Article paru dans le Bulletin du G.E.S.T., N° 162, juillet 2010
I. INTRODUCTION
Dans l’article sur « L’écorce terrestre – Les forages profonds », j’ai abordé succinctement l’âge des plus anciennes roches connues. J’aimerais revenir plus en détail sur celles-ci car elles sont riches d’enseignement, sur la formation de la croûte continentale et sur l’apparition de prémices de vie sur notre planète. Il est à signaler que Luc André[1] et son équipe du Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC), en collaboration avec le britannique Stephen Moortbath de l’Université d’Oxford, se sont lancés dans une méthode d’analyse originale afin de détecter la présence probable d’indice de vie dans des roches parmi les plus anciennes remontant à l’Archéen, soit vers 3,8 Ga[2]. Cette technique est basée sur la mesure du rapport isotopique du silicium (Si) contenu dans ces roches. Jusqu’il y a peu, les plus vieux fossiles découverts appartenaient à la Formation Gunflit en Ontario et remontaient à 1,9 Ga. Depuis, de nouvelles traces de microfossiles ont été découvertes un peu partout dans des terrains plus anciens.
La période qui nous intéresse ici est ce que l’on nomme l’Archéen. Elle représente un tiers de l’histoire de la Terre et se situe entre 4,2 et 2,5 Ga. Ces dates correspondent toutes deux à des faits marquants qui jalonnent l’évolution de notre planète :
- 4,2 Ga est l’âge des plus vieux zircons continentaux rencontrés à ce jour ;
- 2,5 Ga est celui où de nombreux plutons granitiques recoupent les boucliers archéens, marquant la fin de l’activité interne intense qui régnait jusque là.
On retrouve l’Archéen en affleurement à plusieurs endroits : en Antarctique, au niveau du bouclier amazonien, du craton sud-africain, au niveau du bouclier du Groenland et du Nord de l’Amérique du Nord, en Inde, au niveau du bouclier sibérien, du bouclier nord coréen et la partie ouest de l’Australie (fig. 1).
Fig. 1 – Zones d’affleurement de l’Archéen
II. FORMATION DE LA CROUTE CONTINENTALE
La Terre a pris naissance, il y a 4,55 Ga sous la forme d’une masse rocheuse en fusion. Au cours de son refroidissement, la majorité de l’eau contenue dans son atmosphère, sous forme de vapeur, s’est condensée et a formé les océans, riches en composés chimiques. Ceux-ci permettront l’élaboration de structures plus complexes et par évolution l’apparition de molécules organiques, à la base de l’éclosion de la vie.
La majeure partie de la croûte continentale de notre planète s’est formée pendant l’Archéen. D’après les résultats de nombreuses analyses, on sait que cette croûte était composée, en majorité, de trois lithologies[3] :
- Des orthogneiss[4] gris, souvent très déformés (70-80%) ;
- Des bassins volcano-sédimentaires (ceintures de roches vertes[5], Greenstone Belt en anglais) (10-20%) ;
- Des granites potassiques tardifs, recoupant les éléments précédents (10-20%).
Les orthogneiss gris, composants majeurs des provinces archéennes, montrent une composition de nature TTG (tonalite-trondhjémite-granodiorite), c’est-à-dire composée de granitoïdes sodiques qui sont des tonalites, variété de diorites quartzifères ; de trondhjémites, correspondant aux plagiogranites de la classification de Streckeisen ; et de granodiorites. Le plagioclase représente, dans les trois types de roches, le feldspath dominant.
Pour rappel, le système de classification des roches magmatiques de Streckeisen repose sur le principe de l’abondance relative des minéraux courants les plus significatifs tels le quartz, les feldspaths alcalins, les feldspaths calco-sodiques ou plagioclases, les feldspathoïdes, l’olivine, les pyroxènes et les amphiboles.
La tonalite est une roche plutonique, issue d’un volcanisme précoce dans une dynamique de subduction. C’est une diorite quartzique à biotite et horblende.
La trondhjémites ou plagiogranite est une variété de granite tholéitique dépourvu de potassium, avec l’albite comme seul feldspath alcalin, mis en place en milieu marin. Associés à la croûte océanique, les trondhjémites résultent d’une différenciation poussée d’un magma à l’origine basaltique.
Le granodiorite est une roche magmatique plutonique grenue, composée principalement de quartz et de feldspath dans lesquels, les plagioclases sont dominants par rapport à l’orthose. Les minéraux secondaires sont la biotite, l’amphibole et le pyroxène.
La série des roches vertes est constituée des roches suivantes en partant du haut vers le bas :
- Roches sédimentaires comportant des quartzites ferrugineux, des conglomérats de roches sédimentaires, avec peu d’éléments basaltiques, et arénites ;
- Roches calco-alcalines du type dacite et rhyodacite ;
- Basaltes tholéitiques et roches ultrabasiques extrusives, notamment des komatiites.
Les basaltes mis en place à l’Archéen ont des structures de type pillow, ce qui indique la formation sous eau. Les komatiites ont de l’olivine en inclusion avec une structure buissonnante, en spinifex qui indique une cristallisation en surface.
La figure 2 montre que, quelque soit le modèle adopté, la croûte océanique présente une croissance rapide à l’Archéen, puis plus lente. Donc, à la fin de cette période (2,5 Ga) la plus grande partie de la croûte continentale était formée (80%). Une faible portion de celle-ci est restée tel quel. Par contre la plus grande part s’est vue impliquée dans des cycles orogéniques divers et de ce fait, a fondu, s’est déformée, métamorphisée, etc. pour former en définitive les continents actuels.
Fig. 2 – Quantité de croûte continentale formée, en fonction du temps, pour différents modèles
Dans quel contexte se sont formés ces TTG ? Les modalités de formation de la croûte archéenne font l’objet du vif débat dans la communauté scientifique. Toutefois, la comparaison avec d’autre processus pétrogénétiques, tels que la formation des adakites, a permis de conclure que les TTG ne peuvent qu’être le produit de la fusion partielle de basaltes hydratés dans un champ de stabilité[6] du grenat (10-25 kbar de pression).
Les adakites sont des laves basaltiques particulières, dont le nom dérive de l’île Adak, dans les Aléoutiennes. De composition dacitique, elles contiennent de 56 à 70% de silice (SiO2) et sont riches en oxyde d’aluminium (Al2O3), oxyde de sodium (Na2O) et strontium (Sr), mais pauvre en yttrium (Y). Contrairement aux TTG, les adakites semblent provenir de la fusion partielle d’une croûte océanique jeune et encore chaude. Elles sont donc de formation plus récente que les TTG.
Quel est le processus géologique qui peut amener des basaltes hydratés à une pression de 10 à 25 kbar et à une température de 600 à 1.000° C ?
Le plus évident de ceux-ci est une subduction de la croûte océanique, formée de basalte hydraté par l’altération hydrothermale. Il faut que celle-ci soit suffisamment chaude ce qui était le cas lorsque la lithosphère était beaucoup plus jeune qu’actuellement.
Une autre hypothèse a été émise pour décrire le contexte dans lequel ces TTG auraient pu se former : des points chauds peuvent former des plateaux basaltiques épais de plusieurs dizaines de kilomètres (Kerguelen, Ontong-Java…). A la base des plateaux, les conditions sont telles que le grenat y est stable, et la fusion de la base d’un plateau océanique épais peut induire des liquides de nature TTG.
Dans les deux cas de figure, la création d’un vaste plateau océanique aurait permis l’accumulation de matériel, de le densifier, et de créer ainsi les premiers continents terrestres.
III. CONDITIONS ENVIRONNEMENTALES AU PRECAMBRIEN
Si l’on veut suivre l’évolution de la vie depuis les premiers temps de la Terre, à l’Archéen ancien, il y a 3,8 Ga, tout au long du Précambrien, il est important de connaître les variations des conditions environnementales durant cette longue période : composition de l’atmosphère, température, composition et pH des océans…
Ainsi, des arguments astrophysiques montrent que de grandes variations de ces conditions environnementales eurent lieu au cours du Précambrien : il y a 3,8 Ga, la luminosité solaire était 30% plus faible qu’aujourd’hui.
De même des arguments géochimiques, tels que les compositions isotopiques du soufre, indiquent que l’atmosphère a connu des variations très importantes de sa composition.
On sait qu’il existe des rétroactions complexes entre température de surface, composition atmosphérique, altération des continents, composition des océans… C’est pourquoi, actuellement, de nombreuses études se penchent sur l’analyse des roches précambriennes car elles peuvent nous fournir les renseignements permettant de reconstituer les environnements favorables à l’éclosion de la vie.
Les variations de composition isotopique de l’O et du Si dans les silex ou cherts précambriens peuvent être interprétées comme une diminution de la température des océans de près de 50° C au cours de cette période[7].
Il semblerait, d’après certaines archives géologiques, que la photosynthèse chez les premiers organismes primitifs serait apparue vers 2,8 – 2,4 Ga. De nouvelles données reculeraient cette apparition plus tôt dans le temps, aux alentours de 3,5 Ga, en se basant sur l’existence de stromatolites retrouvés dans des roches de l’Archéen ancien.
Toutefois, il est certain que les immenses dépôts de fer que l’on retrouve un peu partout dans le monde datent du Sidérien (2,5 à 2,3 Ga), époque durant laquelle la surface des continents était devenue suffisamment importante pour que des mers peu profondes s’installent sur les plateformes continentales. Les conditions pour qu’une vie bactérienne se développe étaient ainsi réunies, marquant l’apparition des premiers stromatolites avec un dégagement massif d’oxygène par photosynthèse. Ce gaz dissous dans l’eau a pu précipiter par oxydation le fer en solution sous forme d’hydroxyde de fer, de carbonate de fer, de silicates ou de sulfures, suivant les variations de l’acidité et du degré d’oxydoréduction de l’eau de mer. Cette période porte le nom de Grande oxydation ou de Catastrophe de l’oxygène.
Aux alentours de 1,9 Ga, la totalité du fer dissous s’est précipitée et se retrouve sous forme de gisements de minerai. La production d’oxygène par les stromatolites se poursuit et les océans commencent à le relâcher dans l’atmosphère pour atteindre rapidement 15% de la valeur actuelle. Cette description correspond au schéma standard accepté jusqu’à présent par la majorité des géochimistes.
IV. LA MEMOIRE ISOTOPIQUE
Nous savons que les éléments chimiques existent sous plusieurs formes isotopiques. Il est de même pour ceux qui constituent la matière organique (C, N, O, H…) ou qui lui sont étroitement associés (Si, Ca, Fe…). On constate que les isotopes légers (possédant moins de neutrons) sont plus abondants par rapport aux isotopes lourds qui apparaissent souvent sous forme de traces. Le carbone se présente sous deux formes stables : 12C (98,891%) et 13C (1,108%). Le Si comprend trois formes : 28Si (le plus abondant), 29Si (4,70%) et 30Si (3,09%). Les proportions relatives des différents isotopes d’un même élément varient en fonction des réactions chimiques et biochimiques dans lesquelles ils interviennent. Ainsi, la matière organique est toujours enrichie en isotopes légers 12C et 28Si. Au moyen d’un spectromètre de masse, il est possible de déterminer les compositions isotopiques du C et du Si, qui se traduisent sous la forme de rapports isotopiques (13C/12C, ou 29Si/28Si). Ces rapports établis à partir de matière organique (tissus des végétaux, des animaux, des bactéries) représentent une intégration temporelle des processus physiologiques et écologiques d’un écosystème donné. Lorsque ces isotopes, après fossilisation de l’organisme qui les contiennent, sont piégés dans des substances minérales stables, ils traduisent les conditions du milieu du moment où ils ont été fixés dans ces substances. Ils constituent donc une véritable mémoire des conditions paléoécologiques. Bien entendu, si au fil du temps, les minéraux qui contiennent ces isotopes fossiles, subissent des modifications d’ordre géologique, cette mémoire peut être affectée ou même disparaître.
Pour définir les phénomènes de répartition isotopique d’un élément, on a défini les paramètres suivants :
- Le rapport isotopique R qui est le quotient du nombre d’isotopes lourds sur le nombre d’isotopes légers d’un élément donné. Ainsi, comme nous venons de le voir, le rapport isotopique du C est R = 13C/12C ;
- L’abondance isotopique A (à ne pas confondre avec le nombre de masse) donne la proportion relative de l’isotope lourd considéré. A = lourd / (lourd + léger). Donc, l’abondance isotopique en 13C est A = 13C / (13C + 12C)
Comme ces paramètres sont difficile à manipuler en conditions d’analyse normale, les scientifiques préfèrent exprimer la réalité physique à l’aide d’un troisième paramètre : la déviation isotopique δ, définie comme :
δ = 1.000 x (Rech – Rref) / Rref (valeur en %)
où Rech et Rref sont respectivement les rapports isotopiques de l’échantillon à mesurer et de l’échantillon de référence.
Grâce à cette astuce, en utilisant des références internationales, les chercheurs peuvent apprécier de faibles différences de teneurs isotopiques et réaliser une calibration entre appareils de mesure et entre laboratoires.
Luc André et son équipe ont choisi le silicium (Si) comme marqueur, car c’est le deuxième élément le plus abondant sur Terre après l’oxygène. On le rencontre partout, surtout dans les roches, mais également dans les organismes vivants. De plus, de par sa position dans le tableau périodique des éléments (sous C dans la colonne IVa), le Si partage des propriétés chimiques communes avec le C.
La silice précipite, soit chimiquement sous forme de quartz ou d’opale inorganique, soit biochimiquement sous forme d’opale organique. Ces deux formes de précipitation montrent une composition isotopique anormalement enrichie en 28Si. Dans ce cas, on peut se dire que l’on est en présence, soit d’une interaction avec un fluide hydrothermal, soit à une précipitation biogène. Par contre, l’absence d’anomalie indique une origine sans eau ou un processus non biogène.
Les cherts, roches composées essentiellement de silice, peuvent précipiter chimiquement à partir d’un fluide et donc conserver la signature isotopique de ce fluide. Cette signature peut être altérée par l’histoire postérieure de cette roche : diagenèse, événements métamorphiques ou hydrothermaux. Les compositions isotopiques de ces roches, notamment en O (δ18O) et Si (δ30Si) sont des traceurs primordiaux des conditions paléoclimatiques de la Terre au Précambrien. Le δ18O de cherts anciens montre des variations importantes avec le temps et pour un âge donné. Les échantillons prélevés dans différentes formations contiennent plusieurs types de quart : quartz microcristallin, mégaquartz, quartz fibreux, quartz détritique, quartz filonien, ainsi que des carbonates de fer (ankérite, sidérites) et des pyrites. L’analyse à la sonde ionique permet de déterminer leur origine (hydrothermale ou sédimentaire) et leur préservation.
V. LES ZIRCONS, LES PLUS ANCIENS TEMOINS MINERAUX TERRESTRES
Les zircons appartiennent au groupe des néosilicates. Ces minéraux, de formule chimique Zr[SiO4], sont un assemblage de silicate et de zirconium naturel. Les zircons sont les plus vieux témoins minéraux connus sur Terre. Ils ont permis de dater les roches les plus anciennes à la surface du globe, avec un âge estimé à 4,404 Ga, que l’on trouve dans la Formation Narryer Gneiss Terrane du craton Yilgarn en Australie occidentale.
Les zircons se forment lors de la genèse de roches plutoniques les plus communes comme les granitoïdes. Ce sont les produits précoces de la cristallisation primaire des roches magmatiques tels que le granite et les roches alcalines, dont la syénite et la pegmatite. Ils se présentent souvent en inclusions dans la biotite, la tourmaline, la cordéites de ces roches. On les trouve également dans les gneiss. Ils sont plus rares dans les tufs et les laves. Dans les roches métamorphiques, ils se montrent sous une forme recristallisée ou épitactique[8]. Dans les sédiments, ils sont détritiques, c’est-à-dire qu’ils se présentent sous forme de grains transportés et charriés par l’érosion.
Les zircons, sous la forme silicatée, sont d’une grande importance dans la datation absolue des roches, de par la présence d’isotopes radioactifs en leur sein. Le zircon ne change pas de phase lorsqu’il est soumis à des températures et des pressions extrêmes. Il est pratiquement inaltérable et garde sa structure d’origine. Seule la radioactivité peut le métamicté[9].
Ces minéraux contiennent à l’état de traces des isotopes radioactifs à longue demie vie, tels que l’235U et le 232Th. Ces éléments représentent de 10ppm à 5% en poids du minéral. La radioactivité de ceux-ci peut altérer le minéral hôte (biotite, tourmaline, cordéite), le cristal de zircon s’entoure alors d’une auréole noirâtre. Comme nous l’avons vu dans des articles antérieurs, ces deux isotopes qui appartiennent à deux des trois grandes familles radioactives se désintègrent en une succession de produits qui donnent en définitive du Pb. Le rapport U/Pb et Th/Pb permet d’estimer l’âge d’un cristal de zircon et par là même celui de la roche qui le contient. Toutefois, l’âge du zircon peut être nettement supérieur à celui de la roche mère (roche métamorphisée ou sédimentaire).
VI. LES FORMES DE VIE PRIMITIVES
Le passage du minéral au vivant reste l’une des grandes énigmes de l’origine de la vie. Cependant, aucune force extérieure n’est intervenue. Ce phénomène n’est que le résultat d’une suite d’événements chimiques. Les conditions environnementales de la terre primitive, à l’Archéen, s’y prêtaient. Connaître cet instant primordial, ou du moins les conditions physico-chimiques qui l’ont amené, pousse les chercheurs à se pencher sur l’étude approfondie des tout débuts de notre planète.
Les microorganismes fossiles les plus anciens ont été trouvés dans les sédiments de Barberton (3,66 – 3,5 Ga) en Afrique du Sud et du Pilbara (3,5 Ga) en Australie. Les sédiments relativement bien conservés permettent d’imaginer une vie foisonnante dans des eaux littorales de faible profondeur, assez proche de la surface. Certaines structures feuilletées donnent à penser qu’une vie bactérienne utilisait déjà la photosynthèse. Les microfossiles identifiés présentent des structures filamenteuses longues de quelques microns, des bâtonnets du même ordre de grandeur et des structures sphériques et ovoïdes d’environ 1µm de diamètre (fig. 3).
Figure 3. Fossiles de coques (à gauche) et de mattes bactériennes (à droite) dans les sédiments de Pilbara, Groupe de Warrawoona, 3.446 Ga (crédit Frances Westall).
Les découvreurs ont attribué ces restes à des bactéries fossiles. Malgré la très faible quantité de carbone restant lié à ces structures, l’analyse isotopique du C a montré un enrichissement variable mais suffisamment significatif en 12C pour admettre une origine biologique.
D’une manière générale, les molécules biologiques produites par photosynthèse sont caractérisées par un enrichissement en 12C par rapport aux carbonates minéraux. Ainsi, le rapport 12C/13C passe de 88,99 pour les carbonates minéraux de référence à des valeurs comprises entre 90,8 et 91,7% pour les molécules organiques biologiques.
A. Les archées (Archaea) (fig. 4)
Ces micro-organismes procaryotes constituent le troisième domaine ou règne de l’arbre de la vie, les deux autres étant les eubactéries (Bacteria) et les eucaryotes (Eukaryota), dont nous faisons partie (fig. 5). C’est en 1977, qu’elles ont été identifiées grâce aux travaux de biologie moléculaire du professeur Carl Woese (* 15-07-1928), de l’Université de l’Illinois à Urbana (U.S.A.) et de George Fox.
Au niveau des fossiles, il est très difficile de distinguer si une structure rencontrée appartient aux archées, car les cellules fossiles de procaryotes précambriens n’ont pas de morphologie distincte et les formes ne permettent pas une distinction nette. Par contre, des traces chimiques, sous forme de lipides caractéristiques des archées, peuvent donner des indices en faveur de ces micro-organismes, car ils n’existent pas dans d’autres groupes d’organismes. Certains chercheurs ont avancé que des lipides fossiles provenant de procaryotes ou d’eucaryotes étaient présents dans des schistes âgés de 2,7 Ga[10]. On en a également détecté dans des roches de la Formation d’Isua au Groenland (voir plus bas) plus ancienne (3,8 Ga)[11].
Fig. 5 – Arbre phylogénétique basé sur l’analyse comparative des gènes ARNr montrant la séparation des bactéries, des archaea, et des eucaryotes
B. Les cyanobactéries (fig. 6)
Ce sont les organismes vivants les plus anciens identifiés actuellement sur Terre avec les archées. On en trouve des fossiles dans des roches de l’Archéen (3,8 Ga). Ces formes déjà relativement complexes laissent supposer l’existence antérieure de formes de vie plus simples.
Les cyanobactéries (Cyanobacteria), également appelées cyanophycées (Cyanophyceae) forment une sous-classe des bactéries, connues autrefois sous le terme d’algues bleues.
Ces procaryotes[12] réalisent déjà la photosynthèse oxygénique en transformant l’énergie lumineuse en énergie chimique par fixation du CO2 et libération d’O2.
Fig. 6 – Colonie de cyanobactéries
Elles sont à l’origine de la formation de grandes quantités de roches carbonatées en piégeant le gaz carbonique. De ce fait, elles constituent le premier grand puits de carbone. Elles sont responsables de l’oxygénation de l’atmosphère primitive et de la diminution de l’effet de serre par absorption du CO2 atmosphérique. Elles ont contribuées à la formation de la couche d’ozone protectrice, et à une désacidification des océans.
C. Les stromatolites
Les stromatolites forment des tapis bactériens et construisent des monticules coniques, constitués d’un empilement de « feuillets » de carbonates. Ce ne sont pas à proprement parlé des fossiles mais plutôt des structures construites par l’action de cyanobactéries : structures organo-sédimentaires. On peut toutefois y trouver des fossiles de cyanobactéries. Une des caractéristiques des stromatolites est leur fine lamination interne : chaque lamine représenterait une accrétion diurne (fig. 7). En effet, les cyanobactéries ne font la photosynthèse que la journée, aussi laissent-elles une trace de leur activité.
Fig. 7 – Stromatolites – 550 Ma (RDC) (crédit R. Six)
Les tapis, de consistance gélatineuse, laminaire, contiennent généralement des sédiments. La « gélatine » est secrétée par des cyanobactéries la nuit et se compose d’un treillis de filaments bactériens.
Ces structures colonnaires agissent de deux manières :
- Elles piègent les particules sédimentaires entre leurs filaments ;
- Elles induisent la cimentation de ces particules emprisonnées, grâce à une activité photosynthétique.
La gelée peut précipiter les bicarbonates (CO2) solubles en carbonate de calcium (CaCO3). Les particules de sédiments piégées se soudent entre elles pour former une succession de croûtes solides, les stromatolites.
On trouve ces structures dans des couches dont l’âge varie de 3,5 Ga à l’actuel. Ainsi, en 1950, des géologues australiens découvrent des stromatolites au nord-ouest de l’Australie, dans la Sharks Bay (fig. 8). Ceux qui se situent dans la zone d’estran (zone intertidale, entre marée haute et marée basse) sont des vestiges de stromatolites formés il y a plusieurs milliers d’années lorsque le niveau marin était plus haut, tandis que ceux qui se trouvent dans la zone infratidale supérieure sont en voie de formation.
Fig. 8 – Stromatolites actuels à Sharks Bay (Australie)
Fig. 9 – Situation des stromatolites à Sharks Bay
Explication de la figure 9 :
Du haut vers le bas :
1.- Variété pustuleuse Enotophysalis sans lamines : forme des colonnes de 1 m de large et 10 cm de haut, construites par Eontophysalis major, descendant de Eontophysalis du Précambrien ;
2. – Variété lisse, Microcoleuschthonoplastes et Schizothrix sp. avec lamines très nettes ;
3. – Variété botryoïde constituée de diatomées et de cyanobactéries colonisées par des algues. Toujours immergée, secrète beaucoup de mucus. Forme de larges colonnes de 1 m et plus
Le jour, les cyanobactéries font la photosynthèse et précipitent le calcaire en utilisant le CO2. La nuit, elles fabriquent la gelée qui retient le calcaire et les sédiments. Le cycle se répète chaque 24 heures. C’est ce mécanisme qui englue le feutrage de filaments de cyanobactéries collées sur un support dans une gangue calcaire et forme une couche plus ou moins carbonatée appelée lamine. Les cyanobactéries qui meurent forment donc ces micro-couches de calcaire sur lesquelles se développent de nouvelles générations, jusqu’à formation des structures stromatiliques.
La lithification débute en général à 1 ou 2 cm sous le niveau de vie et la construction s’oriente selon les vagues et contre le vent. De plus, il lui faut un substrat rocheux sur lequel se fixer.
Vu l’abondance de ces structures calcaires, on peut supposer que les stromatolites ont connu un développement considérable à certaines périodes anciennes de la Terre, quand celle-ci fournissait aux cyanobactéries des océans à 35° C, milieux riches et sans grande compétition. Ils ont produit un volume impressionnant de calcaires à certaines époques du Précambrien et de ce fait ont constitué un drain important de CO2 en stockant celui-ci dans le CaCO3, modifiant ainsi l’atmosphère primitive.
Les stromatolites sont d’une importance primordiale pour les paléontologues car ils sont dépositaires des premières traces de vie sur Terre et les premières manifestations de celle-ci.
VII. BIBLIOGRAPHIE ET SOURCES
- Andre L. – L’émergence de la vie sur Terre : quand ?, in Science Connection, février 2007.
- Choukroune M. – A la découverte de l’Archéen (conférence, résumé de M. Reynoard)
- Foucault A., Raoult J.-F. (1980) – Dictionnaire de géologie, Masson.
- Moyen J.-F. (2004) – TTG et adakites : des cas particuliers de magmas de zone de subduction, Université de Stellenbosch, Afrique du Sud, Florence Kalfoun.
(à suivre : Les plus anciennes roches)
[1] Luc André : Chef de Section au MRAC, membre de l’Académie royale des Sciences d’Outre-mer, membre du Conseil scientifique du Conseil nationale de la recherche scientifique (France) et chargé de cours à l’ULB.
[2] Ga : 1 giga-année correspond à 1 milliard d’années. On sait que la Terre est âgée de 4,55 Ga.
[3] Lithologie : nature des roches d’une formation géologique.
[4] Ortogneiss : pour rappel ces roches dérivent de roches magmatiques, par opposition aux paragneiss qui eux sont d’origine sédimentaire.
[5] Roches vertes : expression désignant d’une manière générale des roches magmatiques, plutoniques et effusives, basiques et ultrabasiques, dont la teinte verte est due au développement de chlorite, épidote, amphibole et serpentine, du fait de l’altération et, plus souvent, du métamorphisme.
[6] Dans le domaine de la pétrologie, il est courant d’exprimer les champs de stabilité des roches sédimentaires, métamorphiques et magmatiques dans un diagramme prenant en compte les paramètres physiques prépondérants que sont la pression et la température.
[7] Références : Robert F. et Chaussidon M. Nature Vol 443, pp 962-972 (2006)
[8] épitactique: qui est apparenté à l’épitaxie, phénomène d’orientation cristallographique des cristaux d’espèces différentes.
[9] Métamicte : s’applique à l’état de désordre cause dans un réseau cristallin sous l’influence de la radioactivié, avec changement éventuel de couleur et apparition d’un état amorphe.
[10] Brocks JJ, Logan GA, Buick R, Summons RE, « Archean Molecular Fossils and the Early Rise of Eukaryotes », in Science, vol. 285, no 5430, 1999, p. 1033–6.
[11] Jürgen Hahn et Pat Haug, « Traces of Archaebacteria in Ancient Sediments », dans System Applied Microbiology, vol. 7, no Archaebacteria ’85 Proceedings, 1986, p. 178–83 .
[12] Procaryote : organisme unicellulaire sans noyau, ni organites.