XI – Découverte de la fission nucléaire

I.           FERMI, UN GENIE ENGAGE

 Dans ce capitre, nous allons faire la connaissance de plusieurs nouveaux venus sur la scène de la recherche nucléaire. Pour commencer, l’Italien Enrico Fermi, personnage ambigu, qui a vécu dans la tourmente politique occasionnée par la deuxième guerre mondiale. Il fut tour à tour un chercheur solitaire de génie et un artisan associé au champignon atomique qui s’éleva dans le désert d’Alamogordo et à la destruction d’Hiroshima et Nagasaki.

 Lorsqu’il apprend la découverte des Joliot-Curie sur la radioactivité artificielle, Fermi a déjà un long passé de chercheur derrière lui. En 1922, après sa licence en physique, le jeune savant sera introduit dans la communauté scientifique internationale par son mentor Orso Mario Corbino (1876-1937), l’un des plus talentueux expérimentateurs italiens. Ses recherches sur le comportement des particules d’un gaz parfait, en feront un protagoniste de la physique quantique. Il élabore, en 1933, une théorie de l’interaction faible, qui n’est pas immédiatement comprise. Il participe au Congrès Solvay de 1933, à Bruxelles, où il peut la défendre. Il en résultera un article intitulé : « Tentative d’une théorie des rayons β ».

 

II.         LE NEUTRON : NOUVEAU PROJECTILE !

 Nous sommes en 1934, Fermi se propose de remplacer les particules α (noyaux d’hélium, composés de deux protons et de deux neutrons), utilisées par les Français, par des neutrons insensibles (électriquement neutres) à la forte répulsion coulombienne lors de leur approche des noyaux cibles. Une première tentative au moyen d’une source de neutrons à partir de polonium et de béryllium sera infructueuse : trop peu de neutrons. Il utilisera une nouvelle source plus intense, constituée de radon et de béryllium. Fermi bombarde d’une manière systématique tous les éléments de la classification périodique de Mendéliev en commençant par l’hydrogène, puis le lithium, le béryllium, le bore, le carbone, l’azote et l’oxygène. Les résultats sont toujours négatifs. Par contre, lorsqu’il arrive au fluor et à l’aluminium, son compteur Geiger-Müller détecte enfin des particules.

 Le 25 mars 1934, Fermi envoie un article intitulé « Radioactivité provoquée par bombardement aux neutrons 1 » à la « Ricerca Scientifica » dans lequel il annonce ses premiers résultats. Il a l’intention d’en publier d’autres (10), ce qui explique le nombre 1 dans le titre. Il les interprète comme étant une réaction (n, α), où le noyau cible absorbe un neutron et émet une particule α, créant un nouvel élément radioactif dont le numéro atomique est inférieur de deux unités à celui de l’élément de départ.

 Comprenant l’importance de ce travail, avec son équipe constituée de Franco Rasetti (1901-2001), le meilleur physicien expérimental du groupe, d’Edoardo Amaldi (1908-1989) et de Emilio Segrè (1905-1989), il se lance dans une série d’expériences. Il s’adjoindra les compétences d’un chimiste, Oscar D’Agostino (1907-1975), pour identifier les nouveaux radionucléides obtenus. Il s’ensuit une période d’intense activité avec publication à un rythme soutenu dans « Ricerca Scientifica ».

 L’équipe italienne remarque que le bombardement neutronique provoque la formation de nouveaux éléments radioactifs, quel que soit le nombre atomique de la cible. Dans le cas d’éléments légers, les radionucléides obtenus ont un numéro atomique inférieur d’une à deux unités à celui du noyau cible initial, tandis que dans le cas d’éléments lourds, les produits résultants sont toujours des isotopes (de même numéro atomique) des noyaux bombardés. En parallèle, l’équipe se propose de déterminer une classification systématique des réactions nucléaires produites par les neutrons. Les résultats obtenus pour les éléments légers semblent être du type (n, p) ou (n, α), c’est-à-dire, absorption d’un neutron et émission d’un proton ou d’une particule α. Ces réactions sont déterminées par la hauteur de la barrière du potentiel[1]électrostatique que doivent traverser les particules chargées (p ou α).

III.      EN QUETE DES ELEMENTS TRANSURANIENS

 L’équipe romaine poursuit ses expériences et, au début de l’été 1934, elle s’attaque aux éléments les plus lourds que sont le thorium (Z = 90) et l’uranium (Z = 92). Le bombardement neutronique de ces noyaux donne de nouveaux radionucléides difficiles à identifier. Avec l’uranium, dernier terme de la classification de Mendeleïev connu à l’époque, elle constate que les noyaux instables formés émettent des rayons β. Fermi pense avoir obtenu, après capture d’un neutron par le noyau, un autre atome radioactif, isotope de l’uranium. Celui-ci va perdre son excès de neutron par conversion d’un neutron en proton avec émission d’un électron et d’un neutrino. Le nombre de protons Z augmente donc d’une unité. De ces dernières expériences, Fermi et son groupe déduisent, de façon erronée, qu’ils ont obtenu un nouvel élément transuranien radioactif (dont le numéro atomique est égal à 93, soit supérieur à celui de l’uranium). Celui-ci, à son tour, émet une radiation β conduisant à l’élément qui serait de rang 94 de la classification périodique. Malgré l’enthousiasme de son équipe, Fermi émet des soupçons. Cependant, ces soi-disant deux nouveaux noyaux seront appelés ausonium et hesperium.

 Les expériences de l’école de Fermi suggèrent à Ida Noddack, une chimiste allemande, que l’action des neutrons sur les éléments les plus lourds pouvait entraîner leur division en plusieurs fractions assez grandes. L’idée est trop révolutionnaire pour être admise par les savants européens. Ida Noddack ne cherche d’ailleurs pas à vérifier son hypothèse, n’étant pas outillée pour cela. L’interprétation incorrecte de leurs résultats et le fait d’être passé à côté de la fission de l’uranium tourmenteront longtemps les physiciens italiens.

 « La possibilité de la fission du noyau d’uranium nous échappa, alors qu’elle nous fut signalée par Ida Noddack, qui nous envoya un extrait de son article où elle proposait d’interpréter certains de nos résultats comme une conséquence de la fission de l’uranium en deux parties à peu près équivalentes. La raison de notre aveuglement reste, aujourd’hui encore, mystérieuse » dira plus tard Segrè.

 Les vues de Fermi étaient en partie exactes, car à partir de 1944, et grâce aux premiers réacteurs nucléaires, qui développaient des réactions de fission avec émission de neutrons supplémentaires, les physiciens américains parviendront à obtenir ces fameux éléments transuraniens : neptunium, plutonium, américium et curium.

 

IV.       LES NEUTRONS LENTS OU THERMIQUES

 Amaldi et Segrè, après un séjour (juin 1934) à Cambridge dans le Laboratoire de référence en physique nucléaire de Lord Rutherford, se lancent, dès leur retour à Rome, sous la direction de Fermi, dans l’étude systématique de la question de la capture neutronique. Une série d’étranges phénomènes et de résultats contradictoires va amener l’équipe à entreprendre des tests afin de comprendre les raisons de ces paradoxes. Ils décident de placer un écran de plomb entre la source de neutrons et la cible qui consiste en un cylindre d’argent, afin de distinguer les neutrons absorbés des neutrons émis par le plomb. Au moment d’entreprendre cette expérience, Fermi, mu par une inspiration subite, remplace le plomb par un élément plus léger, un bloc de paraffine, riche en atomes d’hydrogène. Curieusement, le filtre de paraffine multiplie l’effet des neutrons. Fermi alerte ses collaborateurs pour leur montrer ce phénomène extraordinaire.

 Segrè raconte :

 « Au début, je croyais qu’un compteur était simplement défectueux et fournissait des indications arbitraires, comme cela arrivait de temps à autre, mais chacun d’entre nous fut rapidement convaincu que la radioactivité extraordinairement forte dont nous étions témoins était réelle et résultait du filtrage de la radiation primaire par la paraffine. […] Nous rentrâmes chez nous pour le déjeuner et notre sieste traditionnelle, encore surpris et étourdis par les observations de la matinée. Lorsque nous revînmes, Fermi avait déjà formulé une hypothèse pour expliquer l’action de la paraffine. »

 Les neutrons incidents sont ralentis par une suite de chocs élastiques avec les protons présents dans la paraffine (comme au billard, lorsqu’une boule est ralentie en heurtant une autre boule). Par ce fait, leur efficacité à provoquer une radioactivité artificielle augmente. Ce résultat va à l’encontre de ce que les physiciens imaginaient, à savoir une probabilité de capture des neutrons et donc de production de réactions nucléaires qui augmente avec la diminution de la vitesse de ces neutrons. Jusqu’à présent, les chercheurs pensaient, au contraire, qu’il fallait des neutrons incidents de grande énergie, donc animés d’une grande vitesse, pour augmenter cette probabilité de capture. Après la Seconde Guerre Mondiale, Fermi relatera cette découverte au célèbre astrophysicien d’origine indienne Subrahmanyan Chandrasenkar (1910-1995).

 « Je vais vous raconter l’histoire de la découverte sans doute la plus importante de ma carrière. Nous travaillions très intensément sur la radioactivité induite par les neutrons et les résultats que nous obtenions étaient incompréhensibles. Un jour, à peine arrivé au laboratoire  il me vint à l’esprit que j’aurais dû examiner l’effet produit par un morceau de plomb placé devant les neutrons incidents. Contrairement à mon habitude, je mettais beaucoup de zèle à préparer minutieusement un morceau de plomb. A l’évidence, quelque chose me tracassait : je trouvais toutes sortes d’excuses pour différer la mise en place de ce morceau de plomb. Lorsque finalement, avec grande réticence, j’étais sur le point de le disposer à l’endroit prévu, je me dis : « Non ! Ce n’est pas ce morceau de plomb que je veux, mais un morceau de paraffine. » L’histoire s’est vraiment déroulée ainsi, sans aucune prémonition ni raisonnement conscient préliminaire. Je pris immédiatement un morceau de paraffine que je trouvai sur place, à portée de main, et le plaçai là où aurait dû se trouver le morceau de plomb ».

 Sous le coup de l’émotion, le groupe se réunit pour rédiger une lettre à la revue scientifique « Ricerca scientifica » dans laquelle il annonce la découverte. Sous le titre « Action des substances hydrogénées sur la radioactivité induite par les neutrons », nos physiciens avancent une explication possible :

 « Les neutrons, par de multiples chocs contre des noyaux d’hydrogène, perdent rapidement leur énergie. Il est plausible que la section efficace [[2]] de la collision neutron – proton [probabilité de collision] augmente à mesure que l’énergie diminue. Après un certain nombre de chocs, les neutrons se déplacent de manière analogue aux molécules qui diffusent dans un gaz, leur énergie se trouvant réduite à l’énergie cinétique d’agitation thermique du gaz. Il se formerait ainsi autour de la source neutronique quelque chose de similaire à une solution de neutrons dans l’eau ou dans la paraffine. »

 C’est pourquoi l’on parlera de neutrons lents ou neutrons thermiques, car leur énergie est voisine de l’agitation thermique, soit 0,02 eV à la température ordinaire.

V.      LA LOI DE CAPTURE NEUTRONIQUE

 Le freinage des neutrons dans les substances hydrogénées réoriente le programme de l’école Fermi. Elle se tourne vers l’étude des effets des neutrons lents. La mesure de l’influence de l’immersion dans l’eau (substance hydrogénée) de la source et des échantillons cibles apporte une première confirmation : seules les réactions du type (n, γ), c’est-à-dire capture radioactive d’un neutron par le noyau irradié accompagné de l’émission d’un photon γ, sont sensibles aux substances hydrogénées. De plus, certains éléments présentent une section efficace de capture neutronique beaucoup plus élevée que la section de collision géométrique des noyaux irradiés.

 Utilisant des arguments de mécanique quantique, Fermi établit la loi générale liant la section de capture neutronique à la vitesse des neutrons incidents : la probabilité de capture radioactive d’un neutron par le proton d’un noyau est inversement proportionnelle à la vitesse du neutron.

 En d’autres termes, la section efficace est de l’ordre de la surface du noyau pour les neutrons très rapides (les plus énergétiques), tandis qu’elle peut atteindre des valeurs très supérieures à cette surface, de l’ordre de plusieurs milliers de barns pour les neutrons les plus lents (les moins énergétiques) (fig. 74).

Sections efficace-1

Fig. 74 – Variation de la section efficace selon la vitesse (l’énergie) du neutron incident

 Pour un noyau donné, σ n’est pas constant et dépend de plusieurs facteurs :

  • Le type de section :

Il existe plusieurs types de sections efficaces :

–      Section efficace de capture σc (capture d’un neutron sans réaction de fission) ;

–      Section efficace de fission σf (capture d’un neutron suivi d’une fission) ;

–      Section efficace de diffusion élastique (lors d’une collision élastique) ;

–      Section efficace de diffusion inélastique (lors d’une collision inélastique).

La somme des deux dernières étant σs.

  •  L’énergie du neutron incident :

On peut observer une variation des sections efficaces de fission et de capture en fonction de l’énergie des neutrons incidents. Par exemple pour le plutonium 239 et l’uranium 233 sur les diagramme suivants (fig. 75 et 76).

Barns

 Fig. 75 – Sections efficaces (barns) de fission et de capture pour le plutonium 239. On constate que la fission est environ deux fois plus probable que la capture pour les neutrons thermiques et que, pour des neutrons rapides, la capture est très peu probable. Remarquez les multiples résonances de capture et de fission pour les énergies comprises entre 1 eV et 1000 eV.

 Fig. 76 – Sections efficaces (barns) de fission et de capture pour l’uranium 233. On constate que, tant pour les neutrons thermiques que pour les neutrons rapides, la section efficace de fission est au moins 10 fois plus grande que celle de capture.

 On constate que globalement les sections efficaces diminuent avec l’augmentation de l’énergie du neutron selon la loi de Fermi. Pour les noyaux considérés ici, la section efficace de fission est supérieure à celle de capture. La probabilité que la fission ait lieu est donc plus grande.

Orso Mario Corbino comprit immédiatement la portée de cette découverte et il incita Fermi a déposer une demande de brevet. Ce sera chose faite le 26 octobre 1935. Le brevet italien qui sera étendu plus tard à d’autres pays, consigne le processus de production de substances radioactives artificielles par bombardement neutronique et l’augmentation de l’efficacité par ralentissement  des neutrons.

 En effet, l’effet de ralentissement des neutrons provoqué par certaines substances hydrogénées comme le graphite ou l’eau lourde, appelés éléments modérateurs, sera d’une importance primordiale dans l’élaboration des réacteurs nucléaires. Nous en reparlerons dans la suite de ce dossier.

           

VI.       DECOUVERTE DE LA TRANSMUTATION DE L’URANIUM

 En janvier 1935, l’équipe italienne reprend ses recherches sur le thorium et l’uranium. Amaldi est chargé de détecter les émetteurs α produits dans ces deux éléments lorsqu’ils sont bombardés par des neutrons lents. Afin de filtrer les particules émises par l’uranium et le thorium, il place devant ceux-ci une feuille d’aluminium équivalente à une couche d’air de 5 à 6 cm. En effet, selon la loi de Geiger-Nuttal sur la désintégration radioactive, qui lie la longueur du parcours des particules à la vie moyenne de leur émetteur, plus la vie moyenne est brève, plus les particules sont rapides et pénétrantes. Comme l’uranium et le thorium ont une durée de vie très longue, leurs particules émises parcourent une très faible distance, correspondant à l’épaisseur de la feuille d’aluminium. Malgré ce dispositif :

 « Les expériences donnèrent des résultats négatifs, raconte Amaldi, mais si nous avions par hasard oublié la feuille d’aluminium, nous aurions déjà pu observer les noyaux de recul dus à la fission en janvier ou février 1935 ».

 Pour la deuxième fois, l’équipe italienne manqua de peu la découverte de la fission de l’uranium. Le 10 décembre 1938, Fermi recevra le prix Nobel de physique « pour ses découvertes de nouvelles substances radioactives […] et pour ses études sur le pouvoir sélectif des neutrons lents ».

 De nombreux physicians et chimistes reprendront les expériences de l’école de Fermi, chacun apportant sa petite contribution à l’approche de la vérité. Le problème était particulièrement ardu, comme tous ceux touchant aux éléments radioactifs artificiels. Ceux-ci étaient obtenus en laboratoire en des quantités extrêmement faibles. De plus leur durée de vie est généralement brève. Pour les identifier, les méthodes de detection et de séparation chimique doivent être rapides. Elles consistaient en une série de précipitation afin de les dissocier des éléments auxquels ils sont apparentés. Comme les chercheurs travaillaient par analogies, il pouvait subsister des incertitudes.

 Durant les années 1935 – 1938, Otto Hahn (1879-1968) et Lise Meitner (1878-1968), à l’Institut Kaiser-Wilhem de Berlin, se penchent sur le problème. Résultat : une « purée » de nouveaux radioéléments comme dans l’essai de Fermi.

 Irène Joliot-Curie, ayant lu la publication des deux chercheurs allemands, exprime sa méfiance :

 « Je ne suis pas d’accord avec ce résultat qui m’inspire la plus grande méfiance. Je vais recommencer l’expérience et, au lieu de m’attaquer à toute la « purée », je vais travailler sur un seul radioélément au sein du mélange, celui qui émet les rayons bêta les plus pénétrants ».

 Aidée de son assistant, le Yougoslave Paul Savitch, elle recouvre le mélange d’une feuille de cuivre et ils étudient la substance dont les radiations traversent celle-ci. Il s’avère qu’il s’agit d’un élément que Lise Meitnet et Otto Hahn n’ont pas vu, et dont la période est de trois heures et demie. Irène et Paul Savitch publient leurs conclusions en septembre 1938 en précisant que les propriétés chimiques de ce radioélément ressemblent étrangement à celles du lanthane, élément connu, de numéro atomique 57. Ils hésitent à considérer qu’il s’agit bien de lanthane car il paraît, dans leur expérience, plus lourd que l’uranium devenu plus léger. En fait, ce dernier s’est divisé en deux. Il s’agit d’une transmutation de celui-ci, hypothèse émise par Ida Noddack quelques années plus tôt.

 Otto Hahn n’accepte pas les conclusions d’Irène et à l’occasion d’une rencontre avec Frédéric Joliot, il lui dit :

  « Entre nous, mon cher, c’est parce que votre épouse est une femme que je ne me suis pas permis de la critiquer. Mais elle a tort, dites-le-lui  et elle nous gêne d’autant plus que Lise Meitner a des ennuis avec les nazis ainsi que moi qui ne suis guère favorable à Hitler ».

 Rappelons que nous sommes à la fin des années trente, après la grande crise économique de 1929-1931. Hitler et les nazis prennent le pouvoir en Allemagne dès 1933 et commencent la chasse aux opposants, puis à tous ceux qui sont d’origine juive. Nommé chancelier du Reich, il prépare son pays à la guerre : remilitarisation de la Rhénanie en 1936 ; « Anschluss » de l’Autriche en mars 1938 ; à l’automne de cette même année, après la conférence de Munich, démembrement de la Tchécoslovaquie et entrée dans Prague en mars 1939. On connaît la suite ! De nombreux savants choisissent l’exil.

 Irène s’obstine, elle reprend ses expériences et retrouve les mêmes résultats. D’où la fureur de O. Hahn « contre cette bonne femme qui emploie les méthodes surannées de sa mère et qui essaie de ridiculiser mes travaux ». Entre-temps Lise Meitner a dû quitter l’Allemagne car elle est juive, pour se réfugier en Suède. Un jeune chimiste, Fritz Strassmann (1902-1980) va la remplacer auprès de Hahn.  Il convainc ce dernier de vérifier les travaux d’Irène Joliot-Curie et de Paul Savitch. Evidemment, ils trouvent le fameux lanthane dans le mélange final et avancent prudemment : « Nous publions ces résultats curieux avec une certaine hésitation ». Pourquoi cet élément est-il devenu plus lourd que l’uranium ? Cela va à l’encontre des lois admises en physique nucléaire. Aussi, Hahn ajoute-t-il en dernière minute sur l’épreuve de sa publication : « Le noyau de l’atome d’uranium s’est-il réellement brisé en deux ? » Il vient de franchir le pas décisif en interprétant correctement les résultats : la division du noyau autrement dit la fission. Encore une fois, les Joliot-Curie sont passés à côté d’une découverte primordiale.

 Le couple de Français, dès la publication d’Otto Hahn, se penchent sur les résultats de leurs expériences passées : « Nous avons été stupides ! lance Irène à son assistant. Nous étions si près de la vérité : nous l’avons frôlée ! » Frédéric, abandonnant ses autres travaux, prouve très simplement qu’après la capture du neutron incident, le noyau formé explosait, donnant deux noyaux de masse voisine qu’il recueillait sur un collecteur à proximité de l’uranium. Les deux fragments sont radioactifs et leurs descendants se forment après émission de rayons β. Il démontre ainsi en quelques heures que la fission nucléaire est bien une réalité.

 Ce sera Niels Bohr, en visite à l’université de Columbia, qui annoncera la nouvelle aux Etats-Unis. Elle y fera l’effet d’une bombe (sans jeu de mots).

 Bien que la découverte fût faite à Berlin, les Joliot-Curie et leur équipe resteront maîtres du jeu jusqu’à l’armistice de 1940. Cette découverte ouvre des perspectives qui inquiètent certains savants comme Enrico Fermi (émigré aux Etats-Unis, pour fuir le fascisme), Leo Szilard (1898-1964) et Albert Einstein. Le 2 février 1939, Léo Szilard écrit à Frédéric pour lui faire part de son inquiétude car cette découverte peut déboucher sur une réaction en chaîne capable de développer une énergie considerable et à la construction de bombes « extrêmement dangereuses entre les mains de certains gouvernements ». Il propose que les chercheurs ne publient plus leurs résultats sur la fission. La guerre en Europe est éminente. Albert Einstein pressentit par ses confrères envoie une lettre au président Roosevelt pour l’alerter sur les dangers éventuels de la mise au point d’une bombe nucléaire.

 « L’élément uranium peut devenir, dans un avenir immédiat, une nouvelle et importante source d’énergie […] Il est vraisemblable (étant donné le travail des Joliot-Curie en France, et celui de Fermi aux Etats-Unis) que l’on puisse envisager la possibilité de provoquer une réaction en chaîne nucléaire dans une grande masse d’uranium, réaction par laquelle pourrait être produite une énorme puissance et de grandes quantités de nouveaux éléments analogues au radium […] Ce nouveau phénomène pourrait aussi conduire à la fabrication de bombes, et l’on peut concevoir que des bombes extrêmement puissantes, d’un nouveau type, pourraient être ainsi construites. Une seule bombe de ce type, amenée par bateau et explosant dans un port, pourrait très bien détruire le port entier ainsi qu’une partie du territoire environnant […]

En raison de cette situation, il peut paraître souhaitable de maintenir des contacts permanents entre l’administration et le groupe de physiciens travaillant sur les réactions en chaîne en Amérique […]

Albert  Einstein. »

 Il s’en suivra la création d’un Comité chargé du développement d’une bombe nucléaire américaine. Ce sera le Projet Manhattan !

 fermi                                       equipe fermi

           Fig. 77 – Fermi en 1927                                               Fig. 78 – L’équipe Fermi : D’Agostino,       

                                                                                                      Segrè, Amaldi, Rasetti et Fermi en 1934

 

 

 



[1]    Barrière de potentiel : rempart énergétique dû à la présence de forces répulsives autour du noyau et s’opposant à la pénétration d’une particule extérieure à ce noyau. Cette barrière empêche également les particules du noyau de s’échapper si leur énergie est inférieure au sommet de la barrière de potentiel.

[2]    Section efficace : surface conventionnelle qui traduit la probabilité plus ou moins grande qu’a une particule, de caractéristiques données, de perturber un noyau et d’y provoquer une réaction déterminée. Son unité est le barn (1 barn = 10-24 cm² = 10-28 m²). Le symbole utilisé est la lettre grecque σ

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