société française, et ceux dégagés en Belgique, au Luxembourg et au Congo qui seront acquis à raison de 80% pour l’UMKH. Etant donné la difficulté de définir dans cette affaire l’interlocuteur français, un accord ne fut jamais officiellement ratifié.
Toutefois, Leschien expédie, dès le 23 mai 1939, 100 barils d’une contenance de 100 Kg d’oxyde d’uranium, à Joliot, respectant la promesse de la première livraison de 5 tonnes de minerai. En mai, les 3 autres tonnes seront également livrées, ainsi qu’un prêt de plusieurs grammes de radium.
Quelques semaines avant l’attaque allemande, Frédéric Joliot avertissait par lettre le directeur de l’UMHK, Gustave Lechien, que la société à naître avait déposé les brevets n° I et n° II dans 26 pays dont la Grande-Bretagne, l’Allemagne et les Etats-Unis. Quand au brevet n° III, il ne fut porté officiellement à la connaissance d’aucune puissance étrangère. Ce n’est que le 30 avril 1946, qu’il fut enregistré aux Etats-Unis, alors que la bombe américaine avait déjà presque un an d’existence !
IV. TRAQUE A LA REACTION EN CHAINE DIVERGENTE
Les vraies recherches pratiques sur la fission de l’uranium et la réaction en chaîne qui en découlait commencèrent dès la fin août 1939. La correspondance de Frédéric Joliot, nous apprend que dès le 23 août ces travaux s’effectuaient au Laboratoire de synthèse atomique du CNRS, au 57, rue Franklin à Ivry. Rappelons que Frédéric Joliot-Curie fut nommé professeur de physique au Collège de France et directeur du Laboratoire de physique atomique d’Ivry, en 1937.
A la fin du mois de septembre notre scientifique écrivait à Raoul Dautry (1880-1951), polytechnicien, ministre de l’armement du cabinet Daladier, une lettre confidentielle disant ceci :
« Monsieur le Ministre, faisant suite à notre récent entretien relatif à la libération de l’énergie atomique de l’uranium, je me permets de vous adresser ci-joint un rapport confidentiel sur cette question : on sait depuis longtemps que les phénomènes de radioactivité et de transmutation naturelle ou provoquée s’accompagnent d’un dégagement d’énergie plusieurs millions de fois plus grand que celui qui accompagne les réactions chimiques à égalité de masse transformée ».
A titre de comparaison, un gramme d’uranium donnerait lieu à un dégagement énergétique de l’ordre de 20 millions de kilocalories soit l’équivalent de la combustion de 2,5 tonnes de charbon !
De plus, Frédéric Joliot avançait, avec raison, que son équipe était la mieux placée pour entreprendre la séparation isotopique de l’235U. Il savait que cela prendrait un laps de temps relativement long et nécessiterait des dépenses d’installation et de personnel supplémentaire. Afin de convaincre Raoul Dautry, il lui expliqua :
[qu’un] « un mélange convenablement constitué d’uranium et de deutérium, présente, dans l’état actuel de nos connaissances, toutes les conditions favorables au développement de l’énergie atomique ».
Et d’ajouter prudemment :
« n’ayant pas encore eu la possibilité de réaliser un tel milieu, nous ne pouvons être certain que ce dégagement aurait lieu mais, compte tenu des phénomènes qui nous sont déjà connus, nous ne voyons pas actuellement aucune cause susceptible de l’entraver ».
Frédéric Joliot confirmera plus tard :
« On peut dire que, jusqu’à l’effondrement militaire de 1940, les chercheurs français étaient en tête des chercheurs des autres pays en ce qui concerne la libération atomique […] Les premiers travaux commencés en France peu après janvier 1939 étaient déjà avancés en septembre de la même année et ils furent continués en secret pendant la guerre, jusqu’au début de juin 1940 ».
La guerre éclate le 3 septembre 1939. Frédéric et son équipe sont mobilisés dans les laboratoires du Collège de France, lui, comme capitaine d’artillerie et chargé de la direction du Groupe I de Recherches scientifiques. Les travaux des atomistes français ne seront plus publiés à partir de cette date. Le 30 octobre, ils déposent un pli cacheté à l’Académie des sciences, reprenant les conclusions du dernier mois. Il ne sera publié qu’en 1949. Joliot comprend que la France n’aura pas les moyens d’entreprendre l’entreprise suggérée au ministre avant longtemps. Il faudra attendre la construction de l’usine de Pierrelatte en 1958. Aussi, préconise-t-il une solution plus simple appelée « méthode b de remplacement de l’hydrogène par le deutérium ». Il se met en quête d’obtenir les produits chimiques nécessaires pour réaliser l’expérience d’une réaction en chaîne divergente : l’uranium métallique et l’eau lourde.
L’uranium métallique, il pourra l’obtenir auprès de la Metal Hybrides Inc., de Clifton dans le Massachusetts, qui vient de mettre au point un nouveau procédé. Il adresse sa demande au ministre :
« Nous aurions besoin de 400 kg (d’uranium métallique), ce qui représente une dépense de 16.000 francs ».
Nous avons vu que les neutrons susceptibles de fissionner les noyaux lourds devaient être ralentis pour obtenir des neutrons thermiques et que pour ce faire, Frédéric Joliot avait utilisé une plaque de paraffine. Avec son équipe, il entreprend une série de recherches sur l’utilisation d’autres matériaux hydrogénés et semble perplexe devant le choix d’un ralentisseur : carbone ou eau lourde. Il adopte en définitive l’eau lourde. Il leur en faudrait de 100 à 200 litres. La seule usine productrice se trouve en Norvège à Rjukan. Il s’agit de la Norsk Hydro-Elektrisk Kvaelstofaktieselskbab, dont le siège est à Oslo, et dont le capital comportait une importante participation française. A nouveau, Joliot estima le prix à payer :
« Prix de vente pour 200 kg, 120.000 francs. Nous avons besoin de la totalité du stock ».
V. LA BATAILLE DE L’EAU LOURDE EST ENGAGEE !
En mars 1940, Joliot va trouver le ministre de l’Armement, Raoul Dautry, pour tenter d’obtenir cette eau lourde « nécessaire à des expériences sur la libération brutale de l’énergie atomique, avec des effets dépassant infiniment ceux des explosifs les plus puissants ».
Les Allemands sont déjà sur la piste et veulent s’emparer du stock norvégien. La Norvège est un pays neutre et le directeur de l’usine est réticent vis-à-vis des conquérants. La bataille de l’eau lourde est engagée !
Un officier français du service des poudres, Jacques Allier, est chargé de ramener le précieux liquide quel qu’en soit le prix. Kowaski rencontre le militaire et lui remet un petit tube contenant du cadmium en lui disant :
« Gardez sur vous ce tube de cadmium, et si les bidons d’eau lourde sont en danger, jetez-y un peu de cadmium : l’eau lourde deviendra instantanément inutilisable ».
Un scénario digne d’Alfred Hitchcock est imaginé. L’officier, ayant pris le pseudonyme de M.A, reçoit deux ordres de mission, l’un de Dautry, l’autre d’Edouard Daladier, président du Conseil, et saute dans le train pour Amsterdam. Le Deuxième Bureau français capte un message radio allemand codé demandant aux agents secrets du Reich d’intercepter un certain M.A. D’Amsterdam, J. Allier prend l’avion pour Stockholm, où il se rend à l’ambassade de France. Il y engage trois officiers qui l’accompagnent à Oslo. De là, les quatre comparses rejoignent M. Aubert, le directeur de l’usine de Rjukan qui leur est d’emblé acquis.
« L’affaire est conclue, annonce-t-il. Vous rentrerez en France avec tout notre stock d’eau lourde : 185 kilos. La totalité de la production ultérieure de l’usine sera désormais réservée à la France. Gracieusement ».
L’eau lourde transvasée dans des bidons est acheminée vers Oslo où elle partira en avion. Le commando de M.A loue des places dans deux avions afin de duper les Allemands à leur poursuite : le premier à destination d’Amsterdam, tandis que le second volera vers l’Ecosse. La voiture transportant le précieux chargement se place sur la piste entre les deux appareils. Allier, ostensiblement, monte dans l’avion pour Amsterdam, tandis que secrètement ses comparses chargent les bidons dans l’autre aéroplane. Au dernier moment, M.A saute dans l’avion qui va en Ecosse. Le premier appareil est contraint d’atterrir à Hambourg, pris en chasse par l’aviation allemande, tandis que l’officier britannique et l’eau lourde arrivent à Edimbourg, puis à Paris le 16 mars.
VI. LA RETRAITE ET LA FUITE EN ANGLETERRE
Les événements se précipitent. Daladier démissionne pour des raisons politiques et est remplacé par Paul Reynaud (1878-1966) qui continue à soutenir les savants. Le 16 mai, l’armée française est écrasée sur la Meuse. Il est conseillé à Joliot et son équipe de se replier avec le matériel dans le Midi de la France. L’eau lourde prend le chemin de l’exode à bord d’une Peugeot conduite par Halban. Première étape, la Maison d’arrêt de Riom dans la Drôme. Raoul Dautry téléphone à Jacques Allier qui couvre l’expédition :
« On doit tout faire pour que l’eau lourde ne tombe pas aux mains des Allemands. Il faut à tout prix qu’elle soit mise à la disposition des Alliés. Organisez son évasion ».
Le précieux liquide est transféré du cachot où il était entreposé dans une camionnette. Halban reprend le volant tandis que Kowarski se couche sur les bidons. Prochaine étape, Clermont-Ferrand où les Joliot-Curie ont réinstallé un laboratoire de fortune. Fred et Irène les reçoivent. Malheureusement Allier apporte de mauvaises nouvelles. L’avance allemande est imminente. Le 14 juin 1940, Paris est déclarée ville ouverte et l’ennemi s’apprête à l’occuper. L’équipe décide de se replier sur Bordeaux où les rejoint Joliot. Il fait embarquer, à bord du navire charbonnier britannique, le Broompark, le stock mondial d’eau lourde, soit 185,5 Kg enfermés dans 26 bidons. Il laisse partir ses deux collaborateurs, Hans Halban et Lew Kowarski, tout deux d’origine juive, après leur avoir remis les plis cachetés de l’Académie des sciences. Ils ont un ordre de mission signé par Jean Bichelonne (1904-1944), chef du cabinet, pour le ministère de l’Armement. Joliot reste à quai : il a encore une mission à remplir. Le bateau quitte Bordeaux le 18 juin en direction de l’Angleterre qu’il atteindra sans encombre, malgré les nombreux dangers, le 22 juin 1940. Pour la petite histoire, le capitaine du navire, aux allures de pirate, est le vingtième comte de Suffolk. Il est chargé de ramener en Angleterre tout ce qui peut servir à son pays. Il incite Joliot à monter à bord. Heureusement, un bombardement précipite le départ. Si le savant était monté pour faire ses adieux à ses collaborateurs, le capitaine l’aurait empêché de redescendre.
VII. LE RECIT DU SCENARISTE JEAN MARIN[2]
Cet épisode donna lieu à un film français qui sorti sur les écrans le 1 septembre 1948 : « La Bataille de l’eau lourde ». Le scénariste Jean Marin avait appris par hasard, à Londres, en août 1945, les détails de l’épopée qui amena les Britanniques à faire sauter l’usine de Rjukan. Comprenant l’importance de ces faits pour l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale, il partit, en février 1946, pour la Norvège afin de retrouver les protagonistes de l’affaire et compléter sur place ses informations. Il retrouva, un à un, les hommes qui avaient participé aux commandos. Avec eux, il refit les itinéraires qu’ils avaient suivis, il revécut leurs aventures et pût puiser, à la source même, des renseignements précieux et précis. De retour à Oslo, il apprit, à l’ambassade de France, qu’il y avait eu un prologue à l’affaire de Norvège. Rentré à Paris, il alla trouver le professeur Frédéric Joliot-Curie et retrouva Raoul Dautry qui, en 1940, avait été ministre de l’Armement, et obtint d’eux le récit de ce qui s’était passé en 1939-1940 dans la première phase de la bataille de l’eau lourde. Muni de toutes ces données, il écrivit un récit dont fut tiré le scénario du film. Celui-ci, sous la conduite de Jean Dreville et Titus Wibe Muller fut interprété par les acteurs même de cette histoire, à l’exception du professeur Tronjstadt tombé par la suite dans le maquis.
Je pense que le mieux est de laisser la plume à Jean Marin.
Fig. 86- Parachutage des hommes de « Gunnerside »
I
POUR ASSURER A LA FRANCE LE MONOPOLE DE L’EAU LOURDE
Avril 1939. Un clair soleil printanier, qui faisait étinceler les lettres d’or inscrites au fronton du Collège de France, baignait de clarté les lourdes boiseries de la bibliothèque où le professeur Joliot-Curie s’entretenait avec ses amis Kowarski et Halban, qui étaient aussi ses intimes collaborateurs.
– Nous ne connaissons pas encore, disait Joliot-Curie, les produits susceptibles de permettre la désintégration massive et contrôlée de l’atome d’uranium. J’espère que nous les connaîtrons bientôt.
Sa voix grave se fit soudainement plus chaleureuse, presque enthousiaste :
– Ce jour-là, nous serons maîtres d’une immense réserve d’énergie. Grâce à elle, la science, la civilisation tout entière, avanceront à pas de géant. Mais, la situation politique est tendue…
Un silence, pendant lequel le Maître et ses collaborateurs évoquèrent les mêmes catastrophes possibles. Joliot-Curie reprit :
– Pourtant, je me refuse à croire que cette nouvelle conquête de l’esprit humain ne pût servir qu’à une œuvre de mort.
Il faut de l’eau lourde
Sept mois ont passé. Dans le même décor où ne pénètre plus que la pâle clarté d’un jour pluvieux d’automne, les trois mêmes hommes sont de nouveau réunis. Les événements internationaux ont fait leur chemin : c’est la guerre ! Les recherches des savants ont, elles aussi progressé : Joliot-Curie et ses deux fidèles collaborateurs connaissent à présent les produits susceptibles de permettre « la désintégration massive et contrôlée de l’atome d’uranium ».
Dans les deux grands yeux noirs qui illuminent le visage ascétique de Joliot-Curie, se lit une intense concentration.
– Le moment est venu, dit Joliot, de faire notre choix : le carbone ou l’eau lourde. Car nous savons maintenant que ces deux produits permettent la désintégration de l’atome d’uranium. Le carbone ferait sûrement l’affaire ; et ce serait le procédé le plus pratique.
– Oui, mais le plus incertain et aussi le plus lent, interrompit Kowarski dont la formidable carrure de géant faisait craquer la chaise de bois où il se balançait.
« Il est certain qu’avec l’eau lourde, l’opération serait menée plus rapidement. Mais l’eau lourde est rare. Combien en avons-nous ? »
Un rapide sourire court sur les traits fins du visage d’Halban, qui de sa voix douce et posée répond :
– Une cinquantaine de grammes, et il nous en faudrait, plusieurs milliers de litres.
– C’est entendu, mais 100 ou 200 litres suffiraient pour une expérience décisive… L’usine productrice doit les posséder. Malheureusement, il n’en existe qu’une et vous savez comme moi que c’est l’usine de Rjukan, en Norvège, pays neutre…
Ainsi, l’eau lourde – ou en termes plus savants l’oxyde de Deuterium – contenue en quantité infinitésimale dans la masse de l’eau ordinaire, faisait une sournoise apparition dans l’histoire du monde, dans l’histoire de l’Europe en guerre.
Chacun, parmi les gens bien informés, en mesurait déjà les stupéfiantes ressources, les prodigieuses possibilités. Si les Français étaient encore en tête dans cette course à l’énergie atomique, les savants du Troisième Reich les serraient de près. De si près même qu’un jour du début de 1940, le 2° Bureau faisait savoir au Gouvernement de Paris que des émissaires allemands venaient de se rendre en Norvège pour tenter de s’assurer la disposition du stock d’eau lourde existant en effet à l’usine de Rjukan.
Conseil de guerre secret
Dans le silence feutré de l’HôteI Majestic, un civil et un militaire sont assis en face de Raoul Dautry, ministre de l’Armement. Sur les arbres de l’avenue Kléber, en ce jour de mars 1940, le printemps parisien fait une timide apparition.
– Les dernières informations de nos agents sont formelles, dit Dautry, formelles et alarmantes. L’Allemagne a dépêché en Norvège des émissaires chargés d’acheter à tout prix tout le stock d’eau lourde existant. Heureusement, ces émissaires se sont montrés jusqu’à présent assez maladroits : ils ont demandé que l’usine de Rjukan s’engage à réserver au Reich la totalité de la production à venir pendant plusieurs années. De plus, ils se sont refusés à donner toute explication sur l’usage que l’Allemagne entend faire de telles fournitures.
Sur le visage du civil passe une expression d’inquiétude, presque d’angoisse.
– Rassurez-vous, mon cher Joliot-Curie – précise Raoul Dautry – tout cela pour le moment n’a eu aucune suite : le grand patron de l’usine de Rjukan, Aubert – c’est un Norvégien de lointaine origine française – nous a fait prévenir. Il gagne du temps en maintenant sa demande d’explication. Mais dans quelques jours, il devra fournir une réponse… Il nous faut donc agir très vite.
Joliot-Curie se tourne vers son voisin, un officier du Service des Poudres, à qui Dautry s’adresse maintenant.
– C’est vous qui, allez être chargé, comme vous l’avez demandé, de partir clandestinement pour la Norvège et de nous en ramener à tout prix l’eau lourde. Vous connaissez le pays, et il se trouve que depuis longtemps déjà, par vos activités du temps de paix, vous avez la confiance amicale de M.Aubert.
Quand aux risques matériels de l’opération, je pense qu’il est inutile que je les précise davantage…
Derrière le cristal des lunettes, le regard clair de l’officier des Poudres (M.A.) conserve sa tranquillité un peu ironique :
– Parfaitement inutile, en effet. Je demande seulement une complète liberté d’initiative et de manœuvre.
– Vous aurez tous pouvoirs : c’est le Président du Conseil lui-même qui va établir pour vous un ordre de mission exceptionnel, comme on n’en a jamais vu. Sur cet ordre de mission, votre nom restera en blanc aussi longtemps que vous le jugerez utile.
Un huissier annonce à voix basse deux nouveaux visiteurs.
Halban et Kowarski sont rapidement mis au courant de la conversation. Le Ministre les invite à donner à M.A. les dernières indications techniques dont il pourrait avoir besoin. La large main de Kowarski tend vers celle de M.A. un petit tube de métal.
– Gardez toujours sur vous ce tube de cadmium : si les bidons d’eau lourde sont en danger et que vous n’ayez pas le temps de les éventrer, jetez-y un peu de cadmium : l’eau lourde deviendra instantanément inutilisable.
Raoul Dautry enchaîna :
– L’enlèvement de l’eau lourde n’est qu’une partie de votre mission. Vous vous efforcerez en même temps d’obtenir des accords pour la production à venir. Là où l’Allemagne vint d’échouer, vous devez réussir. Mais faites vite : tout indique qu’une prochaine attaque de l’Allemagne sur la Norvège n’est pas impossible… Par ailleurs, le 2e Bureau a déjà reçu des ordres pour votre protection au cours du voyage.
Une légère hésitation se lit dans sa voix lorsque le Ministre de l’Armement se tourne vers Joliot-Curie, lui demande :
– N’avez-vous pas d’autres suggestions à faire ?
Tout à coup, sur ce bureau, jusque-là animé par une vive conversation, tombe un silence embarrassé. Raoul Dautry le rompt :
– M. Kowarski, M. Halban, votre concours si efficace nous a été dans le passé, nous est, nous sera encore infiniment précieux. Je tiens à vous en remercier de nouveau. Cependant, nous voilà engagés dans des circonstances exceptionnelles et je… enfin, je…
Plein de bonne humeur Halban et Kowarski s’inclinent devant Dautry en signe d’appréciation et disent en même temps :
– Monsieur le Ministre, nous vous sommes très reconnaissants…
L’atmosphère s’est détendue et c’est du ton le plus naturel que Joliot-Curie ajoute, s’adressant au Ministre de l’Armement avec un sourire complice :
– Ces Messieurs vous sont très reconnaissants d’être autorisés par vous à prendre quelques semaines de repos en dehors de Paris. Kowarski, qui aime la géologie, se propose d’aller en faire un peu autour des murs de la citadelle de Belle-île-en-Mer. Quant à Halban, dont la santé est plus fragile, il ira faire une cure sur les chemins de ronde du fort de Porquerolles.
Avec beaucoup d’élégance et de simplicité, Korwaski et Halban avaient évité que fut posée par d’autres que par eux-mêmes la question des précautions d’usage. En plein Paris, venait de se jouer l’acte jusque-là le plus secret de la nouvelle guerre secrète.
II
« VOUS AUREZ TOUT MON STOCK… » DIT LE DIRECTEUR DE L’USINE
Quarante-huit heures plus tard, M.A. est prêt à partir. En définitive le Gouvernement lui a remis deux ordres de mission, l’un, signé Dautry, qui atteste que M.A. a pour mission de mener des négociations secrètes pour le compte du Gouvernement français dans un pays dont le nom ne sera spécifié qu’à l’arrivée du porteur (le document exige que toutes facilités lui soient données, sur sa simple demande sans même qu’il ait à faire connaître l’objet de sa mission) ; l’autre, porte la signature d’Edouard Daladier, Président du Conseil des Ministres, autorisant M.A. à conclure au nom du Gouvernement de la République l’accord projeté.
Dans sa serviette de cuir noir M.A glisse encore, deux lettres : une lettre de Daladier à M.A. qui ne sera utilisée que si l’usine de Rjukan ne consent plus à la vente d’une partie seulement du stock d’eau lourde, et une lettre de crédit d’un million 500.000 couronnes norvégiennes, soit 36 millions de francs…
Sous les verrières de la gare du Nord, l’express d’Amsterdam se met doucement à rouler. Dans un coin de compartiment, le bras pressé sur sa serviette, M.A se remémore les détails de son itinéraire : Paris – Amsterdam par le train, Amsterdam – Malmöe en Suède par l’avion qui volera au large des côtes d’Allemagne, ensuite le train jusqu’à Oslo, et, après, l’Aventure…
Pendant que derrière la glace du wagon défi1ent les paysages du Nord, M.A. se répète le nom d’emprunt qu’il a choisi et sous lequel le verront passer les frontières. A ce moment précis, à Paris; le 2e Bureau capte et déchiffre un message radio allemand qui enjoint aux agents secrets du Reich d’intercepter à tout prix un suspect français du nom de… et le message donne le nom d’emprunt de M.A…
Premières étapes : Stockholm, Oslo
Au-dessous de l’avion de ligne suédois qui vient de survoler la Mer du Nord, le Danemark éparpille ses îles ; et soudain au-delà des eaux bleues de l’Oresund, c’est Malmöe. M.A. est en Suède
C’est à la Légation de France à Stockholm que l’Officier du service des Poudres, engagé dans la clandestinité, va vérifier pour la première fois le surprenant pouvoir de ses ordres de mission. Plus puissant qu’un Ministre en voyage, il tient à la Légation un petit conseil de guerre. Ses instructions sont précises : deux des officiers adjoints à notre attaché militaire vont partir immédiatement pour Oslo où ils se rendront à son premier appel. Ils se feront accompagner d’un troisième personnage : un courrier de cabinet.
A mesure que l’échéance se rapproche, M.A., qui mûrit secrètement son plan d’action, sait qu’il lui faudra, pour le mener à bien, compter sur l’intelligence et peut-être sur la force physique de plusieurs compagnons. Les trois hommes qu’il a ainsi choisis ignorent tout de la personnalité et des intentions de leur chef tombé du ciel.
Le même scénario se répète à Oslo où M.A. est arrivé sans encombre. Là encore, le Ministre plénipotentiaire voit se présenter à lui un petit homme frêle et courtois qui le prie fermement de se mettre avec son personnel et sa Légation à son entière disposition. Comme le diplomate voudrait en savoir un peu plus long, M.A. s’excuse avec une exquise urbanité, mais en termes définitifs, de ne pouvoir rien lui en dire…
Par la haute fenêtre de la pièce où ils conversent, M.A. désigne un petit pavillon au fond du jardin :
– J’aurai sans doute besoin de ce pavillon. Ayez l’obligeance, Monsieur le Ministre, de faire de telle sorte qu’il me soit, pendant quelques jours, rigoureusement réservé.
A l’usine de Rjukan
Maintenant le drame va s’engager. M. A. dans le bureau de M. Aubert, directeur de l’usine de Rjukan, entre de but en blanc dans le sujet.
D’abord, il se contente de parler en termes vagues des recherches scientifiques françaises. Il se sait l’hôte d’un pays très sensible sur le chapitre de la neutralité. Il demande d’acheter le stock d’eau lourde. Il ne parle pas de son éventuelle utilisation à des fins de guerre. Son interlocuteur lui est peut-être reconnaissant de sa discrétion…
Dehors, Oslo offre le charmant spectacle d’une grande ville de sports d’hiver encore enneigée, capitale d’un pays épargné par la guerre.
M.A. dont le cœur bat un peu, croit faire un rêve lorsqu’il entend M. Aubert lui dire d’une voix unie :
Fig. 87 – Un des quatre de « Swallow »
« L’affaire est conclue. Vous rentrerez en France avec tout notre stock d’eau lourde, soit 185 kilos. »
Il part aussitôt pour l’usine de Rjukan. Il y arrive à la nuit tombée : devant lui se dresse au milieu des montagnes à peine aperçue dans l’obscurité, l’usine de Rjukan.
Sept étages de béton et d’acier, percés de vives lumières; l’énorme machinerie électrique ronronne doucement.
Je suis heureux que ce soit pour la France
M.A. est un familier des lieux et des hommes : il retrouve aussitôt un vieil ami M. Nielsen, le technicien qui dirige sur place l’exploitation. Sous le sceau du secret, il lui expose le marché qui vient d’être conclu :
– Cela prouve au moins que les Allemands n’auront pas l’eau lourde et rien ne pouvait me faire un plus grand plaisir, déclare M. Nielsen, qui, tout neutre qu’il soit, ne cache pas sa sympathie pour les Alliés.
M. Aubert s’est rendu à son tour à l’usine de Rjukan. Tandis que l’on prépare le départ de l’eau lourde, M.A. patiemment, passe petit à petit au second acte de ses négociations. Il y réussit encore : M. Aubert, qui vient de préciser que tout le stock d’eau lourde sera prêté gratuitement à la France jusqu’à la fin de la guerre, ajoute :
– La totalité de la production ultérieure de l’usine, qui d’ailleurs peut être décuplée, sera désormais réservée à la France.
C’est le moment que choisit M.A. pour exposer à M. Aubert la portée des recherches de Joliot-Curie et leur incidence sur d’éventuels moyens de guerre…
– Je souhaite quant à moi, répond M. Aubert avec une grande simplicité, que l’expérience dont vous m’avez entretenu réussisse. Si plus tard la France devait par malheur perdre la guerre, je serai fusillé pour avoir fait ce que je fais aujourd’hui. Je cours ce risque avec fierté.
Son regard se perd parmi les petites maisons claires et quiètes de Rjukan dominées par la grande flamme rouge et bleue du drapeau norvégien : ce matin, les journaux parlent avec insistance de préparatifs allemands au bord de la Baltique.
L’eau lourde est enlevée
Ouvriers et ingénieurs vaquent comme d’habitude à leurs occupations silencieuses dans les vastes salles de l’usine bétonnée, au fond de laquelle, après l’électrolyse, l’eau lourde se concentre lentement.
– Ne craignez rien, le secret sera bien gardé, dit M. Nielsen, mis en gaîté par le rôle qu’il va jouer. En dehors de M. Aubert et de vous même, je serai le seul ici à savoir que l’eau lourde est partie. C’est moi-même qui vais la mettre en bidons et qui placerai les bidons dans ma voiture. Je le ferai cette nuit car, moi, j’ai le droit de pénétrer à n’importe quel moment à l’intérieur de l’usine.
La nuit est venue. Deux phares s’allument dans la cour de l’usine de Rjukan. Des gardiens du service de sécurité sortent de leur poste ; ils ont reconnu la voiture de leur directeur, la grille s’ouvre. Ballottés par les cahots sur la neige encore dure, les bidons d’eau lourde roulent clandestinement vers Oslo…
III
LE PRECIEUX PRODUIT ARRIVE EN FRANCE, MAIS C’EST L’INVASION DE 40
Et dire que nous ne saurons sans doute jamais ce qu’il y a dans ces bidons.
M.A. penché sur la table qu’il a fait apporter dans le petit pavillon de la Légation du jardin, lève les yeux et sourit :
– Vous saurez un jour… plus tard.
Devant lui, les deux officiers venus de Stockholm et le courrier de cabinet exécutent aveuglément leurs missions. Le long du mur sont alignés les bidons métalliques. On passe à M.A. une poignée de télégrammes qui viennent d’être déchiffrés:
– Je renoncerai donc au contre-torpilleur. J’avais, pensé en faire venire un de Brest ou de Cherbourg jusqu’à un rendez-vous secret sur la côte norvégienne, mais l’opération serait trop délicate.
Fig. 88 – Contact avec Londres
Il est interrompu par l’un des officiers qui est allé faire le tour du pavillon et qui, à voix basse, rapporte que les fenêtres de la plus proche maison sont éclairées et que des ombres passent derrière les rideaux. Le malheur c’est que cette maison voisine abrite le 5e Bureau de la Légation du Reich à Oslo.
Dehors, contre le mur, un bruit léger, un glissement. M.A. prend dans sa main le tube de cadmium. Un revolver est braqué sur le flanc lisse des bidons. De nouveau c’est le silence. Quelques passants sans doute…
Le plan de l’enlèvement de l’eau lourde est définitivement arrêté, elle partira en avion. Chacun des trois collaborateurs de M.A. a reçu sa mission particulière. L’un d’eux est allé cet après-midi sur l’aérodrome d’Oslo répéter le scénario. Toujours dans les mêmes conditions de secret et d’ignorance, toujours grâce aux ordres de mission extraordinaires, quelques contacts indispensables ont été pris : pour ceux qui en ont fait l’objet, le mot d’ordre est simple : « Ne s’étonner de rien et laisser faire. »
Le coup des deux avions
Entouré de ses compagnons, M.A. dans la boîte de nuit la plus courue d’Oslo veille tard et joue les personnages sans soucis. L’aube le trouve avec l’un de ses officiers sur la piste de l’aérodrome. Des mécaniciens s’affairent autour de deux avions de ligne qui portent l’un les couleurs hollandaises, l’autre les couleurs britanniques : les avions qui font le service d’Amsterdam et l’Ecosse. Celui-ci doit décoller le premier ; déjà ses voyageurs s’installent dans les fauteuils. M.A. et son compagnon sont toujours sur la piste, tout près de l’avion d’Amsterdam qui partira plus tard. Les hélices de l’avion d’Ecosse se mettent à tourner.
Soudain, à la barrière de l’aérodrome, un taxi arrive à toute vitesse ; les freins grincent, à la portière un homme crie qu’on le laisse passer. Le taxi pénètre sur le terrain et vient se placer exactement entre les deux avions en partance. Son passager en descend et se dirige vers l’avion hollandais portant deux énormes valises. Il fait tout d’un coup demi-tour et lance dans l’avion d’Ecosse (le pilote avait été contacté la veille) ses deux valises… qui contiennent l’eau lourde (ou plutôt la moitié du stock, il accompagnera lui-même le reste le lendemain).
A leur tour, M.A., sa serviette de cuir noir serrée sous le bras, et son compagnon s’engouffrent dans le même avion qui décolle aussitôt.
Deux heures plus tard, l’avion d’Amsterdam était pris en chasse par l’aviation allemande qui le contraignait à se poser à Hambourg où la Gestapo ne trouvait rien de ce qu’elle recherchait.
Les Alliés venaient de gagner le deuxième round !
Les bidons arrivent en France
Dans la cave du Collège de France, Joliot-Curie qui vient de dénombrer les bidons arrivés là après le crochet d’Ecosse, serre silencieusement la main de M.A., toujours aussi paisible et qui ne pense plus qu’à remettre à Raoul Dautry en même temps que le précieux accord qu’il vient de signer à Oslo, les 36 millions que la générosité norvégienne avait rendus inutiles.
Une note écrite de la main de Raoul Dautry constate : Joliot-Curie et moi fûmes bouleversés de joie : alors que nous ne disposions précédemment que de quelques dizaines de grammes d’eau lourde, nous avions devant nous, placés dans des bidons d’apparence bien anodine, les 185 kilos de ce produit qui avait pour nous une valeur inestimable…
L’exode
La drôle de guerre était finie.
Comme si un mécanisme secret et tout puissant l’avait déclenchée, l’invasion allemande s’abat sur la Scandinavie; le Danemark est occupé. L’invasion gagne la Norvège comme une gangrène. Sur la petite place de Rjukan la flamme aux couleurs norvégiennes est remplacée par le drapeau à croix gammée ; le bruit des bottes allemandes retentit dans les halls de l’usine géante de béton et d’acier, mère de l’eau lourde.
Dans le silence du Collège de France, Joliot-Curie poursuit ses travaux; Kowarski et Halban sont toujours auprès de lui… revenus de leurs vacances à Belle-Ile et à Porquerolles. L’invasion allemande s’étale comme une marée. Les routes de France, dans le soleil implacable de juin, voient passer sur leurs chaussées brûlantes les panzers d’Hitler qui chassent devant leurs chenilles le flot lamentable des réfugiés…
Dans la petite rue en pente qui, au flanc de la montagne Sainte-Geneviève, longe le Collège de France, une conduite intérieure Peugeot est arrêtée : des aides de laboratoire achèvent d’y entasser les bidons d’eau lourde. Halban est au volant. Pour l’eau lourde aussi, c’est l’exode.
Dépassant les colonnes de réfugiés ralenties par leurs chariots et leurs voitures d’enfants, la Peugeot arrive à Riom. Elle s’égare, un peu dans les ruelles pour s’arrêter enfin devant une lourde porte à ferrures. Au fronton, on lit : Maison centrale. C’est la première étape, le premier asile précaire de l’eau lourde en fuite devant l’invasion allemande.
Dans son bureau de l’Hôtel Majestic, Raoul Dautry vient d’obtenir M.A. au téléphone : « Il faut tout faire pour empêcher que l’eau lourde ne tombe aux mains des Allemands… Il faut à tout prix qu’elle soit mise à la disposition des Alliés… Organisez son évasion… Etablissez tous les ordres de mission nécessaires. »
Lointaine, la voix de M.A. répond : « Je suis déjà assuré du départ de Kowarski et d’Halban.».
Un déclic : la communication est coupée; mais l’essentiel est fait.
Kowarski et M.A. se retrouvent dans la cour de la prison de Riom. Les traits tirés par la fatigue et par l’angoisse, ils surveillent le va-et-vient d’un petit groupe de forçats vêtus de bure brune qui font passer les bidons d’eau lourde du cachot où ils étaient entreposés à une camionnette qui attend devant la lourde porte entr’ouverte.
L’exode va reprendre. Kowarski s’allonge sur les bidons. Quand la voiture démarre, l’impassible géant est déjà plongé dans la lecture d’un roman policier…
De Clermont à Bordeaux
La prochaine étape, c’est Clermont-Ferrand. Une villa de meulières, un peu retirée, porte une plaque émaillée où on lit : « Clair Logis. »
Un laboratoire de fortune y a été improvisé. Joliot-Curie, Halban, Kowarski s’y trouvent encore une fois réunis. Mais cette fois, c’est pour se séparer définitivement. Le regard de Joliot-Curie est voilé d’affectueuse tristesse.
– Et maintenant, dit-il, il va falloir quitter tout cela. Et ce sera à vous de recommencer… ailleurs.
– A nous ?
– Oui, je sais, c’est dur.Tous les trois, nous avons travaillé ensemble. L’expérience décisive est toute prête maintenant… mais vous avez montré tous les deux que, s’il le faut, vous pourrez continuer sans moi… et il le faudra peut-être. Tout à l’heure, vous partirez pour Bordeaux, avec l’eau lourde, vers l’Angleterre ou vers l’Amérique… quant à moi, il faut que je pèse toutes mes autres responsabilités. Pour vous la tâche est claire, partez tout de suite.
Par la porte entr’ouverte, un aide de laboratoire passe la tête et dit :
– Tout est chargé. Il y a de l’essence pour 500 kilomètres.
– Voilà, dit Joliot-Curie, c’est fini ? Au revoir…
Fig. 89 – La poursuite mortelle
IV
IL FAUT SAUVER LES BIDONS
17 juin 1940, à Bordeaux
Dans le port, le charbonnier anglais « Broonpark » vient d’être mis à la disposition du ministère de l’Armement Britannique représenté dans cette ville en pleine confusion, sur ses quais encombrés de matériel et de réfugiés, par l’illustre Lord Suffolk. Tout de suite, il fait monter à bord l’eau lourde, avec Kowarski et Halban.
C’est la nuit, les ténèbres sont déchirées par les éclairs d’un bombardement aérien. Le lendemain, d’autres savants, d’autres techniciens français montent en hâte à bord du « Broonpark »…
Le soir, la radio du port capte une émission de Londres : un général français, le général de Gaulle, appelle tous ses compatriotes à s’unir à lui dans la lutte, dans la Résistance.
Le grand voyage
Au fond des cales du « Broonpark » sont alignés les bidons contenant l’eau lourde que la France donne à ses alliés pour qu’ils poursuivent les recherches. Le charbonnier a fait le plein de ses passagers. Des femmes et des enfants occupent les couchettes de l’équipage; les hommes sont allongés dans le poussier.
Le matin du 19, le « Broonpark » commence à descendre vers la pointe de Graves et croise un convoi qui se forme. Les Allemands ont lancé des mines : à quelques encablures du « Broonpark », un navire qui vient d’en toucher une, donne de la bande et s’enfonce lentement…
Au large des côtes de France, en route vers l’Angleterre, la menace aérienne se précise : de temps en temps les vigies signalent dans le ciel limpide les points noirs d’un vol d’avions allemands. Lord Suffolk fait construire un radeau : si le danger se précise, on y arrimera l’eau lourde, ainsi que le matériel de recherches qu’Halban et Kowarski ont amené; on tentera de les sauver, au moins de les détruire à coup sûr.
Les avions ennemis paraissent de plus en plus nombreux ; on enlève les chambres à air des voitures, on les distribue aux passagers en guise de bouées de sauvetage.
Enfin, dans la matinée du 21 juin, les falaises blanches de Fallmouth se dressent au bord de la mer immobile : l’eau lourde est sauvée, elle a trouvé un refuge dans la dernière citadelle du camp des alliés anglais.
Un à un, précautionneusement, les bidons de métal sont retirés des cales du « Broonpark ». Leurs flancs lisses avaient déjà reflété bien des paysages, de la Norvège, de l’Ecosse, de Paris, des provinces françaises, des paysages marins tourmentés par la guerre. Maintenant, le cloître des laboratoires de Cambridge va les abriter, leur précieux contenu va servir à des expériences, peut-être décisives. Sur la route de Cambridge, ils s’arrêteront encore une fois, les caves voûtées du château de Windsor seront leur premier abri en Angleterre… .
Ainsi le stock d’eau lourde était sauvé. Mais déjà, au milieu des montagnes de Télémark, l’usine géante de Rjukan recevait la visite de militaires et de savants allemands qui faisaient sonner bien haut leurs exigences… […]
Ý
Nous continuerons ce passionnant récit dans le chapitre suivant consacré à la destruction de l’usine.
On peut relever que cet épisode rocambolesque a également servit de trame à un autre film, plus récent : « Bon voyage » du réalisateur Jean-Paul Rappeneau (17/9/2003) qui y prend des libertés avec la réalité. En juin 1940, à l’hôtel Splendid de Bordeaux, se pressent dans un désordre indescriptible, ministres, journalistes, grands bourgeois, espions de tous bord. Echouent également dans la ville une voiture avec un scientifique, sa collaboratrice (Virginie Ledoyen), le chauffeur et le stock d’eau lourde, qu’ils cherchent à faire passer en Angleterre. On y trouve le ministre qui passera du côté de Vichy (Gérard Depardieu), ainsi qu’une célèbre actrice capricieuse et insouciante (Isabelle Adjani) et deux jeunes gens échappés de prison (Yvan Attal et Grégori Dérangère) qui s’impliqueront pour sauver le savant et son précieux chargement des griffes de l’espion allemand (Peter Coyote) chargé de les récupérer.
VIII. POURQUOI JOLIOT-CURIE EST-IL RESTE EN FRANCE ?
Reprenons la suite des événements.
Dans les jours qui suivirent, Joliot réussit à cacher 7 tonnes d’oxyde d’uranium dans les cales du Massilia en partance pour le Maroc, où elles seront entreposées dans une galerie de mine désaffectée, tandis que 9 tonnes de ce même minerai étaient stockées dans un wagon que l’on retrouva au Havre à la Libération. Ainsi, la totalité du minerai confié par l’UMHK fut mise à l’abri durant les quatre années de guerre.
Pourquoi Joliot n’a-t-il pas suivi ses compagnons ? Plusieurs facteurs ont dû l’inciter à rester : il est persuadé que l’invasion allemand ne sera pas éternelle et il veut sauver pour l’avenir ce qui peut l’être ; Irène est gravement malade et ses enfants sont en Bretagne. Pour toutes sortes de raisons mêlées, la tradition, la famille, les honneurs, la tentation pacifiste, Frédéric Joliot restera en France.
Des archives américaines classées top secret montrent que les Alliés trouvaient la position de Frédéric assez ambiguë. Pour eux, ni raisons idéologiques, ni raisons familiales ne pouvaient justifier le refus d’exil du savant. De plus ils croyaient qu’il avait envoyé ses deux collaborateurs pour ses seuls intérêts personnels :
« Joliot donna instruction à Halban et Kowarski d’aller en Angleterre et de se mettre au service du gouvernement britannique ».
N’oublions pas qu’ils avaient un ordre de mission manuscrit de Bichelonne :
« MM. Halban et Kowarski accompagnés de Mmes Halban et Kowarski et de deux enfants en bas âge monteront à bord du vapeur Broompark à Bassens (Gironde). Ils sont confiés à M. le comte de Suffolk et Berkshire, afin de poursuivre en Angleterre les recherches entreprises au Collège de France, et sur lesquelles sera observé un secret absolu. [,,,] MM. Halban et Kowarski se présenteront à Londres à la mission française (Colonel Mayer), 2 Dean Stanley Street, Westminster House ».
Signé « Pour le ministre et par son ordre, pour le secrétaire général des fabrications. Le chef de cabinet ».
Ironie du sort, le chef de cabinet Bichelonne deviendra ministre dans le gouvernement de Vichy ! Un futur collaborateur du Maréchal Pétain a signé un ordre de mission permettant à deux physiciens français de poursuivre des recherches atomiques qui visaient à vaincre Hitler.
[1] Voir la partie « Fission nucléaire et réaction en chaîne ».
[2] Le texte est tiré de « Lisez-moi Aventures » N° 1 – 15 mai 1948, pp. 1-8.